L’évaluation des coûts externes associés à chaque forme d’énergie : nécessaire mais critiquable

31  octobre 2005 | par Sylvie Faucheux, Samir Allal

L’évolution du prix du pétrole brut et la reconnaissance générale des menaces qui affectent l’environnement, renforcée récemment par la confirmation des risques climatiques, a entraîné un regain d’intérêt notable pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables du fait des avantages environnementaux et sociaux qu’elles présentent par rapport aux sources d’énergies conventionnelles. En effet, l’augmentation massive de la production et de la consommation d’énergie à forte teneur de carbone peut avoir des effets négatifs et coûteux qui n’étaient pas toujours visibles, souvent mal identifiés et rarement pris en compte dans le processus de décision.

Une évaluation nécessaire

Identifier ces coûts externes, les évaluer, c’est faire un pas en avant dans la définition des politiques énergétiques durables où chaque forme d’énergie est traitée en fonction de son coût social et environnemental complet et non pas seulement en fonction de son coût économique. Parmi les recherches dans ce domaine, on peut citer les travaux de la Commission européenne « ExternE » pour la production d’électricité par exemple. Le point de départ du calcul des externalités se fait, dans ce cas, à partir d’un site géographique et d’une technologie donnés. On évalue ensuite le volume des émissions, leur dispersion atmosphérique et leur impact. On calcule enfin la valeur monétaire des effets.

Le résultat de cette évaluation montre que pour la production d’électricité, les coûts externes varient substantiellement d’un mode de production à un autre. L’ampleur des variations peut aller de 1 à 10. La valeur des externalités dépend essentiellement de l’énergie primaire et de la technologie utilisées, mais aussi de la localisation de la centrale. L’évaluation monétaire des dommages climatiques dûs aux émissions de gaz à effet de serre est calculée à partir d’un prix de référence (shadow price), ou taxe virtuelle, visant à atteindre les objectifs fixés dans le protocole de Kyoto.

Dans ce cas, les filières énergétiques les moins bien placées sont le charbon et les lignites, avec notamment d’importants effets sur la santé humaine - dégradation de la santé et décès prématurés - et le changement climatique. La production éolienne, l’électricité nucléaire, et dans certains cas la biomasse, sont les modes de production le mieux placés en terme d’externalités.

On imagine assez bien les difficultés méthodologiques et interprétatives auxquelles se heurte une telle recherche. Quel est le prix de la vie humaine ? Quel est le prix du temps et la valeur qu’on doit attribuer à certains coûts que nous léguons aux générations futures ? ...

Une évaluation critiquable

Tous ces calculs bien que très utiles, sont donc à la fois critiquables et perfectibles. Critiquables dans les hypothèses retenues, le traitement des incertitudes, les méthodes utilisées ; perfectibles au fur et à mesure que l’on améliore nos connaissances des effets du changement climatique, les modalités de dispersion atmosphérique des particules, l’épidémiologie de la pollution. Plus fondamentalement, le degré de leur prise en compte dépend des préoccupations de chaque société ainsi que de l’état de nos connaissances.

En effet, des raisons telles que l’incertitude, les échelles de temps longues, les préoccupations distributives et la diversité des positions éthiques rendent souvent l’évaluation monétaire difficile. La distribution des coûts et des bénéfices, l’identification des risques et les avantages futurs, feront inévitablement l’objet de controverse. Ce qui signifie que la conception de politiques énergétiques ne devrait pas passer par une recherche d’allocations de ressources « socialement optimales » mais d’avantage par un processus de négociation pour régler souvent imparfaitement un ensemble de conflits d’intérêts et de principes normatifs.

Dans ce cas, tout processus d’internalisation passe forcément par « un contrat social » c’est-à-dire par un partenariat large des acteurs sur la base de la responsabilité réciproque. Une fois admis le caractère typiquement « public » des bénéfices, ou des coûts à internaliser, il s’ensuit que toute perspective d’une véritable « demande sociale » d’internalisation, reposera sur un engagement collectif en amont.

En d’autre terme, la création des « marchés » ou, plus généralement, des conventions et des mécanismes institutionnels qui assurent l’internalisation des bénéfices ou des coûts sociaux, ne peuvent pas dépendre exclusivement d’une évaluation monétaire des effets en question. Il faut savoir mettre en visibilité les enjeux significatifs pour les acteurs économiques afin de mener une négociation entre intéressés qui assure l’engagement de tous les partis. C’est une internalisation collective qui implique la coordination et la mise en communication de tous les « stakeholders ».

Conclusion

Toute politique d’internalisation de bénéfices sociaux ou de prise en compte des risques et dommages éventuels, implique donc la mise en place d’une structure de gouvernance qui affirme la qualité de l’environnement comme origine de la valeur, source de richesse, base de santé et composant de bien-être. Elle établit un jugement sur le niveau acceptable d’émission de « polluant » ou de « risque », et opère des procédures et mécanismes pour la « responsabilisation » de tous les acteurs (consommateurs, producteurs, administration, citoyens,...).

Aucune forme d’énergie n’est parfaite. Toutes les formes d’énergie combinent des avantages et des inconvenants, difficilement quantifiables, source de conflits et de controverses. Même si actuellement, elles ne sont pas placées sur un même pied d’égalité puisque, pour l’instant, les grandes énergies fossiles ne paient pas, toujours les coûts sociaux et environnementaux qu’elles engendrent tandis que les énergies renouvelables ne reçoivent pas systématiquement une compensation pour les coûts qu’elles évitent.

Enfin, dans le contexte actuel d’incertitudes et de risques, toute politique énergétique de développement durable implique que l’on mette en place ces nouvelles formes de gouvernance et de concertation afin d’internaliser progressivement toutes les externalités identifiées, de diversifier le bouquet énergétique et maîtriser nos émissions et nos consommations. Elle implique de redéfinir l’ensemble des objectifs et la régulation de notre système énergétique de manière solidaire.

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