Jacques Robin

La vie avec Jacques

Le 12  juillet 2007 par Annie Batlle

Difficile d’imaginer la vie sans Jacques. Il faisait partie de la mienne (comme de celle de beaucoup d’autres), depuis si longtemps, intellectuellement et affectivement. Parce que chez lui l’intellect et l’affect ne faisait qu’un (d’où son enthousiasme notamment pour Damasio). Il aimait tant la vie : les hommes et les femmes (les femmes plus particulièrement, qui le lui rendaient bien). Il cultivait les concepts avec passion. Il dégustait les livres avec autant de gourmandise qu’une coupe de champagne ou un chocolat. Le dernier était souvent « le meilleur que j’ai lu depuis longtemps, il faut absolument que tu le lises ! »... et je lisais. Il adorait les mélos et pleurait au cinéma (« c’était beau, tu sais »). Il y a quelques jours encore, il allait au théâtre avec Colette, voir « Sur la route de Madison ». Imbattable sur la peinture, à propos de chaque exposition il vous faisait une piqûre de rappel saisissante sur la vie, le contexte, le caractère de l’artiste. Il vibrait pour de nombreux sports : foot, rugby, athlétisme, tennis. Pendant les Jeux Olympiques ses coups de fil étaient plus brefs.

Il adorait tous nos petits secrets avait toujours un regard indulgent et objectif et des conseils avisés. Lui-même se livrait volontiers : « je ne le dis qu’à toi ! ».

Il savourait les brioches de Daloyau et le Deutz. Il nous faisait profiter à tous de sa cantine raffinée, « La Cigale/ Récamier », alors que lui même se nourrissait très peu. Il roulait dans une vieille Peugeot cabossée et il fallait le supplier pour qu’il s’achète une nouvelle veste.

Jacques se mettait rarement en colère, préférait charmer ou se battre pour convaincre que pour avoir le dessus et ne sortait de ses gonds que confronté à une lâcheté ou une trahison. Et encore, cela le rendait plus triste que furieux.

C’est sans doute parce qu’il avait été un enfant choyé et un homme aimé « j’ai été abreuvé d’amour » qu’il avait une telle force, un tel optimisme au quotidien, un telle capacité de diriger sa vie, de faire ce qu’il voulait et d’entraîner les autres dans son sillage... et de se faire tout pardonner. Enfant gâté certes, mais responsable de tous les maux de l’humanité qu’il voyait plonger dans une spirale infernale, et capable d’affronter avec une élégance et une pudeur insensées les maladies graves et la mort.

Rarement un homme n’a pris autant d’espace dans autant de vies !!! Les affections (pas plus que les informations) ne s’annulaient pour lui, mais ne faisaient que s’ajouter.

Nous nous sommes connus dans les années 70 alors que nous changions de vie tous les deux, et nos deux couples ont été très liés dans le bonheur et les peines et dans la grande douleur de la mort de Monique.

Je le revois grand patron à Clin Midi, sans cravate (à l’époque ce n’était pas tendance dans l’industrie), manches retroussées, appelant toutes les femmes « Mademoiselle ».

Nous avons crées ensemble avec Joël, l’Association Macroscope. J’ai été la première salariée du CESTA et y suis restée jusqu’à la fin. J’ai fait avec lui la première version de la première lettre Science Culture.

L’année ou Jacques mit en place le Cesta fut épique et inoubliable. La gauche était revenue, l’avenir nous appartenait, nous refaisions le monde, portés par Jacques... et les nouvelle technologies. Beaucoup plus tard, à la retraite moi même j’ai rejoint le Grit/ Transversales / Science Culture dont Jacques est resté l’âme et dont le 33 rue de Sèvres a abrité les réunions jusqu’à il y a quelques jours.

Doué, généreux, multiple, Jacques était un être rare, un défricheur, qui nous a rendu tous plus intelligents et plus humains

En mai dernier je suis allé le voir avec un de mes petits fils, Thomas, 5 ans. Jacques lui a montré sa terrasse et ses fleurs, lui a donné des chocolats - bien sûr- et discuté avec lui comme un grand. Quand nous l’avons quitté Thomas m’a demandé : « c’est ton grand copain ? ». J’ai évidemment répondu « oui » et il a conclu : « tu en as de la chance d’avoir un copain comme Jacques ».

Nous avons tous de la chance d’avoir eu un copain comme Jacques.