La Revue Internationale des Livres et des Idées no 5

16  mai 2008 | par Jean Zin

Cette nouvelle revue s’installe dans le paysage avec une livraison encore bien intéressante et qui tranche avec la production habituelle.

La question qui court d’un texte à l’autre est celle de l’Etat attaqué aussi bien par Thatcher, Negri ou Badiou, ce qui signe l’appartenance à une époque aujourd’hui révolue sans doute ( ?).

-  Le populisme autoritaire, Jérôme Vidal

C’est sans aucun doute l’article le plus intéressant qui nous fait part de la conception du "Thatcherism" par Stuart Hall, figure des cultural studies et directeur de la New Left Review en son temps. Ce qui me semble la faiblesse de ces approches par l’hégémonie idéologique, c’est un certain idéalisme, comme si ce n’était qu’une question de bonne propagande. L’explication par l’opposition des petits propriétaires endettés aux prolétaires ne me convainc guère, ce qui aurait dû favoriser l’inflation. Il me semble plus intéressant d’expliquer au contraire la perte des solidarités par la dépression elle-même et le vieillissement de la génération dominante alors que la reprise de l’inflation et le changement de génération stimulent au contraire les luttes collectives. Il n’en reste pas moins intéressant de comprendre comment ces idéologies s’agencent (un néolibéralisme autoritaire) et imposent leurs évidences ("libre choix", gouvernance individualisante).

    « Si seulement vous vouliez bien penser politiquement et à hauteur de l’époque, et vous saisir de toutes les possibilités et ressources qu’elle offre ! »

    On aura une idée de l’intensité de la polémique provoquée par ces vues, en dépit de la prudence dont font généralement montre les formulations de Hall, si on la rapproche des fortes réactions et des anathèmes suscités aujourd’hui par les auteurs d’Empire et de Multitude, Antonio Negri et Michael Hardt. Ce rapprochement n’est d’ailleurs pas fortuit : même insistance chez eux sur la nécessaire attention à la nouveauté dans le contemporain, même souci de ne pas se laisser paralyser par l’attachement à des catégories dépassées.

    Elles mettent l’accent sur la rupture de l’apparent consensus social de l’après-guerre et sur la crise de l’autorité et du ciment de ce consensus (l’ensemble de valeurs et d’images autour desquels il s’organisait : travail, famille, discipline, respectabilité, Englishnness), ainsi que sur la façon dont l’anxiété sociale diffuse ainsi engendrée a trouvé à se fixer par déplacement et condensation sur des signifiants comme l’immigration et les « jeunes ».

    La défense « anti-étatiste » de l’individu, accablé d’impôts, affaibli et dessaisi de sa capacité d’initiative par l’État, la valorisation corrélative de la « responsabilité » personnelle, de l’effort individuel et du travail ont ici un rôle essentiel.

    Cette transformation des citoyens en consommateurs, des droits en services, signe la fin de la conception sociale de l’individu (« la société n’existe pas » affirmait Margaret Thatcher) et la fin de la solidarité comme principe d’accès universel à certains biens fondamentaux. Dans ce contexte, la démocratie, en tant qu’idéal pratique, a été de fait éclipsée [...] Ce n’est à rien de moins, nous prévient Hall, qu’à l’évidement de la « démocratie libérale », à sa dépolitisation, à sa « dé-démocratisation », que nous assistons avec le thatchérisme et le blairisme.

-  L’historiographie de 68, Xavier Vigna

Plus anecdotique : La France des années 68, La Pensée anti-68, 68, une histoire collective, Mai-juin 68

    C’est Debray en effet qui introduit les motifs de la dénonciation de la dérive libérale-libertaire, selon laquelle 68, loin de constituer une rupture, favorisa le libéralisme économique et l’américanisation de la France, via les abandons coupables de l’idée de nation et de classe ouvrière. Les militants de 68, par une ruse de la raison, auraient été les fourriers d’un libéralisme mâtiné de libéralisation des moeurs.

-  L’hypothèse communiste d’Alain Badiou, Peter Hallward

Je ne partage ni la philosophie, ni le maoïsme d’Alain Badiou mais il est malgré tout un philosophe stimulant. Je ne sais si j’arriverais à écrire une critique de sa "Logique des mondes" où il défend, entre autres, cette idée que depuis toujours (depuis la dispute chinoise sur le sel et le fer) il faut un pouvoir dictatorial pour s’opposer au pouvoir de la richesse, mais il s’oppose au stalinisme en ce qu’il faut s’appuyer sur les masses et leur faire confiance. Il dégage aussi plusieurs périodes dans l’idéologie révolutionnaire face à ses échecs historiques : celle de la révolution, celle d’un pouvoir durable, celle d’un pouvoir durablement révolutionnaire...

    Un an après l’élection de Nicolas Sarkozy, qu’il présente comme l’avatar le plus récent du « transcendantal pétainiste » qui s’incarne régulièrement depuis la restauration, Alain Badiou se livre à un exercice de philosophie à chaud et en appelle au renouvellement de l’hypothèse communiste.

    Sa politique de la peur l’a emporté parce que sa rivale, la candidate du Parti socialiste Ségolène Royal, n’avait rien d’autre à offrir que « la peur de la peur ».

    Pétain et ses avatars surviennent en sorte que « la capitulation et la servilité se présentent comme invention [...] et régénération ».

    Telle est la conception générale que se fait Badiou de la politique : « l’action collective organisée, conforme à quelques principes, et visant à développer dans le réel les conséquences d’une nouvelle possibilité refoulée par l’état dominant des choses. »

A voir à lire