Adieu Jacques, nous continuons

7  juillet 2007 | par Philippe Aigrain

Jacques Robin est mort ce matin du 7 juillet 2007.

Ses analyses ont été importantes pour moi près de 20 ans avant que je n’aie eu la chance de le rencontrer personnellement (en rejoignant Transversales Science Culture en 2003, lors de mon retour en France). Si ma mémoire ne me joue pas de tours, c’est aux premiers temps du CESTA en 1983 ou 1984 que j’ai lu un bref texte de Jacques Robin où il appelait à prendre conscience des mutations essentielles de l’ère de l’information. Ce fut pour moi un moment clé. J’y vis la confirmation de ce que la visée d’une construction sociale, anthropologique des techniques informationnelles n’était pas une idée complètement loufoque, qu’il y avait des gens sérieux qui y croyaient aussi. Cet effet de Jacques - dont j’ai bénéficié à distance - était en réalité typique. On ne compte pas les personnes à qui il a donné la confiance de croire en ce dont ils étaient porteurs, qu’il a mis en relation avec des complices, qu’il a poussés sans cesse à aller plus loin. Cet infatigable sprinter (et sauteur en longueur) a fini par être rattrapé par la fatigue de l’âge. Et son travail est inachevé.

Tous ceux qui comme moi l’ont suivi dans l’effort de faire comprendre la portée des mutations informationnelles ont une dette particulière à règler. Car ce grand amoureux de la vie était éternellement insatisfait de ne pas avoir réussi à communiquer pleinement sa vision de ce qu’est l’information, vision qu’il portait comme une lampe torche éclairant le monde et l’actualité. Une phrase revenait pour nous rappeler cette insatisfaction : l’information est une nouvelle dimension de la matière. Elle lui servait à rappeler que c’est le rapport des êtres humains à l’univers matériel et à la production qui devra se transformer tout autant que les échanges intellectuels et sociaux. Bien des complices ont tenté d’expliquer en quoi consistait cette information, sans vraiment traduire tout ce qu’il voulait dire. Lui même tentait parfois d’illustrer sa vision par des fresques plus générales, mais sans vraiment parvenir à la faire partager. C’est que le temps n’était pas mûr, que les pratiques (scientifiques, techniques, humaines) n’étaient pas encore au diapason. Il y a toujours une injustice à que s’interrompe une vie et tant d’amitiés. Mais cette injustice là, ce refus du temps de venir assez vite pour rendre pleinement communicable son intuition, nous allons continuer à essayer de la réparer.