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L’Europe, la culture du compromis et le projet politique

Le 10  juillet 2005 par Jean-Paul Karsenty

Les Français ont donc rejeté la communauté politique européenne qu’il leur était proposé de créer. "On vous donne un texte fondateur et, en échange, vous renoncez à votre parole trop plurielle, à votre goût du politique" : et si c’était à ce troc-là qu’ils venaient de dire "Non" ? Nostalgie d’une parole perdue ? Révolte contre une parole confisquée ? Pourtant, à chercher à donner forme à cette... "logique-là" à l’extérieur de l’hexagone, ils risquent de devoir faire face à un choix bien paradoxal : ou bien "vaincre en Europe" en forçant à l’extension d’une telle révolte ou bien "convaincre en Europe" du bien-fondé de cette révolte, et, dans ce second cas, ils devront alors emprunter aux méthodes de la culture qu’ils viennent (inconsciemment ?) de rejeter, celle qui ne confisque pas la parole des autres, celle qui appelle donc au... compromis politique ! Que les Néerlandais aient fait de même en accroissant le nombre de raisons contradictoires à ce rejet ne fait-il pas que renforcer la pertinence du principe de réalité que représente la culture du compromis lorsqu’il s’agit d’Europe, mais d’un compromis qui, toutefois, sache ne pas abandonner l’envie et la substance du projet politique ?

Le problème de l’approfondissement démocratique reste donc entier, et, en particulier celui qui concerne l’élaboration, la mise en œuvre et le contrôle des choix scientifiques et techniques d’intérêt général. Saura-t-on donc, en effet, "politiser" quelque peu les orientations qui concernent les recherches, qu’elles soient relatives, par exemple, au niveau nanométrique, à la numérisation des patrimoines de connaissance, aux biosciences et aux biotechnologies en solidarité avec les Suds, à la brevetabilité des logiciels,... ? Et comment articuler les différentes légitimités d’intervention à ces fins-là : celles des acteurs directs de la recherche et de l’innovation avec celles du Parlement européen, des Parlements nationaux (démocratie représentative) et avec celles des forces civiles et civiques de nos sociétés (démocratie participative),... ? En outre, quel rôle renouvelé pour la Commission ? Voilà quelques questions, parmi bien d’autres, qui appellent un "débat citoyen" que nous souhaitons nourrir dans cette lettre-ci.

Et si les mois qui venaient, et dont chacun-e admet aujourd’hui qu’il serait plus pertinent et urgent de les consacrer à réfléchir ensemble plutôt qu’à décider séparément, étaient utilisés à chercher comment un tel goût rémanent pour la parole perdue pourrait servir à contribuer à l’esquisse d’un nécessaire projet politique commun à notre Union ?