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3 questions à... Julien Lusson

Le 31  juillet 2003 par Julien Lusson

La constitution européenne qui vient d’être proposée donne-t-elle un nouveau visage à l’Europe ? Permet-elle de dessiner un projet de société qui jusqu’ici lui manquait ? Sous réserve de la troisième partie, non encore connue, elle reflète davantage les contradictions et divisions entre les sociétés européennes qu’elle ne permet leur dépassement. Privilégiant la réforme institutionnelle sur l’élaboration des politiques communes, notamment sociale et économique, elle ne répond donc pas à la triple crise actuelle écologique, économique et sociale et au développement des dynamiques de guerre. Malgré de réelles avancées institutionnelles, la place centrale laissée à la concurrence, l’absence de reconnaissance des services d’intérêt général et le refus de mettre en place une réelle politique économique européenne active en matière de création d’emploi de qualité et de protection de l’environnement, n’augurent rien de bon. On voit mal comment l’Union va pouvoir œuvrer à ses objectifs de plein emploi et au progrès social ! Les résultats, supérieurs à ceux des deux dernières conférences intergouvernementales d’Amsterdam et de Nice, restent d’une faiblesse scandaleuse au regard de la montée des périls. Le comble serait que la CIG, qui tranchera au final aboutisse à un résultat encore moins bon !

Quelles en sont les décisions marquantes et qui risquent d’influer sur le quotidien des citoyens européens, en positif ou en négatif ? L’absence de politique économique et sociale et la prédominance laissée à la concurrence entraînent un dumping social pesant essentiellement sur les citoyens les plus démunis et sur les classes moyennes. L’accès aux services de base est compromis et ces services se dégradent. Le projet ne répond pas au chômage et à la dégradation de l’emploi. La citoyenneté de l’Union n’est pas attribuée aux résidents des pays tiers, qui ne disposent pas de la nationalité d’un Etat-membre. Cela institue une discrimination entre "nationalitaires", "européens" et ressortissants de pays tiers, ce qui ne favorise pas le repli de la xénophobie dans nos sociétés, bien au contraire.

Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur ce texte, peut on considérer qu’il a permis de sortir les enjeux européens des mains exclusives des experts et de les mettre sur la place publique ? La méthode de la Convention est certes meilleure que celle, diplomatique, de la CIG, car seule une dynamique d’ouverture des débats et de confrontation de projets permettra d’avancer sur la voie d’une Europe répondant aux enjeux d’aujourd’hui. Mais la Convention n’est pas la place publique. Et il faut s’inquiéter du fait que les débats en son sein n’aient pas fait l’objet de réactions fortes au-delà des cercles spécialisés. Les gouvernements, d’un côté décident d’organiser cette Convention, conscients des limites des CIG, de l’autre ne lui assurent aucune publicité pour qu’un réel débat ait lieu. Cette schizophrénie, dangereuse, démontre le mépris dans lequel sont tenus les "peuples" (tant vantés par ailleurs) et conforte la distance entre les citoyens et leurs institutions, donc le dépérissement de la démocratie. Les citoyens et les peuples ne se sont pas d’eux-mêmes, ou très peu, immiscés dans ce débat. C’est un signe inquiétant. Il reste encore quelques mois pour comprendre que c’est aussi, et de plus en plus, au niveau européen que se joue désormais notre avenir commun et la construction d’une société juste et solidaire.

En savoir + : le site de la convention européenne.