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repères : Alertes sur un climat bientôt irrespirable...

Le 22  novembre 2006 par Jean Zin

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La principale nouvelle du mois, c’est qu’avec l’augmentation de l’effet de serre, l’atmosphère pourrait devenir assez rapidement irrespirable. Malgré toutes les incertitudes qui restent, et qui sont effectivement très grandes, le risque de plus en plus vraisemblable d’une catastrophe majeure déclenchée par le réchauffement climatique exige une réaction immédiate de nos sociétés. En effet, les conséquences pourraient en être beaucoup plus graves qu’on ne l’a dit jusqu’ici, et même que ne le montre le film de Al Gore "Une vérité qui dérange" déjà dépassé, puisque cela pourrait aller jusqu’à une extinction de masse par asphyxie !

On n’en est pas là, certes, et rien n’est sûr, mais possiblement dans une centaine d’année seulement on pourrait commencer à manquer d’oxygène. Il faut vraiment se secouer, se réveiller de notre torpeur collective et de notre course à l’abîme ! Réduire les vols aériens semble une priorité mais c’est tout le pétrole et le charbon qu’il faudrait arrêter d’utiliser pour éviter l’emballement et passer au solaire au plus vite. Sinon, les méthodes envisagées pour nous protéger du pire paraissent un peu folles pour l’instant, comme de vouloir obscurcir le ciel ! Il est toujours délicat d’intervenir dans les régulations naturelles, il faudrait commencer au moins par ne pas aggraver la situation en continuant comme si de rien n’était !

Un impact venu des profondeurs, Peter Ward, Pour la Science novembre 2006, p40

Au cours des ères géologiques, la vie sur Terre a subi de grandes extinctions en masse. Certaines seraient dues à un puissant effet de serre et au dégagement de gaz toxiques - et non à la chute d’un astéroïde.

On peut s’étonner que la nouvelle ne soit pas reprise partout ! Certes, il y a de nombreuses incertitudes sur le réchauffement climatique. Incertitudes dont j’ai déjà fait état (sur le rôle de la vapeur d’eau, des rayons cosmiques, du méthane, sur la part de l’activité humaine, etc.) mais on parle ici d’une révolution scientifique, réévaluant des risques qui sont considérables ! L’hypothèse d’une extinction de masse par libération du méthane marin avait été évoquée mais le scénario est désormais beaucoup plus précis et inquiétant même si le système respiratoire des mammifères (et des oiseaux) est déjà le résultat de l’adaptation à un relatif manque d’oxygène et que la crise pourrait s’étendre sur des centaines de milliers d’années... On peut penser malgré tout que le début de la crise devrait être le plus meurtrier, la suite étant plus progressive. En tout cas la plupart des extinctions massives (sauf celle des Dinosaures provoquée par une météorite) coïncideraient avec des pics de concentration du CO2, une raréfaction de l’oxygène (avec disparition de la couche d’ozone) et l’empoisonnement par le sulfure d’hydrogène !

Selon le philosophe et historien Thomas Kuhn, les disciplines scientifiques seraient semblables à des organismes vivants : au lieu d’évoluer lentement et progressivement, elles restent stables longtemps et subissent de rares révolutions marquées par l’apparition d’une nouvelle théorie (ou, dans le cas des êtres vivants, d’une nouvelle espèce). Cette description s’applique bien à mon domaine de recherche, les causes et les conséquences des extinctions en masse, ces périodes de bouleversement biologique où une grande proportion des espèces de la planète a disparu.

Au début des années 1990, on trouvait l’empreinte du coupable : le cratère de Chicxulub dans la péninsule du Yucatàn au Mexique. Cette découverte balaya presque tous les doutes qui subsistaient sur la disparition des dinosaures. Mais si cette extinction était due à un astéroïde, qu’en était-il des autres ? Lors des 500 derniers millions d’années, la plupart des formes de vie sur Terre se sont subitement éteintes à 5 reprises. Le premier de ces événements a eu lieu à la fin de la période ordovicienne, il y a quelque 443 millions d’années. Le deuxième, il y a 374 millions d’années, s’est déroulé peu avant la fin du Dévonien. Le plus important de tous, la grande extinction de la fin du permien, il y a 251 millions d’années, a anéanti 90% de la faune marine et 70% des plantes, des animaux et des insectes terrestres. Une extinction massive a frappé à nouveau il y a 201 millions d’années, mettant fin à la période du Trias, et la dernière, il y a 65 millions d’années, a clos le Crétacé.

Nous allons voir que selon de nouvelles analyses de fossiles, les extinctions du Permien et du Trias furent des processus longs, s’étendant sur des centaines de milliers d’années.

Le Permien va de 286 à 248 Millions d’années. A cette époque il n’y a qu’un seul continent, la Pangée, rassemblant toutes les terres émergées.

La Terre aurait subi un effet de serre mortel à plusieurs reprises. cette nouvelle théorie explique les extinctions de masse à la fin du Permien, il y a 251 millions d’années, et de la fin du Trias 50 millions d’années plus tard. Un réchauffement global intense aurait empoisonné l’océan, semant la mort dans les mers et sur les continents. Voici le scénario de cette théorie : il commence quand une activité volcanique importante libère de grands volumes de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère. Ces gaz entraînent un réchauffement global rapide. L’océan, plus chaud, absorbe moins bien l’oxygène de l’atmosphère, qui s’infiltre en quantité réduite dans les profondeurs océaniques. Il en résulte une déstabilisation de la "chimiocline" (le seuil d’équilibre entre les eaux oxygénées de la surface et les eaux riches en sulfure d’hydrogène, ou H2S, produits par les bactéries anaérobies des profondeurs). Les bactéries anaérobies prospèrent tellement que l’eau saturée en sulfure d’hydrogène atteint brusquement la surface de l’océan. Les bactéries photosynthétiques vertes et violettes qui consomment du sulfure d’hydrogène et vivent normalement au niveau de la chimiocline occupent alors les eaux de surface privées d’oxygène et riches en sulfure d’hydrogène, tandis que les formes de vie marine respirant de l’oxygène suffoquent. Le sulfure d’hydrogène diffuse également dans l’air, tuant animaux et plantes terrestres et s’élevant dans la troposphère où il attaque la couche d’ozone protectrice. Sans ce bouclier, rayonnement ultraviolet du Soleil tue ce qui reste de la vie...

Enfin, pas tout, puisque nous sommes là. Les dinosaures et les mammifères sont justement des adaptations à l’oxygène raréfiée de ces périodes d’asphyxie (ce qui leur a permis d’augmenter de taille quand le pourcentage d’oxygène est remonté). Voilà, d’ailleurs, l’ancêtre présumé des mammifères au Permien (avant la catastrophe et sa nouvelle pression sélective), le Dimetrodon :

Cependant, les océans seraient le facteur critique. Le réchauffement ralentit l’absorption de l’oxygène atmosphérique par l’eau.

Enfin, cette hypothèse ne s’applique pas qu’à la fin du Permien. Une extinction mineure de la fin du Paléocène, il y a 54 millions d’années, avait déjà été attribuée à une période d’anoxie océanique déclenchée par un réchauffement global. Des preuves biologiques suggèrent que c’est aussi ce qui s’est passé à la fin du Trias, au milieu du Crétacé et à la fin du Dévonien : les extinctions par effet de serre massif seraient récurrentes.

Les concentrations de dioxyde de carbone atmosphérique étaient élevées lors des grandes extinctions en masse, suggérant un rôle du réchauffement global dans ses événements. Aujourd’hui, le dioxyde de carbone atteint 385 parties par million (ppm) et devrait augmenter de 2 ou 3 ppm chaque année. A ce rythme, de dioxyde de carbone atmosphérique atteindra 900 ppm à la fin du siècle prochain, une concentration proche de celle qui régnait lors de l’extinction thermique du Paléocène il y a 54 millions d’années.

On sera encore loin des 3000 ppm du Permien, mais tout de même, il y a déjà eu disparition massive d’espèces à ces niveaux de 900 ppm, largement de quoi s’inquiéter tant qu’on n’a pas trouvé une solution à ce qui devrait être notre principale préoccupation ! Ce n’est pas dire qu’on puisse être sûr de rien, la théorie est trop récente pour l’instant et doit être mise à l’épreuve, mais il faut prendre les risques au sérieux pour pouvoir s’en prémunir. On devrait d’ailleurs ajouter à ce scénario le dégagement du méthane marin qui réagit avec l’oxygène et le raréfie encore plus (voir les oscillations du climat dans la newsletter précédente) ! Certes, il n’est pas rare que de nouvelles découvertes contredisent les certitudes du moment. Ainsi, il n’est pas impossible que notre entrée dans une nouvelle phase de glaciation équilibre le réchauffement, mais à la vitesse actuelle c’est douteux, il faudrait au moins s’en assurer. Le climat est l’objet d’une science qui reste bien aléatoire mais ce n’est pas une raison pour se laver les mains de toute responsabilité envers les générations futures et prétendre que l’augmentation de l’émission de CO2 ne pose aucun problème alors qu’il pourrait nous être fatal si on ne fait rien !


Quelques brèves sur le climat venues d’ailleurs :

Jusqu’à très récemment, certains trouvaient très audacieux de prévoir un réchauffement supérieur à 6° à la fin du siècle, ce qui serait une excellente nouvelle si ce n’était que ça, qui est pourtant déjà catastrophique car la température n’a augmenté pour l’instant que de 0,8° ! De façon un peu dérisoire, les Britanniques essaient d’en chiffrer le coût économique à 5.500 milliards d’euros (de 5 à 25% du PIB mondial). On pensait aussi que les rayons cosmiques réchauffaient l’atmosphère, voilà qu’ils seraient au contraire responsables de la formation de nuages et donc facteur de refroidissement ! Enfin, il n’est pas inutile de revenir, dans ce contexte, au projet démesuré, déjà abordé dans une newsletter précédente, d’obscurcir le ciel pour réduire l’ensoleillement...

- Météo fin de siècle

Le scénario considéré "le plus sévère" pour la fin du siècle (avant la prise en compte des hypothèses précédentes) :

-  les températures moyennes de la région augmenteraient de +4,4 à +6,6°C en hiver, de +3,3 à +7,7 en été ;
-  les températures estivales excéderaient 38°C (100°F) pendant 2 à 4 semaines, contre 1 à 2 jours actuellement ;

- Rayons cosmiques et climat

Aucun des modèles proposés aujourd’hui par les climatologues n’intègre les rayons cosmiques. Ils pourraient pourtant jouer un rôle important. Si on remonte dans le temps, on se rend compte que les variations de la température à la surface du globe présentent une troublante correspondance avec celles du rayonnement cosmique. Ces données sont notamment obtenues par les paléoclimatologues qui parviennent à reconstituer à la fois le climat et le niveau de rayonnement cosmique en analysant des carottes de glace polaire. On observe ainsi que la température à la surface du globe baisserait avec l’augmentation du rayonnement cosmique. Il semblerait également que la couverture nuageuse à basse altitude de la Terre soit liée à l’intensité du rayonnement cosmique, comme le laissent penser des observations par satellite.

Trois facteurs peuvent expliquer les variations d’intensité du rayonnement cosmique selon des échelles de temps croissantes : les variations du vent solaire, les changements du champ magnétique terrestre et le déplacement du Soleil dans la galaxie.

- La tentation de refroidir la planète Entretien avec le climatologue Edouard Bard, Le Monde 01/10

Refroidir la Terre "envoi d’un immense miroir entre la Terre et le Soleil - bien au-delà de l’orbite lunaire", "fertilisation des océans avec des particules de fer : ce nutriment favorise la photosynthèse - donc l’absorption de carbone - par le phytoplancton", "injecter de très petites particules ou aérosols dans la haute atmosphère pour qu’elles réfléchissent une partie du rayonnement solaire".

Avec de tels dispositifs de géo-ingénierie globaux, ce n’est pas seulement l’atmosphère qui est en jeu, mais le système climatique dans son ensemble, c’est-à-dire un gigantesque jeu de dominos d’une grande complexité. Prévoir et évaluer les effets collatéraux à l’échelle mondiale requiert, avant tout, un travail scientifique considérable impliquant climatologues, océanographes, géologues, astronomes, biologistes, agronomes, etc. (...) Si le Nord ne change pas d’attitude au sujet du climat, je crains effectivement qu’il y ait de grandes chances, d’ici à quelques décennies, qu’on en vienne à de telles extrémités.

LA CONCENTRATION EN GAZ CARBONIQUE (CO2) dans l’atmosphère est passée de 280 parties par million (ppm) avant l’ère industrielle à 380 ppm aujourd’hui. Elle se situera entre 540 ppm et 970 ppm à l’horizon 2100.

LA TEMPÉRATURE MOYENNE a augmenté de 0,8 ºC au cours du dernier siècle, dont 0,6ºC sur les trois dernières décennies.

Département de géo-ingénierie de l’université de Berkeley.