La relativité d’échelle en question

2  mai 2007 | par Jean Zin

Parmi les newsletters scientifiques, la lettre des Automates Intelligents se signale par son intérêt et son anticonformisme. Bien que nos points de vue soient assez différents je suis assez souvent surpris de la proximité de nos interprétations malgré tout. On ne peut leur reprocher un réductionnisme affiché, qui reste assez prudent et modéré, dès lors que leur ambition est de donner plus d’intelligence aux automates. Par contre, c’est sans doute la sous-estimation de la notion d’information (dans ce qui l’oppose à l’énergie et la matière) qui peut expliquer leurs excursions dans la physique bien que cela n’ait qu’un rapport lointain avec leur objet. Sans adopter les mêmes positions, on peut partager quand même cet esprit d’exploration qui stimule la réflexion, et saluer l’honnêteté intellectuelle de leurs recherches.

Ils ont choisi, ce mois-ci, de mettre en valeur la "relativité d’échelle" défendue par Laurent Nottale et qui est très controversée, entre avancée théorique décisive et simple supercherie. C’est l’occasion de se frotter à la science en train de se faire, quand on parle forcément de ce qu’on ne connaît pas et qu’il est bien difficile de trancher entre nouvelle ou fausse science. C’est dans cette totale incertitude, en dehors de l’expérience, que l’éthique scientifique doit être mise à l’épreuve et faire preuve de discernement, en éprouvant par là même tout ce que l’on ignore encore malgré tous les savoirs accumulés.

On peut donner une version soft de la "relativité d’échelle" : c’est une généralisation des fractals, l’hypothèse que les structures fractales qui s’emboîtent sont la règle dans l’univers (Il y a de bonnes raisons pour cela, les fractals résultant souvent de l’amortissement d’une force à longue portée qui se brise sur une résistance à courte portée, phénomène assez général). Sous cette forme modeste, cela pourrait être une pensée simple mais profonde, prolongeant les travaux de Benoît Mandelbrot, et qui s’est révélée capable de féconder aussi bien la cosmologie que la biologie ("Les arbres du vivant"). On a l’impression toutefois qu’il faut se garder d’en faire une loi trop rigide et la version hard de la théorie de Nottale est bien plus ambitieuse car elle prétend être une généralisation de la relativité générale et pouvoir rendre compte ainsi de la structure fractale de l’espace-temps (avec ses géodésiques), de l’équation de Schrödinger (c’est le plus extraordinaire), des particules et de la prétendue matière noire ou énergie sombre (n’en jetez plus !). On voit que l’enjeu est de taille, à partir d’un principe fort simple :

    Pour la relativité d’échelle, les lois fondamentales de la physique se présentent sous la même forme quelle que soit l’échelle.

    La masse, le spin, la charge apparaissent comme des propriétés émergentes à partir de la géométrie même des chemins dans l’espace-temps identifiés à ses géodésiques.

    Cette fractalité des géodésiques peut être décrite mathématiquement par ce que l’on appelle une dérivée co-variante qui consiste à mettre dans l’opérateur de dérivation même les différents effets de la fractalité de l’espace-temps sur le mouvement. Quand on écrit une équation de géodésique avec cette dérivée covariante, elle se transforme en équation de Schrödinger. On voit apparaître les lois quantiques à partir d’équations de géodésiques dans un espace fractal. Le point essentiel n’est pas que j’ai pu ce faisant démontrer l’équation de Schrödinger, c’est qu’elle se trouve démontrée comme intégrale d’une équation des géodésiques.

    C’est bel et bien l’équation fondamentale de la dynamique newtonienne qui, dans un cadre fractal, prend la forme qui est celle de l’équation de Schrödinger, après avoir été intégrée.

    Les théories des cordes admettent comme lois fondamentales les lois quantiques et tentent de quantifier le champ de gravitation, alors que la motivation de la relativité d’échelle est de fonder les lois quantiques sur le principe de relativité.

Trop beau pour être vrai ? En tout cas, il ne manque pas de détracteurs chez les physiciens comme chez les cosmologistes. Sa théorie de l’électron semble fantaisiste (mais je ne suis absolument pas capable d’en juger) et beaucoup l’accusent de ne produire aucun résultat. Il semble bien dangereux de trop croire à l’exactitude de cette relativité d’échelle en tous domaines même s’il reste salutaire de rechercher les répercutions fractales partout où elles peuvent se produire. Si ce n’était qu’une théorie qualitative comme la théorie des catastrophes, cela ne serait déjà pas si mal, même si on ne peut en faire une théorie quantitative et calculable, ce à quoi elle prétend pourtant.

Le seul résultat qui semble avéré, c’est le caractère fractal de l’univers entre galaxies, amas de galaxies, superamas de galaxies, etc., et donc le caractère fractal de la gravitation (la gravitation à l’échelle des galaxies est comparable à la gravitation entre planètes). Ce n’est pas rien mais c’est tout de même très local par rapport aux prétentions d’en faire une loi universelle. Certes, il est raisonnable de penser que les lois de la physique sont les mêmes quelque soit l’échelle, seulement il semble bien que ce soit faux puisqu’il faut, au contraire, des "théories effectives" différentes selon les niveaux (du quantique au cosmique). La relativité d’échelle semble en tenir compte, je ne peux en juger, mais elle réfuterait quand même par là pas mal de phénomènes d’émergence si elle était toujours vérifiée. Certes, là où il n’y a pas d’émergence d’une structuration supérieure, elle est parfaitement envisageable (comme émergence de la structure fractale de l’espace-temps), encore faudrait-il ne pas en faire une pétition de principe mais mesurer l’écart avec la réalité observée.

Bien qu’on soit incapable d’en juger, il est bien difficile de trop y croire à cause des critiques que la théorie rencontre et de l’isolation de son auteur. Même si cela ne constitue pas une preuve et ne suffit pas à condamner des idées innovantes, ce n’est quand même pas la preuve qu’on a raison ! Certaines attaques très violentes réduisent à néant toute la théorie, avec des arguments qui semblent solides (absence de localité quantique notamment) mais on a déjà vu des arguments qui paraissaient aussi forts être démentis par les faits. On ne sait si cette prétention à refonder la physique est délirante ou géniale mais sa portée se veut considérable, en tout cas. La version la plus ambitieuse de la théorie a du moins la vertu de l’ambition et de tirer le maximum des fractals. Tant qu’elle peut nous inspirer elle est plus qu’utile même si elle est fausse ! On a certes bien du mal à croire dans une véritable géométrie fractale de l’espace-temps mais on ne témoigne peut-être ainsi que de notre rationalité limitée...

Ce n’est pas nous qui déciderons de toutes façons mais l’expérience et les progrès de la physique. L’étonnant, qu’il faut souligner, c’est que ce ne soit pas encore une affaire tranchée depuis le temps que ça dure alors qu’une bonne partie semble assez facile à vérifier ou réfuter ! Ne pourrait-on avoir un débat public un peu sérieux sur le sujet (sans prétendre le clore) ? Soit c’est n’importe quoi, et n’en parlons plus, soit c’est assez important pour porter la question au public. La difficulté est grande de se faire une opinion sur ce sujet qui dévoile l’étendue de notre ignorance dans la tentative même de la surmonter de façon plus ou moins ingénieuse, avant même de pouvoir déterminer son degré de pertinence par l’expérience. Se pencher sur la science en train de se faire donne le vertige, bien loin des apparences d’une science sûre d’elle-même alors qu’elle touche au délire souvent, depuis la relativité et la physique quantique au moins. Il y a tant à découvrir encore !