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Revue des sciences (09/08)

Le 1er  septembre 2008 par Jean Zin

En fait de revue des sciences, il n’y aura ici que le compte-rendu de la revue Pour la Science. Dans cette nouvelle formule, les brèves sur la physique, le climat, la biologie, la santé, les technologies ont été éclatées en articles indépendants.


«Je pense que la nature est plus intelligente que les physiciens. Nous devrions avoir le courage de dire : "Que la nature nous dise ce qui se passe". Notre expérience du passé a démontré que dans le monde de l'infiniment petit, il est extrêmement stupide de prédire la nature de la prochaine découverte physique et d'où elle viendra. De multiples façons, ce monde nous surprendra toujours». (Carlo Rubbia)

Attendre la surprise ! Alors que le LHC, véritable illustration des démesures de la technoscience, devrait commencer ses expériences décisives le 10 septembre, c'est la physique qui est à l'honneur ce mois-ci. En effet, l'effervescence théorique des physiciens est à son comble témoignant de tout ce qu'on ignore encore malgré tout ce qu'on croit savoir. Rien de tel pour éprouver les limites de notre rationalité. La physique a toujours défié l'imagination et détrompé des plus belles théories. C'est bien ce qui est passionnant dans les sciences, plus que le résultat dogmatique (technique), et c'est pourquoi on rend compte ici de théories qui n'ont presque aucune chance d'être vérifiées mais, justement, tout est dans le presque et ce qui rend possible que ce ne soit pas pur délire en dehors du discours scientifique. La biologie n'est pas en reste avec l'hypothèse (farfelue?) que papillons et chenilles seraient 2 organismes distincts ayant fusionné leurs génomes ! Sinon, j'ai été très ému par l'histoire du chimpanzé qui se prenait pour un enfant, histoire rapportée par Courrier International, à la fois très troublante sur notre proximité avec les singes et révoltante sur l'irresponsabilité des chercheurs... Récit capable de nous faire éprouver colère et pitié. L'utilisation de véritables neurones pour contrôler des robots est aussi troublante. Pour le climat, la menace se précise hélas d'une fonte du permafrost, véritable bombe climatique aux risques démesurés qui devrait nous mobiliser sans plus tarder alors que se renforce l'hypothèse que les conditions de la vie évoluée sont exceptionnelles dans tout l'univers.

[ Brèves : physique - climat - biologie - santé - technologies ]

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Pour la Science no 371, Le verre biologique


Pour la Science

-  L’investissement écologique
-  L’univers quantique auto-organisé
-  Chenilles et papillons : fusion de 2 organismes ?
-  Les ARN des bactéries pathogènes
-  Un bras qui repousse ?
-  Les hydrates de gaz, un rouage du climat ?
-  Les racines de la Méditerranée et de l’Europe

- L'investissement écologique, p8
Ivar Ekeland

Les actions écologiques nécessitent des investissements actuels pour un bienfait à très long terme. Comment pouvons-nous évaluer les taux d'intérêt de l'argent investi ?

Le long terme n'est plus ce qu'il était. Voici quelques années encore, il s'arrêtait à 30 ans : au-delà commençait le royaume de l'utopie. La préoccupation nouvelle pour l'environnement a changé tout cela. Ainsi, selon le très influent rapport de Nicholas Stern sur le réchauffement climatique (disponible sur la Toile), l'inertie du système atmosphérique est telle que le cours des 50 prochaines années est déjà déterminé : les mesures que nous prendrons (ou ne prendrons pas) aujourd'hui n'influeront sur le climat qu'entre 2050 et 2200. C'est, à ma connaissance, la première fois que les économistes se projettent aussi loin dans l'avenir et les conclusions sont percutantes : si nous ne faisons rien, le coût du réchauffement climatique pour l'économie mondiale sera de 5 à 20 pour cent du pnb par an, mais des mesures préventives efficaces mises en place dès aujourd'hui coûteraient moins de 1 pour cent du PNB.

Le problème, c'est que les taux à très long terme sont très bas. Un calcul théorique les situe autour de 1,5% par an (en fait les taux à 50 ans sont de 5% et il n'y en a pas à 200 ans) mais à condition d'une inflation maîtrisée ce qui est peu probable sur cette durée. Le marché se révèle ainsi complètement incapable de satisfaire ces investissements à très long terme, hors de toute visibilité dans un monde incertain (on est dans le principe de précaution), et qui sont donc inévitablement publics.

- L'univers quantique auto-organisé, p44

Une nouvelle approche du problème de la gravitation quantique, qui tourmente les physiciens depuis des décennies, propose que des briques d'espace et de temps s'assemblent et s'auto-organisent pour engendrer l'Univers tel que nous le connaissons.

Quelle est la nature profonde de l'espace et du temps ? Pourquoi forment-ils un continuum apparent à quatre dimensions - trois d'espace et une de temps - qui sert de toile de fond à notre monde physique ? Sont-ils continus ou discrets à très petite échelle ? Comment sont-ils apparus ? De telles questions, à la frontière de la physique actuelle, sont l'objet des théories quantiques de la gravitation, qui cherchent à réaliser l'unification de la théorie de la relativité générale d'Einstein avec la théorie quantique. La théorie de la relativité décrit comment se comporte l'espace-temps à grande échelle, produisant ce que nous appelons la gravitation. À l'opposé, la théorie quantique décrit les lois de la physique aux échelles atomique et subatomique, en ignorant complètement les effets de la gravitation. Les deux semblent à première vue incompatibles, et résistent depuis plusieurs décennies à toute tentative d'unification. Toutes les théories de la gravitation quantique ont pour but de décrire la nature de l'espace-temps aux très petites échelles par des lois quantiques, et si possible de les expliquer en termes de constituants fondamentaux.

L'idée de cette gravitation quantique euclidienne (ou triangulations dynamiques causales) défendue par Renate Loll et Jan Ambjorn (dont parle Lee Smolin dans son livre "Rien ne va plus en physique"), c'est de raisonner à partir d'éléments d'espaces triangulaires, aussi petits que possibles mais granulaires (quantiques, non nuls), et de leur appliquer les règles de la superposition quantique, ce qui produit un enchevêtrement chaotique d'une infinité de dimensions. En appliquant simplement le principe de causalité, c'est-à-dire en donnant une orientation temporelle à chaque triangle, on retrouverait magiquement notre espace-temps à 4 dimensions. Il est trompeur de parler d'émergence de l'espace et du temps car le temps on l'a introduit avec la causalité et l'espace avec les triangles déterminant une surface. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'on a trouvé ainsi une théorie quantique (granulaire) de l'espace-temps, ramené à des interactions entre "atomes d'espace-temps". On ne devrait même plus parler d'espace-temps car le temps a été détaché de l'espace. Insister sur sa supposée auto-organisation signifie simplement que l'apparence de l'espace macroscopique résulte de lois statistiques appliquées à des éléments fluctuants au niveau quantique. Une des conséquences les plus étonnantes, c'est que le nombre de dimensions dépendrait de l'échelle et que l'espace-temps pourrait être fractal (auto-similaire) bien en dessous de la longueur de Planck, ce qui signifie que "le concept de taille n'y existe tout simplement plus", notre espace-temps n'étant qu'un effet d'échelle émergeant d'une dynamique sous-jacente entre éléments fluctuants, un peu comme dans un gaz.

A des échelles encore plus petites, à l'échelle de Planck et au-dessous, les fluctuations quantiques de l'espace-temps deviennent tellement prédominantes que les notions de géométrie classique cessent d'être valables. Le nombre de dimensions tombe de 4 à environ 2 ! Néanmoins, pour autant qu'on puisse se prononcer, l'espace-temps reste continu et ne présente pas de trous-de-ver (...) A ces échelles, la géométrie de l'espace-temps obéit à des règles non classiques, mais le concept de distance s'applique toujours.

Nous explorons actuellement des échelles encore plus petites. Une possibilité est que l'univers devienne autosimilaire et présente alors le même aspect à toutes les échelles au-dessous d'un certain seuil.

Scientific American qui édite Pour la Science aime bien l'auto-organisation mise à toutes les sauces depuis l'économie (libérale) jusqu'à l'origine de la vie (métabolique) ou la religion (God 2.0) et maintenant appliquée à la constitution de l'espace-temps. Il ne s'agit pas de contester l'auto-organisation qui est un fait : l'univers tout entier est auto-organisé puisqu'il n'a pas d'organisateur ni de créateur. Ce qu'il faut contester, c'est que l'auto-organisation vaille comme explication, de même que le hasard ne peut être la cause de rien, de même l'auto-organisation n'explique absolument rien. Ce qui importe, ce sont les forces de sélection qui vont opérer pour sculpter l'organisme final. Le darwinisme doit être compris comme une causalité descendante opérant après-coup par sélection des structures les plus durables. Les mutations aléatoires tout comme les ajustements de l'auto-organisation ne valent qu'à explorer les possibilités immédiates, à court terme, mais ce qui compte c'est la réalité qui s'impose à la fin dans une configuration durable sur le long terme. Là aussi, tout dépend de l'échelle de temps considérée entre l'instabilité élémentaire et une stabilité globale beaucoup plus durable. Comme dit René Thom, expliquant les fondements de sa "théorie des catastrophes" :

"Il est illusoire de vouloir expliquer la stabilité d'une forme par l'interaction d'êtres plus élémentaires en lesquels on la décomposerait (..) La stabilité d'une forme, ainsi que d'un tourbillon dans le flot héraclitéen de l'écoulement universel, repose en définitive sur une structure de caractère algébrico-géométrique (..), dotée de la propriété de stabilité structurelle vis-à-vis des perturbations incessantes qui l'affectent. C'est cette entité algébrico-topologique que nous proposons d'appeler - en souvenir d'Héraclite - le logos de la forme". René Thom, Mathématiques de la Morphogénèse, p205


- Chenilles et papillons : fusion de 2 organismes ?, p52

La forme larvaire de certains animaux diffère notablement de la forme adulte. Ces différences morphologiques traduiraient la fusion d'organismes dont les génomes s'exprimeraient l'un après l'autre au cours de la vie de l'animal.

Dans son œuvre, Darwin mettait l'accent sur le caractère graduel de l'évolution, l'accumulation de modifications mineures transmises via les mécanismes de l'hérédité. Ce gradualisme a aussi été prôné par les partisans de la théorie synthétique de l'évolution, dans les années 1960-1970. Cependant, il ne fait pas l'unanimité. De fait, certaines formes ne peuvent s'expliquer que par un changement soudain. C'est notamment le cas des larves, les formes juvéniles de nombreux animaux. Elles diffèrent parfois si notablement des adultes qu'elles deviennent, qu'un observateur non averti pourrait y voir deux espèces. En un sens, il pourrait avoir raison ! Selon l'hypothèse du « transfert larvaire » que nous proposons, les larves, et les gènes qui les spécifient, auraient été transférés d'une lignée animale à une autre par une hybridation entre espèces. En d'autres termes, les animaux qui ont une forme larvaire seraient-ils issus de la fusion de génomes exprimés l'un après l'autre ?

C'est l'hypothèse la plus étonnante de ce mois, hypothèse contestable mais stimulante. La chenille serait à l'origine une chenille (comme les péripates qui restent des chenilles une fois adultes) et le papillon un papillon avant qu'ils ne mélangent leurs génomes ou plutôt, ils ne les mélangent pas mais les ajoutent pour les exprimer l'un après l'autre ! C'est là la nouveauté, une nouvelle forme de symbiose qui est un partage du travail dans le temps avec une phase larvaire destinée à l'accumulation de réserves et une phase sexuelle dédiée à la reproduction (les papillons sont tout de séduction). En fait ce transfert larvaire n'a été étudié pour l'instant que chez des crabes, étoiles de mer et autres concombres de mer mais il se base sur le contraste entre le fait que des larves paraissent identiques avant de se métamorphoser en organismes très différenciés. Il permettrait d'expliquer certains sauts de l'évolution (révolutionnaires) qui se produisent par réorganisation et transfert de gènes plutôt que par optimisation des fonctions existantes et ne se limitent pas à l'acquisition d'une forme larvaire (absent des pieuvres et calamars par exemple).

Cette hybridation est contestée par Marc-André Selosse qui privilégie l'hypothèse d'un ancêtre commun ou de la convergence bien connue (entre dauphins et poissons par exemple), si ce n'est les différences d'expression des gènes au cours du temps (sevrage). Il y a souvent aussi un dimorphisme prononcé entre mâles et femelles sans que ce soit le résultat d'une fusion d'organismes différents. Le phénomène de transfert de gène par fusion semble bien problématique enfin, mais l'idée est nouvelle et ne manque pas d'intérêt. Les larves comme les chenilles auraient pu acquérir cette propriété d'accepter un génome étranger pour lui passer la main dans la métamorphose. Mais si l'état larvaire est un caractère primitif, ce n'est qu'un cas particulier d'arrêt du développement, comme un prolongement de l'enfance. En tout cas, c'est bien le même organisme qui se métamorphose puisque le papillon garderait une certaine mémoire du temps qu'il était chenille ! A signaler quand même que Sciences&Avenir (p24) fait état de la perplexité provoquée par le génome d'un ver (meloidogyme incognita) qui semble constitué de 2 génomes différents. A suivre...

- Les ARN des bactéries pathogènes, p66

Les bactéries pathogènes perçoivent leur environnement grâce à des systèmes sensoriels élaborés et reprogramment l'expression de leurs gènes dédiés à l'infection. Des ARN sont au cœur de cette adaptation.

Ce sont les ARN les véritables acteurs de la vie à qui l'ADN sert de mémoire et les protéines d'outils. On se rend compte qu'ils servent aux bactéries à se coordonner, à se réguler, à déclencher la virulence en fonction de la température, etc. Le danger dans le fonctionnement de la cellule, c'est de se perdre dans sa complexité entre processus correctifs et correctifs des processus correctifs, par un système d'inhibition et d'inhibition de l'inhibition...

- Un bras qui repousse ?, p76

Quand une salamandre perd une patte, le membre repousse spontanément. Les biologistes commencent à comprendre les mécanismes d'une telle régénération et espèrent améliorer la « réparation » des amputations et des blessures graves.

Cela fait quelques temps maintenant qu'on espère pouvoir retrouver la capacité des salamandres à régénérer leurs membres, comme nous le faisons pour la peau, les muscles ou le foie, mais ce n'est pas pour demain, au moins 10 à 20 ans, si on y arrive ! car rien ne garantit qu'on arrive à reconstituer les articulations de la main en particulier. Il n'en est pas moins fascinant d'essayer de comprendre le développement des cellules souches selon leur position dans le corps jusqu'à reconstituer le "plan initial".

- Les hydrates de gaz, un rouage du climat ?, p84

De la glace d'eau emprisonne des hydrocarbures au fond des océans et les empêche d'être libérés dans l'atmosphère. Cette « bombe à retardement » influe-t-elle sur notre climat ? Peut-être. Qui plus est, elle façonne les paysages sous-marins.

En fait l'article reconnaît peu de participation des hydrates de méthane aux modifications climatiques en dehors du très meurtrier PETM (Maximum Thermique du Paléocène-Eocène, il y a 55 millions d'années), sans doute par la rencontre de laves volcaniques et de gisements organiques. "Cet épisode constitue donc, à quelques différences près, un analogue géologique de la perturbation anthropique". D'autres études les rendent pourtant responsables de bien d'autres extinctions massives mais ces épisodes ne durant que quelques dizaines d'années, ils ne sont sans doute pas déterminants sur les évolutions du climat à plus long terme (sauf si c'est ce qui a mis fin à la "Terre boule de neige"?). Si la libération des hydrates de gaz du pôle Nord ne fait guère de doutes avec la fonte des glaces accélérée, l'échelle de temps considéré va de 1000 à 100 000 ans pour un réchauffement de 1,5°C. Le problème, c'est qu'on risque d'aller bien au-delà... En fait, à relativement court terme, le plus grand danger serait celui de la déstabilisation des pentes continentales, de glissements de terrain provoqués par la dislocation des hydrates et qui peuvent provoquer des tsunamis meurtriers comme il y a 8100 ans.

L'influence des hydrates de méthane sur le climat a probablement été anecdotique au cours de l'ère quaternaire, mais ils ont toujours leur place dans les scénarios catastrophiques.


- Les racines de la Méditerranée et de l'Europe,
Jean Guilaine, Collège de France/Fayard, 2008, 94 pages

Rien de tel qu'un texte court et dense pour aborder une question immense : la néolithisation. Dans sa leçon de clôture, l'auteur peint une grande fresque de la protohistoire couvrant plusieurs millénaires. Il distingue le Néolithique précurseur du Proche-Orient méditerranéen de celui de l'Europe. Pour autant, il souligne les caractéristiques propres du Néolithique européen, qui sont à l'origine des mondes grecs, italique et celtique, dont sortira l'Occident médiéval.



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