Repères : Médias, pas assez ou trop de femmes ?

26  novembre 2006 | par Valérie Peugeot

Le couperet est tombé : l’Association française des Femmes Journalistes (AFJ) vient de publier l’édition 2006 de son enquête sur la place des femmes dans la presse quotidienne généraliste. Le jour de l’enquête, seules 17% des personnes mentionnées dans les journaux analysés étaient des femmes, et moins d’un tiers des photos représentaient des femmes (hors publicité).

Observer et former : premiers jalons d’une transformation

Cet effacement des femmes dans les médias n’est qu’un aspect. Si elles ont su conquérir une place tout à fait honorable dans le métier de journaliste (la proportion de femmes titulaires de la carte de presse en France est de 42%), leur présence chute drastiquement lorsque l’on s’intéresse aux postes à responsabilités : les patrons de presse sont en très large majorité des hommes. A noter que lorsque l’auteur d’un article est elle-même une femme, la proportion de femmes mentionnées augmente.

Media Gender Monitor - 20.7 ko
Media Gender Monitor

Le travail de l’AFJ n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un observatoire mondial des médias, qui cherche à promouvoir une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les médias à travers le monde. Ce projet est porté par la WACC (World Association for Christian Communication). La phase d’observation, menée dans 76 pays avec une méthodologie rigoureuse, est prolongée par 3 semaines d’action, soutenues sur tous les continents par des « media activistes », des professionnels des médias, des représentants de la presse alternative, de mouvements sociaux et des droits de l’homme. « Who Makes the News ? », la dernière édition de cette campagne, s’est déroulée en février et mars 2006. Des actions de formation viennent également compléter le dispositif : les apprentis journalistes intègrent dans leur métier une dimension éthique et une sensibilité à la question des « genres » dans leur travail.

Mais observation et formation ne suffisent pas. Certain(e)s militant(e)s constatent que le regard que portent les médias sur le monde reste d’essence masculine. Ceci n’est pas seulement lié au genre des journalistes et des directeurs/trices de rédaction, mais au positionnement des médias dans la société. En se positionnant comme « quatrième pouvoir » et en interagissant avec d’autres univers de pouvoir - économique et politique - qui restent dominés par les hommes, la presse participe d’une culture masculine.

Les pénélopes - 29.1 ko
Les pénélopes

Un regard féminin sur le monde

Prenant acte de cette situation, en 1996 un groupe de militant(e)s créait « Les Pénélopes », agence de presse féminine. Bien entendu, Les Pénélopes donnent la parole aux femmes plus que ne le font les médias traditionnels. L’agence met notamment en avant leurs portraits, comme celui de Lada Wichterlova, bibliothécaire tchèque ou celui de Marie-Elise Gbédo, présidente de l’association des femmes juristes du Bénin (AFJB), avocate et ancienne ministre du Commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Elles traitent prioritairement de sujets très proches des préoccupations des femmes, en particulier des femmes de pays pauvres. C’est le cas de ce reportage sur l’implication des africaines dans l’économie solidaire ou du dossier sur le syndicalisme féminin. Mais elles font bien plus encore : elles apportent un regard spécifiquement féminin sur des thèmes universels, en couvrant de grands sujets et évènements de société - la place de l’église et la montée de l’extrême droite en Pologne ; le sommet mondial de la société de l’information,.

Les femmes, moteur de l’économie des médias ?

Paradoxalement, la présence des femmes dans la publicité, qui truffe les pages de nos journaux et magazines, est inversement proportionnelle à leur présence dans les articles. Or cette présence ne sert pas toujours l’image de la femme, loin s’en faut. Le collectif « La meute » traque ces publicités et les dénonce inlassablement sur son site Web.

pub_nocibe - 78.5 ko
pub_nocibe

Parfois ce sont les entreprises elles-mêmes qui, dans une sorte d’exercice de Jiu Jitsu, intègrent dans leur campagne marketing une dénonciation du formatage des femmes. Anita Roddick, fondatrice de la chaîne de produits de beauté britannique « Body Shop », a été une des premières sur cette voie. Plus récemment, la marque de shampoing Dove suit sa trace, comme dans une publicité récente qui montre comment une jeune femme tout juste jolie est artificiellement transformée, à grands renforts de maquillage, coiffure et logiciel Photoshop, devenant un idéal inaccessible, source de frustration pour la femme normalement constituée.

Marketing opportuniste ou réel ras le bol de femmes d’entreprises refusant d’être complices du formatage ? Probablement un peu des deux.

La question particulière de la publicité ne peut être décorrélée de celle des médias en général. De fait, il y a belle lurette que les abonnements ne représentent plus qu’une part infime de leur chiffre d’affaire, alors que la publicité est au cœur de leur modèle économique.

Avec l’arrivé massive de la presse gratuite et de la presse en ligne, cette tendance s’accentue. Dans ce qu’on appelle « l’économie de l’attention », l’accès à l’information n’est plus vendue - cette dernière circule chaque jour plus librement. En revanche les supports en ligne et hors ligne se disputent l’attention des lecteurs (et auditeurs ou téléspectateurs). Pour la capter, nombre de nos publicitaires, en manque d’imagination, semblent considérer que rien ne vaut l’image féminine, dénudée si possible.

Prêtons nous au jeu d’imaginer une « grève de l’image » des femmes, mouvement social dans lequel les mannequins refusent de prêter leur corps à des publicités sexistes. C’est tout simplement l’économie des médias qui s’écroule !