Une rencontre et une amité tardive...

10  juillet 2007 | par Claire Souillac

Comme pour nombre de ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, lorsque Jacques est entré dans ma vie, il y a seulement trois ans, ce fut pour ne plus en sortir. J’étais alors étudiante en sciences de l’information et de la communication et nourrie de La Méthode d’Edgar Morin. Je devais m’atteler à la rédaction d’un mémoire de DEA que je souhaitais faire porter sur l’information, mais en dépassant une simple restitution historique de sa mise à jour, avec l’idée de le relier à l’humain, sans pour autant avoir encore les idées très claires sur la manière d’aborder mon sujet.

C’est dans ce contexte que j’ai tout d’abord approché Joël de Rosnay qui avait accepté de répondre à quelques questions sur la complexité, la transversalité,... Pour me préparer à cette entrevue, j’avais entre autre lu le livre de Brigitte Chamak sur le Groupe des Dix, dont je ne connaissais pas auparavant l’existence du principal instigateur. M’entretenant, avec un Joël passionné, de cette aventure intellectuelle dont bien des années plus tard avait jailli le GRIT, il me confirma alors que non seulement cette dernière association existait toujours, mais encore que la structure avait grand besoin d’une coordination plus suivie qu’elle ne le pouvait dans l’état de ses ressources. Evidemment, je fus d’emblée très enthousiaste à la perspective de pouvoir rejoindre un tel vivier d’idées et d’hommes... Joël m’orienta alors sur Laurence Baranski qui assumait ce rôle de coordination dans la mesure du temps que lui laissaient ses autres engagements, laquelle m’aiguilla sur Jacques Robin, ultime personne à rencontrer et « convaincre » que cette tâche pouvait peut-être m’être assignée.

Je le rencontrai chez lui, fin mai 2004, et fus dès l’abord impressionnée et séduite tant par les piles d’ouvrages -très visiblement parcourus avec la plus grande attention- jonchant la table du salon où il recevait, que par le vieil homme qui me faisait face... Comme d’autres l’ont dit, Jacques avait un regard très pénétrant, toujours empreint d’une bienveillante curiosité : il semblait soumettre à la question mais toujours pour extirper le meilleur de nous - et en veillant à ce que son interlocuteur fût à l’aise.

S’étant fait une idée de l’étendue évidemment très parcellaire de mes connaissances, il s’empressa de me conseiller des lectures, d’ouvrir devant moi les portes de réseaux et références dont j’étais totalement ignorante. Je ne savais pas encore où j’avais mis les pieds, comme je ne savais pas non plus que les problématiques dont je cherchais à m’emparer occupaient ardemment l’esprit toujours en alerte de Jacques.

L’été allait arriver, et durant ces mois estivaux le GRIT tournait au ralenti, la plupart de ses membres parcourant monts et vaux. Je ne devais pas quitter Paris afin de rédiger mon travail ; Jacques restait également. Ces circonstances firent que nous eûmes tout loisir de nous rapprocher, de découvrir nos affinités.

Il assista ainsi à la genèse de mon mémoire avec une constance et un intérêt éloquents, et bien sûr le nourrit de toute la richesse du savoir qu’il m’insufflait. Trois à quatre fois par semaine, je me rendais chez lui, et aussitôt il me questionnait sur l’avancement de mes réflexions et lectures, réclamant avec avidité la moindre des pages que j’avais pu noircir. De chacune de ces visites, je repartais les bras chargés des livres ou éditions de Transversales Sciences Culture qu’il me confiait, dont tel passage était susceptible d’apporter de l’eau à mon moulin... La fois suivante, nous échangions nos impressions. Ces ouvrages qu’il m’a offerts, pour la plupart affectueusement adressés à Jacques par leur auteur, constituent aujourd’hui une bibliothèque pétrie de vécue et de sentiment.

La rentrée est venue et les activités du GRIT ont repris, mais nos rituels étaient déjà bien installés ! Il m’a accompagnée tout au long de ces mois d’apprentissage au service du GRIT. Lorsque Jacques offrait sa confiance, il partageait ce qu’il était, ce qu’il aimait sans détour ni arrière-pensée.

Surtout, de ces échanges tantôt paisibles, tantôt impétueux, toujours entiers s’est ensuivie une amitié intense. Les décennies entre nous ne nous ont jamais séparés mais au contraire ont irrigué une profonde communion d’idées et de vues, sur la folle course du monde et des hommes, les petits bonheurs de la vie et les tsunamis, Lou Andréas Salomé et Laure Manaudou, l’art et l’utérus artificiel, l’information cette grandeur, ses amours, et celles des êtres qui lui étaient chers...

La précieuse période que j’ai vécue à ses côtés - ces instants de quiétude sur le balcon visité par les tourterelles comme nos discussions houleuses, la sagesse émanant d’une vie pleinement menée et d’une personnalité épanouie, sagesse dont il était si peu avare - me resteront un trésor inestimable dans lequel je puiserai toute ma vie, surtout aux meilleurs moments qu’elle me réserve encore, car Jacques était un grand et bon vivant et je l’entendrai toujours me dire : « Accepte le bonheur, Claire, accepte ton bonheur ! »...