Sommaire du numéro 54



Le patrimoine commun
de l'humanité



Edito : La grande aventure du XXIème siècle

Nouvelle série

Repères

Brèves

Les associations et l'Europe : vers un nouveau "maillage démocratique" ?
Julien WEINSBEIN

Chronique du Sens
André PARINAUD - "La grande aventure de la pensée vivante"
Entretien avec René LENOIR

Pensées

Eclairage
  • Génomique et patrimoine commun
  • L'eau, patrimoine commun
  • Développement durable et patrimoine commun


  • Restaurer, soigner, conserver. A l'instant de s'embarquer pour le prochain millénaire, notre société fait ses bagages. Et chacun d'y placer son bien le plus précieux ; pas nécessairement son tas d'or, ou la basilique d'Assise, mais les ressources en eau de la planète, comme Riccardo Petrella l'expliquait lors du séminaire du Centre international Pierre Mendès-France (voir l'article de Valérie Peugeot p. 11), ou les capacités énigmatiques de notre génome, comme l'expose Gérard Huber (voir p. 5). Naturel, génétique, historique ou notarial, le souci du patrimoine tourne à la manie. Chacun sait, certes, la fascination exercée par un mot qui ennoblit toutes choses qu'il touche. Et assurément l'idée convient bien à la nostalgie d'une fin de siècle encline à se pencher sur son passé. Pourtant cela n'explique pas tout.

    Il est des mots qui vivent, façonnés par l'attente d'une époque. Ils en reflètent les peurs, les désirs et les hontes, et leur fortune est à la mesure du besoin qui les fait naître. Le patrimoine est de ceux-là : pétri par les siècles, riche de mille facettes, le précieux concept se coule aujourd'hui dans le vocabulaire d'une société inquiète, comme pour la remettre sur les rails ; comme si elle s'était dévoyée. Débusquant la marchandisation ambiante des valeurs, il nous invite à réagir et nous propose un programme de sagesse en trois points : contre un rapport aux choses réduit à une stricte satisfaction de besoins matériels ; contre un rapport au temps réduit aux soucis de l'instant immédiat ; contre un rapport à autrui réduit à l'extrême par l'individualisme contemporain.

  • Devenue patrimoniale, la propriété retrouve une noblesse oubliée ; chaque geste, chaque usage prend un sens. Ce n'est pas de châteaux ni d'orfèvrerie qu'il s'agit ici, mais de l'eau, de l'air, du génome, c'est-à-dire de l'essence de la vie. Et comme chacun trouve ici des devoirs à la mesure de ses pouvoirs, chacun, pour préserver ces ressources, du plus grand industriel au plus modeste consommateur, a une mission à remplir et un rôle à jouer. Cessant d'être mien pour devenir nôtre, le bien s'imprègne des qualités de la personne. Voyez comme dans la quête de l'eau (p. 11), le défi technologique s'embellit de la fierté de l'artisan. Toute l'ingéniosité humaine y passe, et chaque goutte préservée ennoblit le geste qui l'a permis. La consommation, triviale, est loin.

  • Du jetable au durable. Le patrimoine nous rappelle encore au sens du temps. Ni passé, ni futur : l'important, nous dit-il, est le lien qui les unit. La mémoire la plus belle n'ayant de sens que pour féconder l'espoir, conserver un patrimoine, c'est un peu porter l'avenir, entre pères et fils, passer le relais, entre générations. Corrigeant le regard d'une société affligée de myopie, où le temps, en proie à la pression du court terme, ne cesse de rétrécir, le patrimoine invite à regarder plus loin. Sur les traces des Anciens, sur les traces de l'Orient de toujours, nous basculons dans la durée. Cependant, cet espace ouvert au temps, est également - mais qui en dira la clef ? - ouvert vers les autres.

  • Dépasser le modèle contractuel. Avec Olivier Godard, nous voici au marché des droits à polluer (page 16). Devant cette extrapolation d'une logique économique à la menace du réchauffement climatique, c'est-à-dire à des enjeux écologiques ou éthiques, certains renâcleront, peinant à admettre que la rencontre de l'offre et de la demande soit forcément la panacée en toutes choses. Il y a plus pernicieux encore. Qui dit marché pour l'économiste implique, pour le juriste, un flux de contrats. Or cela mérite attention. Le contrat rassure celui qui s'engage par la perspective d'un bénéfice équivalent. "Do ut des" : cet équilibre, promu "justice commutative", a fondé l'institutionnalisation de rapports symétriques. Qui ne voit pourtant que cette figure, respectueuse des intérêts bien compris d'un échange marchand, n'exprime somme toute qu'une logique d'épiciers ? Les ressorts humains seraient-ils pauvres au point que ce modèle ait dû déborder la sphère marchande pour s'imposer partout, incontournable, dans des relations politiques marquées par l'inégalité et jusqu'à l'éthique et l'écologique ? C'est la faute à Rousseau, certes. Mais ne serait-ce pas aussi un peu celle de Marcel Mauss, ne voyant dans le don qu'une forme primitive de l'échange, voire celle de Michel Serres, imaginant un improbable "contrat naturel" ? Or le patrimoine, rompant avec l'abus de contrat, offre une alternative.

  • Il n'est de patrimoine que commun. Famille, Nation, Humanité : au nom du groupe, le titulaire du patrimoine choisit de se restreindre, de dépenser son temps et ses efforts. Ici point de réciprocité : il n'est rien à attendre de ces "créatures muettes" comme dit Habermas, à qui sont destinés tant de peines et soins. La flèche est unilatérale, et l'effort consenti sans espoir de retour. Ce n'est pourtant pas d'altruisme qu'il s'agit, et par delà l'intérêt d'autrui, notre gardien sert bien le sien. Transmettant aux suivants de la cha"ne, il s'en fait le maillon : sa démarche, identitaire, lui vaut une place parmi les siens : l'élément s'inscrit dans le tout. Superbe modèle, décidément, superbe chantier, plus que tout transversal, à ouvrir d'urgence.

  • Martine Rèmond-Gouilloud

    Divers