En quoi les médias citoyens, blogs et podcasts, sont-ils différents ?

26  avril 2006 | par Loïc Le Meur

Soixante millions de blogs dans le monde et un qui se crée à chaque seconde. Une telle croissance n’est pas le fruit du hasard, mais de ce que les blogs, podcasts et wikis ne sont pas soumis aux contraintes des grands médias d’information (presse, radio et télévision) : ils n’ont pas l’obligation de « servir à quelque chose ».

Les blogs et podcasts se différencient en premier lieu des médias traditionnels par des coûts de production nuls ou très faibles. D’où le foisonnement des contenus, n’importe qui pouvant en créer, sans forcément avoir à se soucier de leur qualité. Ensuite, les blogueurs/podcasteurs n’ont aucune obligation d’audience et peuvent choisir de s’adresser à des niches, incluant leurs proches ou leur famille. La grande majorité d’entre eux préfèrent l’intimité à l’influence auprès d’une large audience. Ainsi ce podcasteur en fauteuil roulant, dont le site est animé par et pour des handicapés, qui échangent sur leurs expériences et leurs problèmes. Grape Radio , podcast sur le vin, cible les aficionados, i.e. un public qualifié et actif.

Contrairement aux grands médias, limités en espace (pour la presse) ou en durée de diffusion (pour l’audiovisuel), au sein desquels les journalistes doivent souvent se battre avec leur rédaction pour « placer » leurs papiers ou reportages, l’espace dont bénéficient les médias citoyens est illimité. Pour Arnaud Montebourg, que j’ai récemment podcasté, c’est là leur qualité essentielle : « avoir le temps de s’exprimer, et sans montage ».

N’ayant aucune contrainte d’horaire de diffusion, ils affranchissent leur audience de la limite « espace-temps ». Les fils RSS permettent au lecteur/auditeur/spectateur de ne jamais manquer un épisode de son contenu favori, sans avoir à se rendre disponible à un moment précis. Ne dépendant pas de kiosques, d’émetteurs ou de couverture satellite, ces sites n’ont pas non plus de contrainte géographique et peuvent être lus, vus et/ou écoutés partout dans le monde. La barrière de la langue constitue évidemment un frein mais la richesse du savoir disponible est sans précédent, accentuant le phénomène de mondialisation.

Dans le cadre d’un blog ou d’un podcast, l’internaute est seul décideur de ce qu’il veut lire, écouter ou voir. Rupert Murdoch a ainsi déclaré, devant des centaines de professionnels de la presse, qu’il faut « arrêter de lire l’actualité comme une messe » qui impose au lecteur ce à quoi il doit s’intéresser et comment. Avec les médias citoyens, chacun peut découvrir le contenu qui l’intéresse (texte, audio, vidéo), dans l’ordre souhaité.

La multiplication des blogs et podcasts et la liberté de chacun à s’y exprimer sans contrainte font que la richesse du contenu y sera rapidement beaucoup plus large et diverse que sur les grands médias. Le fait que nombre de contenus soient médiocres ou peu consultés n’est pas le plus important, puisque personne n’est obligé de les subir. L’enjeu majeur réside davantage dans le fait d’aider le public à s’orienter dans ces contenus foisonnants. Leur abondance est exacerbée par leur interactivité, l’audience participant autant, voire plus, que l’auteur lui-même. Depuis l’invention de l’imprimerie, tous les médias ont diffusé aux masses des informations créées par un petit nombre de journalistes. La « voie retour » a toujours été très limitée - à des espaces d’expression tels que le « courrier des lecteurs » - voire totalement inexistante. Au contraire, dans les meilleurs blogs, les lecteurs apportent leurs commentaires et écrivent ainsi trois à quatre fois plus que l’auteur. Ces « conversations » confèrent à ces sites une importante valeur ajoutée. Pour Dan Gillmor, le métier de journaliste évolue de manière radicale, passant de « voilà ce que je sais » à « voici ce que j’ai appris, qu’en pensez-vous ? ». Dans les médias citoyens, les commentaires des lecteurs enrichissent les propos de l’auteur, voire les rectifient en cas d’erreur. Habitués à cette nouvelle transparence, les auteurs de blogs et podcasts écrivent avec et non pour leurs lecteurs.

Les médias citoyens ne remplaceront certes pas le contenu professionnel, mais leur diversité et leur richesse draineront une audience cumulée très supérieure et obligeront les grands médias à s’adapter, en entrant dans le jeu de cette nouvelle conversation permanente avec le public.