La fin du monde par la science, Eugène Huzar

5  octobre 2008 | par Jean Zin

C’est un livre extraordinaire que nous offrent les éditions è®e avec des extraits de 2 ouvrages d’Eugène Huzar parus en 1855 (La fin du monde par la science) et 1857 (L’arbre de la science) non sans un certain écho à l’époque. C’est l’introduction de Jean-Baptiste Fressoz qui est la plus passionnante mais la postface de Bruno Latour sur ce "zozo" vaut le détour aussi, fustigeant "cette manière insensée, autodidacte, prophétique, outrancière, de parler de la Terre et du sort qui l’attend aux mains de la Science et de la Technique".

En fait, il n’y a là qu’une resucée des thèmes chrétiens du péché originel d’avoir goûté à "l’arbre de la science" (on pourrait y ajouter la tour de Babel), la seule originalité étant de faire de la chute un phénomène cyclique ("ce qui a été sera") destiné à se répéter : "L’orgueil de la science, ce vieux péché du monde, qui a été la cause de la chute de l’homme dans le passé, sera encore cause de sa chute dans l’avenir".

On y trouve la préfiguration de nombreux thèmes de science-fiction et du catastrophisme contemporain avec cette "archéologie du futur" qui se projette avec délectation dans le spectacle des ruines de la civilisation. Au-delà de la crainte que le canal de Panama ou l’extraction du charbon ne déséquilibrent la Terre ou qu’on arrive même à enflammer les mers ( !), on trouve des craintes plus raisonnables comme le dérèglement du climat à cause du CO2 ou les risques induits par une complexification devenue incontrôlable et multipliant les risques ! Tous les thèmes de "la société du risque" sont déjà là.

Le plus intéressant pourtant, c’est de voir comme ce catastrophisme se nourrit de l’utopie technologique et de la croyance dans un progrès infini qui bute sur la fragilité d’une Terre finie. On y retrouve la croyance que la diffusion des lumières, de l’écriture et de la science nous ferait accéder à un nouveau stade cognitif reliant toute la Terre avec des réseaux télégraphiques (les réseaux étaient déjà l’objet de l’admiration de Kropotkine et même de Lénine : le communisme c’est le socialisme plus l’électricité voulait dire plus les réseaux qu’ils soient électriques, postaux ou des chemins de fer).

On peut même y voir une préfiguration de la critique des nanotechnologies, plus justifiée peut-être quand on songe à l’utilisation des gaz de combat (peu maniables pourtant) ou à l’extermination de juifs :

    "En voyant ces atomes infiniment petits, produits par la science ; ces fluides invisibles, impondérables ; ces gaz intangibles, produire des effets si terribles, si inattendus ; nous nous sommes demandé si l’homme, étendant sans cesse sa domination sur les énergies de la nature, n’amènerait pas fatalement, et malgré lui, une de ces catastrophes dernières qui sont le dernier jour du monde".

LA FIN DU MONDE PAR LA SCIENCE, Eugène HUZAR, 160 pages, Textes choisis, introduits et annotés par Jean-Baptiste Fressoz et François Jarrige, éditions è®e (parution le 10 octobre)

http://www.editions-ere.net/projet153

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