12 années de Transversales, 12 apports majeurs

2  août 2007 | par Philippe Merlant

A l’occasion du dernier numéro de l’ancienne version, la revue transversales Sciences Cultures no 71 faisait le point des années passées.

A l’heure où Transversales Science Culture se transforme en revue trimestrielle et où son fondateur, Jacques Robin, passe le relais, un retour sur l’histoire de la Lettre s’impose. Une manière de montrer comment Transversales a su anticiper sur son époque, mais aussi traduire en actes ses avancées conceptuelles. Flash-back autour de douze idées clés.

La mutation informationnelle

Dès les premiers numéros, Jacques Robin souligne les caractéristiques de cette mutation et ses conséquences :
-  pour la première fois, les humains traitent la matière et les objets qu’ils fabriquent par l’intermédiaire de codes, de mémoires, de signaux, associés à des langages ;
-  les règles de l’échange des biens et services ne sont plus celles de l’économie énergétique ;
-  ces technologies se déploient en réseaux, elles bouleversent les notions de l’espace et du temps ;
-  couplée avec l’automatisation, l’informatisation permet de produire avec toujours moins de travail et de temps.

Pour mémoire

Survenant après les deux premières vagues des technologies informationnelles qui distribuent de moins en moins de pouvoir d’achat tout en produisant de plus en plus de richesses, la troisième vague risque d’entraîner les sociétés industrielles et post-industrielles vers l’implosion.” (Jacques Robin, éditorial, n° 30)

En action

• En 1996, Transversales impulse la création de Vecam, association de veille et de sensibilisation aux usages des NTIC, animée notamment par Véronique Kleck.

• Aujourd’hui, notre équipe travaille en étroite collaboration avec Place Publique, site Internet dédié aux initiatives citoyennes.

Le chaos et la pensée complexe

Empruntant aux idées d’Edgar Morin, Transversales promeut l’idée d’une “réforme de la pensée” qui répondrait à la complexité et à l’incertitude croissantes dans laquelle nous nous mouvons. Le n° 1 (janvier 1990) ouvre un débat sur le chaos, à la fois concept scientifique et nouveau regard sur les réalités économiques et sociales.

Pour mémoire

Ces pluralités de logiques, qui nous révèlent les interactions de la complexité de l’univers, sont un enrichissement. Les premières de ces logiques se bâtissaient sur un univers que l’on croyait construit. Les plus récentes s’adressent à un univers que nous savons en construction. Nous passons depuis deux ou trois décennies d’une “science des états” à une “science des processus” ; nous examinons du “devenir” plutôt que de “l’étant”, et le plus fécond reste à venir !” (Jacques Robin, “Un premier débat sur le chaos”, TSC n° 1)

La critique de la technoscience

Dès l’éditorial du n° 1, Jacques Robin rappelle que la technoscience “asservit de plus en plus à ses propres objectifs la science moderne”. Cette analyse sera précisée au fil des numéros. Transversales en souligne les effets pervers dans deux domaines cruciaux : celui de la “fabrique du vivant”, dans lequel Henri Atlan et Jacques Testart dénoncent rapidement les dérives du “tout-génétique” ; et celui de l’information, où Joël de Rosnay et Philippe Quéau pointent les dangers du “révisionnisme numérique”.

Pour mémoire

Dans la technoscience actuelle, non seulement la science est asservie à la technique, mais elles le sont l’une et l’autre à l’impératif catégorique de la société post-industrielle : maximiser la production, la consommation et l’information afin d’accumuler toujours plus de capital...” (Armand Petitjean et Jacques Robin, “La technoscience en question”, TSC n° 4)

Conscience et responsabilité

Dès ses premiers numéros, Transversales se penche sur les processus cognitifs et les découvertes concernant le fonctionnement du cerveau. Dans le n° 7, en exposant la théorie du “darwinisme neuronal” de Gérard Edelman, Armand Petitjean lance un débat sur la conscience : “Sans la conscience humaine, ni l’infini du monde, ni notre finitude n’auraient le moindre sens”. Trois numéros plus loin (juillet-août 1991), le même Armand Petitjean fait découvrir le philosophe allemand Hans Jonas et son Principe Responsabilité.

Pour mémoire

Que veut dire prendre conscience que nous sommes parvenus à une césure de l’histoire humaine, qu’un chapitre nouveau a commencé qui adresse des requêtes entièrement nouvelles à l’éthique ? Auparavant, l’éthique traitait des rapports à l’autre homme... A présent, nous avons une relation de responsabilité à l’égard de la nature.” (Hans Jonas, cité par Armand Petitjean, “Pour une éthique de la responsabilité”, TSC n° 10)

De l’écologie à l’écosophie

Dans l’édito du n° 1, Jacques Robin souligne que l’écologie fait émerger un défi majeur : “La biosphère, système complexe et autorégulé, ne peut être livré aux activités inconsidérées des humains sans une lourde menace sur les régulations de notre planète”. Le n° 4 distingue et approfondit les trois approches fondamentales de l’écologie : scientifique, politique et mentale. Et Félix Guattari propose une vision systémique de leur articulation : l’écosophie.

Pour mémoire

Une écosophie, c’est-à-dire une perspective incluant les dimensions éthiques et articulant entre elles l’ensemble des écologies scientifiques, politiques, environnementales, sociales et mentales, est peut-être appelée à se substituer aux vieilles idéologies qui sectorisaient de façon abusive le social, le privé et le civil, et qui étaient incapables d’établir des jonctions entre le politique, l’éthique et l’esthétique.” (Félix Guattari, “Vers une écosophie”, TSC n° 2)

En action

• En 1992, Transversales participe au sommet de Rio sur le développement durable.

• Depuis deux ans, notre équipe est associée aux Etats généraux de l’écologie politique (EGEP), initiative de partenariat entre les Verts français et les nouvelles forces civiques et sociales.

Travail et revenu

Dans le n° 10, René Passet plaide en faveur d’un “revenu européen de citoyenneté”. Une idée à laquelle André Gorz se rallie progressivement : dans le n° 25, il affirme qu’il n’y aura pas de dépassement de la société salariale “si la production de société durant le temps libre ne l’emporte pas sur celle du temps de travail payé, c’est-à-dire si le temps libre ne devient pas effectivement le temps social dominant qu’il est déjà virtuellement”.

Pour mémoire

S’agissant de la répartition, les formes actuelles du progrès technique interdisant d’en isoler la productivité propre à chaque facteur, ne permettent plus d’en faire la contrepartie de sa rémunération. La part du revenu social s’accroît ; celui-ci débouche sur la question du revenu garanti.” (René Passet, “Economie de ou avec marché ?”, TSC n° 8)

De la production de soi à la transformation personnelle

La remise en cause de la valeur-travail comme ciment du lien social fait surgir la question du temps libéré. Mais que faire de ce temps “si nous n’acceptons pas qu’il devienne temps vide ou temps marchandisé ?”, s’interroge Jacques Robin dans l’éditorial du n° 28. André Gorz et Roger Sue se penchent sur cette question de la “production de soi”. Progressivement, le débat s’élargit : face aux risques de marchandisation de tous les aspects de la vie humaine, Transversales affirme que la question de la transformation personnelle devient une question politique.

Pour mémoire

En nous ouvrant aux autres, à l’altérité sous toutes ses formes, nous répondons, autant qu’il est en nous, aux injonctions de la conscience qui, transcendant les individus, les cultures et les âges de notre histoire, oppose aux pulsions prédatrices de notre ego sa règle d’or : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, nous dirions aujourd’hui : comme différent de toi.” (Armand Petitjean, “L’évangile d’Edgar Morin : oui à sa fraternité, non à sa perdition”, TSC n° 22)

En action

• En 2001, Transversales engage un travail sur l’articulation entre transformation personnelle et changement collectif.

Economie et monnaies plurielles

Dès le n° 1, l’éditorial de Jacques Robin annonce : “Le marché n’est qu’une composante de l’économie, à ne pas confondre avec la finalité que l’on veut nous “servir” avec le thème de “l’économie de marché”.” Le n° 36 pose la question des monnaies plurielles. Une question qui sera approfondie au fil des numéros, tout comme celle du tiers secteur d’utilité sociale et écologique, avec la collaboration régulière de Guy Aznar, Alain Caillé, Jean-Louis Laville, Roger Sue (co-auteurs, avec Jacques Robin, du livre Vers une économie plurielle, en 1997), Alain Lipietz et Dominique Méda.

Pour mémoire

L’incapacité du marché à répartir les richesses produites en abondance par la machine informatisée, la dérive de la monnaie en instrument de spéculation, la dégradation accélérée de l’environnement par l’industrialisation : tout montre que cette économie de marché qui s’étend sans cesse nous entraîne dans sa propre contradiction - jusqu’à sa perte ?” (Jacques Robin, éditorial, n° 27)

En action

• En 1995, Transversales appuie le lancement d’un “appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielle” (AECEP).

• La revue est aujourd’hui associée au débat sur la richesse et les monnaies lancé autour de la mission de Patrick Viveret.

• Elle coorganise des rencontres-débats sur l’économie coopérative avec le CJDES (Centre des jeunes dirigeants et acteurs de l’économie sociale).

Europe : pour un projet de civilisation

Dans son édito du n° 1, Jacques Robin exprime sa préférence pour une Europe “conçue comme un acte pluriel” et capable de proposer “un projet de civilisation favorisant dans une citoyenneté européenne les diversités et les autonomies”. Au fil des ans, la revue affine sa vision d’une construction politique de l’Europe, seule capable de s’opposer à sa réduction au simple rôle de laboratoire du modèle néo-libéral.

Pour mémoire

Il ne tient qu’aux forces sociales et politiques qui mettent en avant la construction en Europe d’une société démocratique, sociale, écologique, responsable, de lutter en faveur de leurs objectifs : l’Union européenne prévue par le Traité ne ferme pas la porte à de tels projets ; faut-il qu’ils soient portés sans défaillance.” (Europe 99, “L’Union européenne, pour quoi faire ?, TSC n° 18)

En action

• En 1992, Transversales suscite la création d’Europe 99, associant œuvrant en faveur de la construction d’une citoyenneté européenne et animée notamment par Valérie Peugeot.

Un autre monde est possible

Dans le n° 11, Armand Petitjean souligne la nécessité d’ouvrir le Sommet de la Terre, organisé à Rio, à la voix des peuples du tiers-monde. Deux numéros plus tard, Jean Chesneaux souhaite que la société civile internationale en émergence s’affirme comme “force démocratique mondiale qui devrait participer à la gestion des affaires de la planète conjointement avec les Etats”. L’idée d’une “autre mondialisation” est en germe. Elle ne cessera de se préciser au fur et à mesure que la contestation de la mondialisation néo-libérale s’affirmera.

Pour mémoire

Il faudra plusieurs décennies pour “organiser” des conditions équitables des échanges entre grands ensembles géopolitiques dans une perspective de coopération mondiale et non de guerre économique. (...) Dans la complexité du monde actuel, uniformiser par le libre-échange ces ensembles, c’est enfoncer les pays les plus faibles et renforcer les plus forts.” (Jacques Robin, éditorial, n° 24)

En action

• Transversales figure parmi les fondateurs d’Attac et participe au Forum social mondial de Porto Alegre (janvier 2001, janvier 2002).

• En octobre 2001, la revue co-organise les Rencontres de Bled (Slovénie) en vue de mettre en place une instance éthique mondiale.

Pour une citoyenneté active

Dans le n° 6, Anne-Brigitte Kern s’interroge : “Où en sommes-nous de la démocratie ?”. Progressivement, Transversales souligne la nécessité d’une démocratie “plurielle”, associant à sa forme classique, représentative, des éléments de démocratie participative et délibérative. Ce renouveau suppose l’émergence d’une citoyenneté active, sur le plan local comme au niveau mondial, ainsi qu’une évolution de notre rapport au pouvoir.

Pour mémoire

Pour que les gens participent, il faut qu’ils aient la conviction, constamment vérifiée, que leur participation ou leur abstention feront une différence. Et cela n’est possible que s’il s’agit de participer à la prise de décision effective, qui affecte leur vie. (...) L’évolution technologique permettrait l’organisation de vastes débats publics auxquels les experts, contrôlés démocratiquement, soumettraient par exemple les options possibles, les arguments essentiels pour chacune, leurs implications et conséquences respectives.” (Cornelius Castoriadis, entretien avec Anne-Brigitte Kern, TSC n° 7)

En action

• A trois reprises (1991, 1993 et 1997), Transversales est associée aux Rencontres de Parthenay, organisées par le maire de la ville, Michel Hervé, sur la citoyenneté active.

• La revue est aussi à l’origine de l’appel “Pour une charte de la citoyenneté”, lancé le 20 octobre 1993.

Art et mutations

Dès sa création, la lettre affirme que sa “transversalité” ne réside pas seulement dans le décloisonnement des disciplines, mais concerne aussi le traditionnel clivage entre science et culture. Dans le n° 3, Anne-Brigitte Kern appelle de ses vœux de nouvelles rencontres entre artistes, scientifiques et techniciens. De numéro en numéro, Transversales tente de tisser une toile en ce sens. Jusqu’au n° 64 où Gérard Paquet affirme que “les artistes doivent être des passeurs, des défricheurs, des inventeurs de formes et de mondes”.

Pour mémoire

Une spécialisation de plus en plus poussée a tendu à séparer la science de la culture, séparation qui est la marque même de ce qu’on a appelé la “modernité” et qui n’a fait que concrétiser le clivage sujet-objet qui se trouve à l’origine de la science moderne. (...) La transdisciplinarité cherche à la dépasser en recomposant l’unité de la culture et en retrouvant le sens inhérent à la vie.” (communiqué final d’un colloque de l’Unesco, décembre 1991, cité par Basarab Nicolescu, “L’actualité et l’enjeu de la transdisciplinarité”, TSC n° 14)

En action

• Transversales travaille aujourd’hui en partenariat avec Mains d’œuvres, lieu associatif et culturel situé à Saint-Ouen (93).

• La revue suit également le projet “Planète émergences” initié par Gérard Paquet.