Le tiers secteur en débat
SOMMAIRE
Le rapport d'Alain Lipietz : une étape importante - Elisabetta Bucolo
Le "tiers secteur d'utilité sociale et écologique" : une
fausse bonne idée ? - Alain Caillé
Economie solidaire et tiers secteur - Jean-Louis Laville
Risques et limites du tiers secteur - Dominique Méda
Du tiers secteur à l'économie quaternaire - Roger Sue
Le tiers secteur au-delà de la société salariale - André Gorz
Cet éclairage a été établi à l'occasion du récent rapport d'étape d'Alain Lipietz, élaboré à la demande de Martine Aubry, sur "l'opportunité d'un nouveau type de société (entreprise) à vocation sociale".
- Sous cette dénomination, sont regroupés, non sans ambiguïté, des pans de l'économie, qui aux côtés des secteurs du marché et des services publics se définissent comme "tiers secteur à finalités sociales et écologiques", ou "tiers secteur d'économie de proximité" ou "économie solidaire" ou tout simplement "tiers secteur". Cette diversité de fonctions relaie d'une certaine manière l'ancienne forme de l'"économie sociale" qui avec ses mutuelles, ses coopératives, ses associations, avait vaillamment fait sa place dans l'État providence du XXe siècle. Le tiers secteur en question entend de toute façon dépasser de loin l'idée lancée par Philippe Séguin en 1986 de créer, à l'intention des chômeurs, un "secteur occupationnel et convivial" dans lequel les sans-emploi peu qualifiés accompliraient toutes sortes de "petits boulots".
- Nous remercions Elisabetta Bucolo de l'analyse attentive qu'elle a faite du rapport d'Alain Lipietz. Nous avons sollicité Alain Caillé, Jean-Louis Laville, Dominique Méda, Roger Sue et André Gorz pour nous faire connaître leurs réactions à ce rapport. Leurs contributions sont d'un grand intérêt, d'autant plus que nous savons les divergences qui sont les leurs sur ce sujet : c'est pourquoi la confrontation de leurs points de vue est des plus utiles. Transversales se réjouit de publier de tels textes dans l'esprit ouvert, convivial et constructif que notre Lettre a toujours cherché à promouvoir. Nous nous proposons de publier dans un prochain numéro les "réflexions en retour", non seulement d'Alain Lipietz, mais des auteurs des textes et bien entendu de ceux de nos lecteurs désireux de prendre part au débat.
Qui ne sent, devant l'extension rapide de la mondialisation sauvage des flux financiers, que les cadres classiques de l'économie établis depuis plusieurs siècles sont en train d'éclater ? Devant la montée continue du non-emploi et des inégalités sociales, de l'exclusion et de la précarité, l'imagination et l'innovation ne sont-elles pas sollicitées pour dépasser la société salariale traditionnelle et pour transformer les modalités de la distribution primaire et secondaire des biens et des services ?
Nos auteurs sollicités sur le concept et les réalités du "tiers secteur" prennent des positions différentes sur des questions centrales :
- Faut-il structurer, entre le marché et le secteur public, un "troisième secteur" ou favoriser des espaces ouverts d'activités relevant d'une logique économique alternative ?
- La force productive principale du citoyen reste-t-elle la production des biens et des services ou la "production de l'homme lui-même" ?
- Si l'on envisage de rétribuer le volontariat, ne risque-t-on pas de favoriser le retour à l'instrumentalisation salariale traditionnelle ?
- N'en est-il pas de même pour le problème de la sélection éventuelle des associations selon leur objet, sur la base de critères administratifs : n'est-ce pas alors détruire l'inspiration originaire de l'associationnisme ?
- Pour le dire vite, l'objectif final du tiers secteur vise-t-il la création prioritaire d'emplois ou la constitution d'un creuset de nouvelles formules pour l'entreprise, et de garanties inconditionnelles permettant à tout citoyen de vivre dignement en faisant des projets, en particulier pour la production de biens relationnels ?
Pour ma part, ce qui m'a le plus surpris à la lecture des textes, c'est l'absence de référence (sauf chez André Gorz) à la formidable mutation informationnelle qui déferle depuis trois décennies. C'est là que l'on constate la difficulté du renouvellement des pensées et des comportements.
Les automatismes nés de l'ère énergétique, qui reposent sur la disjonction des problèmes, restent prépondérants, l'enfouissement dans le concept unique de l'économie de marché domine encore beaucoup d'esprits. Aussi je crois à la nécessité de replacer les discussions sur le tiers secteur dans une perspective d'ensemble de "projet social" en recherchant des modes de cohabitation entre des logiques économiques diverses ; en étudiant la mise en place de monnaies plurielles (thésaurisables, affectées, fondantes…) ; en redonnant enfin son autorité au politique par rapport à l'économisme dans un questionnement renouvelé de la signification de la richesse et du sens de la vie.
Jacques ROBIN