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Energie


La fin de l’ère de l’énergie

par Jacques Robin

Depuis son émergence, il y a plus de 200 000 ans, l’Homo Sapiens s’est déployé dans le cadre de trois ères successives. Celles-ci correspondent au type de rapport que les sociétés humaines entretiennent avec l’environnement matériel naturel qui les entourent : elles façonnent ainsi une vie matérielle et une pensée symbolique.

-  Pendant les premières centaines de milliers d’années de leur existence, les Sapiens évoluent dans l’ère de la survie et de l’adaptation. En dehors de l’adaptation à la cueillette, à la chasse et à la pêche, ils s’enrichissent d’un langage articulé et d’une activité artistique.

-  Il y a de 10 à 12 de milliers d’années une ère énergétique prend la place de la précédente grâce à la capacité apprise d’utiliser l’énergie pour mettre en forme la matière ; elle s’accompagne généralement de rapports de violence pour l’appropriation de ces ressources. La guerre du pétrole n’en est qu’une des dernières manifestations.

-  Il y a quelques décennies seulement nous sommes entrés dans l’ère de l’information par une maîtrise entièrement nouvelle de cette dimension de la matière. Nous avons de la difficulté à intégrer cette information car elle change « les règles du jeu, les forces productives, les processus de valorisation, les rapports sociaux, nos valeurs et jusqu’à nos horizons collectifs ».

La crise actuelle annonce la fin de l’ère de l’énergie qui appelle la fin de la seule économie de marché afin d’y substituer une économie plurielle intégrant les biens communs planétaires, une culture de la gratuité et un nouveau rapport à l’espace et au temps. Quand accepterons-nous ces données ?



L’évaluation des coûts externes associés à chaque forme d’énergie : nécessaire mais critiquable

le 31 octobre 2005  par Sylvie Faucheux, Samir Allal

L’évolution du prix du pétrole brut et la reconnaissance générale des menaces qui affectent l’environnement, renforcée récemment par la confirmation des risques climatiques, a entraîné un regain d’intérêt notable pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables du fait des avantages environnementaux et sociaux qu’elles présentent par rapport aux sources d’énergies conventionnelles. En effet, l’augmentation massive de la production et de la consommation d’énergie à forte teneur de carbone peut avoir des effets négatifs et coûteux qui n’étaient pas toujours visibles, souvent mal identifiés et rarement pris en compte dans le processus de décision.

Une évaluation nécessaire

Identifier ces coûts externes, les évaluer, c’est faire un pas en avant dans la définition des politiques énergétiques durables où chaque forme d’énergie est traitée en fonction de son coût social et environnemental complet et non pas seulement en fonction de son coût économique. Parmi les recherches dans ce domaine, on peut citer les travaux de la Commission européenne « ExternE » pour la production d’électricité par exemple. Le point de départ du calcul des externalités se fait, dans ce cas, à partir d’un site géographique et d’une technologie donnés. On évalue ensuite le volume des émissions, leur dispersion atmosphérique et leur impact. On calcule enfin la valeur monétaire des effets.

Le résultat de cette évaluation montre que pour la production d’électricité, les coûts externes varient substantiellement d’un mode de production à un autre. L’ampleur des variations peut aller de 1 à 10. La valeur des externalités dépend essentiellement de l’énergie primaire et de la technologie utilisées, mais aussi de la localisation de la centrale. L’évaluation monétaire des dommages climatiques dûs aux émissions de gaz à effet de serre est calculée à partir d’un prix de référence (shadow price), ou taxe virtuelle, visant à atteindre les objectifs fixés dans le protocole de Kyoto.

Dans ce cas, les filières énergétiques les moins bien placées sont le charbon et les lignites, avec notamment d’importants effets sur la santé humaine - dégradation de la santé et décès prématurés - et le changement climatique. La production éolienne, l’électricité nucléaire, et dans certains cas la biomasse, sont les modes de production le mieux placés en terme d’externalités.

On imagine assez bien les difficultés méthodologiques et interprétatives auxquelles se heurte une telle recherche. Quel est le prix de la vie humaine ? Quel est le prix du temps et la valeur qu’on doit attribuer à certains coûts que nous léguons aux générations futures ? ...

Une évaluation critiquable

Tous ces calculs bien que très utiles, sont donc à la fois critiquables et perfectibles. Critiquables dans les hypothèses retenues, le traitement des incertitudes, les méthodes utilisées ; perfectibles au fur et à mesure que l’on améliore nos connaissances des effets du changement climatique, les modalités de dispersion atmosphérique des particules, l’épidémiologie de la pollution. Plus fondamentalement, le degré de leur prise en compte dépend des préoccupations de chaque société ainsi que de l’état de nos connaissances.

En effet, des raisons telles que l’incertitude, les échelles de temps longues, les préoccupations distributives et la diversité des positions éthiques rendent souvent l’évaluation monétaire difficile. La distribution des coûts et des bénéfices, l’identification des risques et les avantages futurs, feront inévitablement l’objet de controverse. Ce qui signifie que la conception de politiques énergétiques ne devrait pas passer par une recherche d’allocations de ressources « socialement optimales » mais d’avantage par un processus de négociation pour régler souvent imparfaitement un ensemble de conflits d’intérêts et de principes normatifs.

Dans ce cas, tout processus d’internalisation passe forcément par « un contrat social » c’est-à-dire par un partenariat large des acteurs sur la base de la responsabilité réciproque. Une fois admis le caractère typiquement « public » des bénéfices, ou des coûts à internaliser, il s’ensuit que toute perspective d’une véritable « demande sociale » d’internalisation, reposera sur un engagement collectif en amont.

En d’autre terme, la création des « marchés » ou, plus généralement, des conventions et des mécanismes institutionnels qui assurent l’internalisation des bénéfices ou des coûts sociaux, ne peuvent pas dépendre exclusivement d’une évaluation monétaire des effets en question. Il faut savoir mettre en visibilité les enjeux significatifs pour les acteurs économiques afin de mener une négociation entre intéressés qui assure l’engagement de tous les partis. C’est une internalisation collective qui implique la coordination et la mise en communication de tous les « stakeholders ».

Conclusion

Toute politique d’internalisation de bénéfices sociaux ou de prise en compte des risques et dommages éventuels, implique donc la mise en place d’une structure de gouvernance qui affirme la qualité de l’environnement comme origine de la valeur, source de richesse, base de santé et composant de bien-être. Elle établit un jugement sur le niveau acceptable d’émission de « polluant » ou de « risque », et opère des procédures et mécanismes pour la « responsabilisation » de tous les acteurs (consommateurs, producteurs, administration, citoyens,...).

Aucune forme d’énergie n’est parfaite. Toutes les formes d’énergie combinent des avantages et des inconvenants, difficilement quantifiables, source de conflits et de controverses. Même si actuellement, elles ne sont pas placées sur un même pied d’égalité puisque, pour l’instant, les grandes énergies fossiles ne paient pas, toujours les coûts sociaux et environnementaux qu’elles engendrent tandis que les énergies renouvelables ne reçoivent pas systématiquement une compensation pour les coûts qu’elles évitent.

Enfin, dans le contexte actuel d’incertitudes et de risques, toute politique énergétique de développement durable implique que l’on mette en place ces nouvelles formes de gouvernance et de concertation afin d’internaliser progressivement toutes les externalités identifiées, de diversifier le bouquet énergétique et maîtriser nos émissions et nos consommations. Elle implique de redéfinir l’ensemble des objectifs et la régulation de notre système énergétique de manière solidaire.

Bibliographie

A. Baranzini, S. Faucheux, S. Allal, « Etude sur les coûts et bénéfices des projets en électrification rurale décentralisée » rapport pour EDF, Direction Etudes et Recherche, GRTES, juin 2000

B. Bürgenmeier, « Economie du développement durable » Ed de boeck , mars 2004

J.M. Chevalier, « Les grandes batailles de l’énergie » Ed folio actuel octobre 2004

Y. Cochet, « Pétrole apocalypse » ed Fayard septembre 2005 Commission européenne, External Cost. Research Results on Socio-Environmental Damages Due to Electricity and Transport, Directorate General for Research, 2003.

S. Faucheux, Hue C. (2001), “From Irreversibility to Participation : Towards a participatory foresight for the governance of collective environmental risks”, Journal of Hazardous Materials, 86, pp. 223-243.

S. Faucheux, I. Nicolaï, "Vers une prospective concertative pour la gouvernance du développement durable", 2èmes Journées de l’APREMA, Université de Corse, 22-23 mai 2001.

S. Faucheux, M. O’Connor, "Technosphère vs écosphère - Choix technologiques et menaces environnementales : signaux faibles, controverses et décisions", Futuribles, n°251, mars 2000.

S. Faucheux, O’Connor M. (1997) valuation for sustainable development : Methods and policy indicators (eds) Faucheux S., O’Connor M., Edward Elgar, Cheltenham, Forthocoming 1997.

B. Laponche, « Maîtriser la consommation d’énergie », Ed Le pommier, Février 2004.

Les cahiers de Global Chance, « Petit mémento énergétique, éléments pour un débat sur l’énergie » Ed Agora 21 janvier 2003.

O’Connor M., Faucheux S., van den Hove S. (1998). Stakeholders’ Perspectives on Climate Change Policies. Workshop Report. EC-DGXII, Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg.


Le méthanol comme carburant de substitution ou pile à combustible

le 31 octobre 2005  par Jean Zin

Personne ne parle du méthanol alors qu’il pourrait être le produit de transition entre énergie fossile et renouvelable selon le prix Nobel de chimie George A. Olah (interviewé par la revue EcoRev’, ecorev.org). Il y a deux façons de produire du méthanol, à partir du méthane ou par combinaison entre hydrogène et gaz carbonique.

Le méthanol (CH3OH) est un alcool obtenu généralement à partir du méthane (CH4). Le méthane, c’est ce qu’on appelle le gaz naturel ou le biogaz (ou le GNV pour les véhicules) qui se dégage dans tous les processus de dégradation de la matière organique en anaérobie (marais, rizières, élevages, termites, etc). Il y a émission de 535 millions de tonnes de méthane par an dans l’atmosphère (70% d’origine humaine), ce qui participe pour 1/4 à l’effet de serre, ce n’est donc pas négligeable. La durée de vie du méthane dans l’atmosphère n’est que de 12 ans alors que le CO2 dure en moyenne plus de 50 ans, mais une molécule de méthane absorbe 23 fois plus de rayonnement qu’une molécule de dioxyde de carbone. C’est ce qui rend les libérations massives de méthane si dangereuses, pouvant mener à l’emballement du réchauffement climatique. Ceci pour situer le méthane entre énergie fossile et énergie renouvelable. Les réserves actuelles de gaz naturel sont limitées et pourraient atteindre leur pic d’ici 30 ans, donc peu de temps après le pétrole, sauf que "de larges réserves d’hydrate de méthane sont également présentes dans les régions sub-arctique et sous la mer au niveau des plaques continentales". Certains mettent en doute la faisabilité de leur exploitation, voire soulignent leur dangerosité car "en exploitant les hydrates du fond des mers, il est très probable que l’on ferait remonter de grandes quantités de méthane dans l’atmosphère (cela équivaudrait à exploiter du gaz naturel avec des fuites énormes)". Ce sont des problèmes à résoudre mais si le réchauffement climatique devait libérer ce gaz "naturellement" il deviendrait vital de puiser avant autant qu’on peut dans ces réserves ! Le méthane c’est aussi une énergie renouvelable d’origine biologique, bien qu’à un moindre degré, mais dont la récupération et la consommation aurait cette fois un impact positif assez rapide sur l’effet de serre.

Liquide à température ambiante, le méthanol est bien plus facile à stocker que l’hydrogène et son utilisation massive ne nécessiterait pas d’investissements lourds en infrastructures. En effet, bien qu’il soit un peu acide naturellement, le méthanol constitue un bon carburant pur ou mélangé à l’essence traditionnelle. Il peut également être utilisé seul dans des piles à combustible (DMFC, Direct Methanol Fuel Cell) utilisables pour les téléphones ou PC portables, les voitures électriques, etc. Dans ce type de pile qui arrivent sur le marché, le méthanol est directement oxydé en présence d’air pour produire de l’électricité en donnant de l’eau et du CO2. La pureté du méthanol permet de ne produire ni oxydes d’azote, ni oxydes de soufre, pas plus que de gaz organiques réactifs, polluants majeurs des moteurs automobiles. La quantité de CO2 produite est environ divisée par deux en comparaison de ce que l’on obtient classiquement dans les moteurs à combustion. Le méthanol peut aussi servir à transformer l’hydrogène en carburant plus maniable. En effet, l’hydrogène étant le gaz le plus léger c’est celui qui prend le plus de place et qui est le plus difficile à transporter (avec des risques de fuites sinon d’explosion). Il serait donc plus avantageux de transformer en méthanol liquide l’hydrogène produit par de l’électricité renouvelable (solaire, éoliennes) en le combinant avec du CO2. Avec ce procédé de recyclage du CO2, le méthanol devient une énergie renouvelable sans impact significatif sur l’effet de serre. Le méthane, qui manque déjà aux USA, ne peut constituer une véritable alternative qu’à pouvoir exploiter les gisements sous-marins d’hydrate de méthane, alors que le méthanol restera toujours utile pour transformer l’hydrogène en carburant. Que ce soit à partir d’énergie fossile, comme carburant moitié moins polluant, ou bien à partir d’hydrogène combiné avec du gaz carbonique pour stocker les énergies renouvelables, le méthanol a de bonnes chances de s’imposer comme un substitut au pétrole. Il ne s’agit pas de prétendre que le méthanol serait une énergie idéale et une solution durable qui nous épargnerait un choc brutal et une réduction drastique de nos consommations, seulement qu’il est préférable au pétrole et au charbon avec de fortes probabilités qu’il constitue l’énergie de transition entre énergies fossiles et renouvelables. C’est du moins l’opinion de Georges A. Olah, opinion contestée par d’autres spécialistes qui pensent que le gaz naturel est aussi en voie d’épuisement rapide et les gisements marins non exploitables...


Les nanotechnologies au service du solaire

le 31 octobre 2005  par Thierry Taboy

Le soleil fournit une énergie lumineuse colossale à la Terre ( 10.000 fois l’énergie nécessaire selon le cerdecam). Une abondance qui reste toutefois difficile à maîtriser. Si le solaire offre des conditions efficaces de production à l’échelle domestique, les coûts de transformation des flux solaires en énergie directement utile sont encore trop élevés pour en faire une alternative véritablement crédible au « tout pétrole ». Sans parler des questions liées à son stockage et à sa répartition spatiale et temporelle (jour et nuit). Une situation qui évolue toutefois rapidement. Plusieurs facteurs convergent en effet pour rendre la mariée plus belle aux yeux de tous.

L’opinion publique des grands pays industrialisés (USA compris suite aux terribles ouragans qui ont touché la Floride) est tout d’abord de plus en plus sensibilisée et concernée par les questions environnementales, créant ainsi un contexte favorable au développement des énergies alternatives. Une véritable demande est en train de naître pour des énergies sûres, fiables et ne demandant pas d’entretien, au premier rand desquelles se trouve le solaire. En témoigne l’évolution des ventes mondiales des cellules solaires et modules associés qui ont excédé 3 Md$ en 2004, soit une croissance de plus de 25% sur un an. Conscients de leur impuissance face à la flambée des prix de l’or noir, les pouvoirs publics commencent à se mobiliser et lancer des projets d’ampleur autour du solaire. La plus grande centrale solaire du monde, d’une superficie de plus de 30 terrains de football, a été inaugurée aux abords de Leipzig. Elle alimente 5000 foyers. Le Portugal construira en 2006 dans le sud du pays, à Moura, la plus grande centrale solaire photovoltaïque du monde. C’est BP Solar qui assurera la maîtrise technique du projet.

Plus généralement, les programmes de systèmes photovoltaïques s’initient en Californie, au Japon et en Allemagne. Pour le moment, le défi mondial est de produire une cellule coûtant moins d’un dollar par watt, avec une simple chaîne de production. L’inconvénient des systèmes photovoltaïques est le coût du silicium, matériau le plus fréquemment utilisé pour les fabriquer. C’est principalement cette raison qui explique que l’énergie solaire est généralement plus coûteuse que l’électricité générée par combustion de charbon, d’huile ou d’autres combustibles fossiles. Une des façons de réduire ce coût consiste à équiper les panneaux de loupes permettant de concentrer le soleil sur une plus petite surface de composants et ainsi améliorer le rendement.

Les nanotechnologies apportent ici des éléments de réponse. Le solaire pourrait en effet finir par tenir ses promesses grâce à la mise au point de panneaux solaires flexibles ou de revêtements à base de nanomatériaux. Si de nombreuses questions subsistent sur ces technologies (fragilité en particulier), l’objectif est bien de réduire drastiquement le ratio coût/performance des panneaux. L’ EPFL, en particulier, intègre de minuscules cristaux de dioxyde de titane pour rendre les cellules solaires beaucoup plus performantes en termes de rendement énergétique. Les PME américaines Nanosys, Nanosolar (Palo Alto, CA) et Konarka (Lowell, Mass.), ainsi que l’israëlien Orionsolar ont créé de fines pellicules plastiques très efficaces pour capter la lumière et la transformer en énergie. Ces panneaux solaires souples peuvent se dérouler sur les toits, s’intégrer dans les matériaux plastiques ou textiles... et sont à même de produire de l’électricité à un coût inférieur d’un tiers à celui d’un panneau classique. Les innovations permises par les nanotechnologies semblent très larges. Le Professeur Ted Sargent de Toronto explique ainsi que son équipe a créé "à partir de cristaux semi-conducteurs d’une taille de 3 ou 4 nanomètres, des nanoparticules pouvant être dispersées dans n’importe quel solvant de base"

Si l’énergie solaire est encore loin d’être véritablement maîtrisée, le niveau de performance de cette solution ne cesse de s’accroître. A côté de la fée (du mythe ?) hydrogène, le solaire apparaît dès lors comme véritablement complémentaire et porteur d’espoirs concrets.

En savoir + :

> Introduction aux systèmes photovoltaïques

> As solar gets smaller, its future gets brighter. Nanotechnology could turn rooftops into a sea of power-generating stations, Carlstrom, Paul (11 juillet 2005)

> Solar Nanotech Coming of Age OurPlanet, Scheer, Roddy (19 juillet 2005)


Ce n’est pas l’énergie qui manque...

le 31 octobre 2005  par Jean Zin

Avec le développement de la Chine ou de l’Inde et l’augmentation continue de la consommation américaine, malgré la proximité du "pic de Hubbert" (moment à partir duquel la production de pétrole va atteindre son maximum avant de commencer à diminuer inexorablement), les prix du pétrole s’envolent inévitablement, créant pour nos économies un véritable choc mais qui pourrait se révéler salutaire face à l’immobilisme des Etats et la fuite en avant d’un productivisme insoutenable. La fin du pétrole n’est pas la fin du monde, c’est un difficile moment de transition prévu depuis longtemps et auquel nos sociétés ne se sont pas assez préparés mais ce n’est pas notre problème le plus grave, cela pourrait même constituer à plus long terme une chance dans la lutte contre un réchauffement climatique qui menace de s’emballer.

En effet, on peut dire qu’on manque de tout sauf d’énergie puisque la Terre est un système ouvert qui reçoit son énergie du soleil et bien plus qu’il ne nous en faut. Ce n’est donc pas l’énergie qui manque, c’est juste le pétrole qui va être de plus en plus cher. Comment le regretter alors qu’un prix trop bas incitait au gaspillage et qu’il est la cause principale de l’aggravation de l’effet de serre ? Ivan Illich avait bien prédit que trop d’énergie pouvait faire exploser la société. Il se pourrait même qu’on arrive à faire exploser la planète avec un réchauffement trop rapide. Les scientifiques sont très inquiets devant le dégel inattendu du permafrost (terre gelée) en Sibérie, ce qui se traduit par un risque important de libération du méthane qu’il contient, accélérant dramatiquement l’effet de serre (Le monde 11/08). A une échelle bien supérieure c’est ce qui s’était produit lors de plusieurs extinctions de masse, la libération de méthane augmentant considérablement l’effet de serre (20 fois plus que le CO2) tout en appauvrissant l’atmosphère en oxygène (ce sont les mammifères et les dinosaures qui s’en étaient le mieux sortis au permien). On n’en est pas là mais voilà notre horizon et ce qu’il faudrait absolument éviter !

Au regard de cet enjeu majeur de survie la crise du pétrole constituerait plutôt une véritable opportunité, accélérant le passage de l’ère de l’énergie à l’ère de l’information (voir encadré), si on ne risquait pas le développement d’énergies encore plus polluantes, comme le charbon, et si les réserves n’étaient pas encore assez considérables pour continuer à courir à la catastrophe, sans rien changer. Pas de quoi se réjouir non plus des conséquences économiques et sociales d’une augmentation des prix du pétrole avec tous les effets de manque d’une véritable toxicomanie de nos sociétés à cette énergie trop bon marché. On pourrait en attendre au moins la confrontation avec les limites de notre mode de développement et des ressources de la planète si la France ne se particularisait par une croyance quasi religieuse dans le nucléaire, symbole de la science triomphante, malgré les risques insensés qu’on fait courir aux populations à l’ère du terrorisme technologique.

Le plus probable reste que tout continue comme avant, avec simplement des carburants plus chers, privilégiant le court terme ! En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut absolument pas compter sur la sobriété individuelle, sur le changement de comportement des populations, c’est le système qu’il faut changer. Il faut proposer des énergies alternatives et opérer des changements dans l’organisation économique et sociale jusque dans l’urbanisme et l’habitation.

La seule alternative pour absorber les surcoûts énergétiques dans l’immédiat, ce sont les "négaWatts", gisements d’économies d’énergie avec toute une gamme de mesures plus ou moins politiques. Le plus immédiat ce sont des comportements de sobriété, en premier lieu l’isolation des bâtiments. La généralisation des nouveaux éclairages par diode divisant par 10 la consommation de l’éclairage devrait commencer dans les années qui viennent. L’amélioration de l’efficacité énergétique concerne tous les appareils électriques, en particulier leur mode veille. L’énergie intelligente vise à optimiser la dépense énergétique par rapport aux besoins grâce à un pilotage informatique très fin. La construction de nouvelles maisons devrait dès maintenant répondre à de nouvelles normes écologiques, se rapprochant de ce qu’on appelle les "maisons passives" utilisant au mieux l’énergie solaire. A plus long terme une politique d’urbanisme, de transports collectifs et de ferroutage peut réduire considérablement la dépense énergétique mais le plus décisif et le plus difficile sans doute, ce serait une indispensable relocalisation de l’économie privilégiant les circuits courts, à contre-courant d’une mondialisation déchaînée qui multiplie absurdement les trajets de marchandises.

Les transports et l’habitat (dans une moindre mesure) sont les deux plus gros consommateurs de pétrole. Les transports devront se recycler vers le méthanol sans doute, plutôt que l’hydrogène, et l’habitat vers le solaire mais la priorité doit rester de réduire les transports et d’isoler les habitations. L’hydrogène qu’on nous vante tant n’est qu’un moyen de stockage de l’énergie, particulièrement encombrant et difficile à manipuler, ce n’est en rien une solution même s’il sera utile pour le stockage de l’énergie renouvelable et pour des moteurs non polluants. Le méthanol est loin d’être satisfaisant, ce n’est pas la formule magique qui nous dispenserait de réduire les transports mais c’est un bon compromis qui a de nombreux avantages. La seule énergie désirable pour remplacer le pétrole, c’est le solaire dont le développement est très prometteur avec une baisse des coûts et un meilleur rendement. Avec le solaire on quitte définitivement l’ère de l’énergie pour l’ère de l’information mais cela prendra du temps et, il faut le répéter, dans l’immédiat le plus probable c’est le charbon (et d’autres hydrocarbures comme les huiles de schiste), ce qui serait vraiment catastrophique !

L’avenir se joue maintenant mais la question du réalisme se pose avec de plus en plus d’acuité entre rapports de force à court terme et des enjeux vitaux à plus long terme. Qu’est-ce que le réalisme aujourd’hui ? Est-ce la concurrence internationale contre laquelle on ne pourrait rien, le libéralisme qui nous dominerait pour toujours ? Est-ce la fin catastrophique du pétrole ? ou bien est-ce la prise de conscience que ce monde n’est pas durable, constater la catastrophe d’un monde qui va inexorablement vers un réchauffement aux conséquences incalculables ? Ce n’est pas dire que c’était tellement mieux avant, mais la maison brûle, ce n’est pas qu’un slogan, et nous devrons trouver rapidement des alternatives vivables, en premier lieu au pétrole dont les prix ont déjà commencé à flamber.

En savoir + :

> Un dégel sans précédent en Sibérie pourrait accélérer le réchauffement climatique

> Le retour du charbon

> Les économies d’énergie

> Les réserves de pétrole

> Conférence 2003 sur le pic pétrolier

Jean-Marc Jancovici :

> L’homme et l’énergie, des amants terribles

> Environnement : Faits, chiffres, calculs de coin de table et tentatives de prospective

> Qu’est-ce qu’une réserve de pétrole ?

> Articles et autres écrits

Benjamin Dessus et Hélène Gassin :

> So Watt ? L’énergie : une affaire de citoyens


Question à... Yves Cochet

le 31 octobre 2005  par Yves Cochet

Vous prophétisez une fin du pétrole apocalyptique, vous y croyez vraiment ou c’est juste pour frapper les esprits ?

Je ne suis pas prophète, je m’exerce à la prospective politique. Je n’annonce pas "la fin du pétrole", mais "la fin du pétrole bon marché". Le mot "apocalypse" doit être compris en son sens étymologique d’"avertissement". Mais, oui, je veux frapper les esprits, en analysant le plus justement (justesse + justice) le mouvement matériel du monde. A cette fin, le plus important est, pour chacun d’entre nous, de déconstruire nos représentations issues du passé afin d’être ouvert aux signaux du futur, de rechercher une vision partagée de l’avenir. Sans changement de nos représentations, pas de changement de la réalité elle-même.

Ne peut-on considérer que la fin du pétrole soit plutôt une chance face au réchauffement climatique ?

Derechef, il n’est pas question de "fin du pétrole", mais de l’entrée du monde dans l’ère de l’énergie chère, pour toujours. Il est politiquement imprudent de croire que les groupes humains qui ont poussé et poussent à la consommation de pétrole s’arrêteront de le faire. Nous pouvons seulement ralentir, réduire, faire décroître la consommation de pétrole afin d’atténuer la vitesse du changement climatique (aval du carbone) et d’essayer de conserver les valeurs cardinales de la paix, de la démocratie et de la solidarité en repoussant, lissant, rabotant le choc du Peak Oil (amont du carbone).

D’après vous, que pourrions nous faire ?

Une seule orientation : la sobriété. Exemples de premier niveau : dans le secteur de la mobilité (transports), remplacer la philosophie actuelle des pays riches "plus loin, plus vite, plus souvent, et moins cher" par "moins loin, moins vite, moins souvent, et (de toute façon) plus cher" ; dans le secteur agroalimentaire, remplacer la philosophie actuelle des pays riches "alimentation toutes saisons, tous continents, toutes viandes" par "alimentation plus saisonnière, plus local, plus végétale". La sobriété peut se décliner en centaines de mesures de second niveau, dans tous les domaines, à tous les échelons (voir mon livre).