Génétique, biologie et enjeux démocratiques


SOMMAIRE

  • Clonage et transfert de noyau : des connaissances à bien distinguer - Henri Atlan
  • Gènes et société - Michel Morange
  • Confiscation du vivant - JP Berlan
  • Des outils pour une démocratie des choix technologiques - Jaques Mirenowicz

    Vingt ans après la naissance de Louise Brown, premier bébé-éprouvette, les capacités d'intervention à la fois sur la reproduction et sur le patrimoine génétique ne cessent de croître. La production d'animaux transgéniques, de plantes génétiquement modifiées, le clonage, la thérapie génique, le séquençage du génome humain, le dépistage génétique des maladies, l'utilisation généralisée des tests génétiques, la brevetabilité du vivant soulèvent de multiples interrogations.

    Des paradigmes dominants en biologie s'effacent, même si depuis des années certains chercheurs les avaient déjà abandonnés. Ainsi en est-il du tout-génétique, qu'Henri Atlan mettait en cause dans Transversales n°33 (mai-juin 1995) en analysant la métaphore de "programme génétique". Ci-après, Henri Atlan attire l'attention sur la nécessaire distinction entre clonage et transfert de noyau. Cette contribution est essentielle pour que puisse être mené un débat sérieux sur les enjeux démocratiques auxquels nous sommes confrontés. L'attitude à adopter vis-à-vis du clonage humain reproductif (visant à donner naissance à un nouveau-né) diffère de celle vis-à-vis du clonage non reproductif qui vise à créer des cellules, des tissus, des organes. D'autant plus que les "cellules embryonnaires souches ou indifférenciées" peuvent aussi après culture en laboratoire être utilisées comme "pièces de rechange pour cellules usées". Mais se pose alors la question des recherches sur les embryons et le clonage humain qui avaient donné lieu à des positions unanimes d'interdiction ou de moratoire.

    Récemment, un avant-projet de loi belge puis une annonce de la direction des National Institutes of Health des États-Unis sont revenus sur cette interdiction, déclarant que "les cellules embryonnaires indifférenciées n'ayant pas la capacité de se développer en un être humain, elles ne peuvent être considérées comme des embryons".

    Derrière ces débats d'éthique, des intérêts marchands considérables sont en jeu. C'est pourquoi nous réclamons pour l'instant un moratoire de quelques années dans ces domaines d'autant que de nombreuses recherches fondamentales peuvent aboutir à de nouvelles perspectives.

    Bien plus, le monde scientifique change : les effets d'annonce dans les médias avant même la publication d'articles dans des revues scientifiques se multiplient. Les règles et normes se distendent. De plus en plus de chercheurs se livrent au marketing. D'autres se trouvent prisonniers d'une logique de rentabilité à court terme. Un pilotage par l'aval industriel se fait toujours plus pressant. L'indépendance des experts fond comme neige au soleil. Au problème de l'indépendance des experts se superpose celui du choix des experts par les politiques, choix qui fait fi de toute règle de procédure. Il devient primordial de contrecarrer les tendances du système actuel pour assurer une véritable indépendance vis-à-vis des pouvoirs, quels qu'ils soient, politique, économique, philosophique...

    Transversales souhaite un débat permanent sur ces sujets. Dans l'éclairage ci-après, issu de réunions en commun avec le Centre international Pierre Mendès-France, de biologistes, d'économistes, de politiques, mais aussi de citoyens, on trouvera à côté du texte d'Henri Atlan un article de Michel Morange sur "Gènes et société", puis une contribution de Jean-Pierre Berlan : "Confiscation du vivant". Il s'est déjà attaqué au "complexe génético-industriel" qui s'empare des organismes génétiquement modifiés dans le monde agricole.

    Transversales s'efforcera de ne jamais déroger à une approche transdisciplinaire et démocratique du sujet(1). Le dernier article de Jacques Mirenowicz indique quelques outils pour ce débat citoyen. Nous donnons dans la rubrique "Focus" de notre site Web des éléments d'approfondissement sur ce thème "Génétique, biologie et enjeux démocratiques".

    Réclamer une maîtrise de l'utilisation des applications génétiques dans le but de limiter les atteintes à la liberté, à l'autonomie et à la dignité des hommes et des femmes devrait devenir l'un des soucis de chacun d'entre nous. Pour que les intérêts financiers de quelques-uns ne priment pas sur le bien commun et que le vivant ne soit pas réduit à une source de profit, il est grand temps que les citoyens ne se sentent plus impuissants et se mobilisent. À l'heure où l'étendue des connaissances et leur exploitation précipitée suscitent des questions éthiques d'une importance primordiale pour l'avenir de l'humanité, il est impératif que de grands débats démocratiques s'instaurent, qui ne se limitent pas au seul cadre de la communauté scientifique, des technocrates et du monde politique.

    Brigitte CHAMAK et Jacques ROBIN


    1. Nous soulignons, sur ces thèmes, le remarquable numéro du Courrier de la Planète de juillet-août 1998, "Essor des biotech et principe de précaution", Tél : 04 99 23 22 80.