Dossiers

Femmes, agents de transformation


Changez avec les femmes

par Annie Batlle

La moitié féminine de l’humanité a été pendant des lustres assignée à l’enfermement domestique sous prétexte d’être « un être humain appartenant au sexe capable de concevoir des enfants », définition de « femme » dans le petit Robert. Ce qui ne revient pas à dire qu’elles se sont contentées de faire des enfants. Elles ont été hyper actives, créatrices, efficaces, économiquement et socialement. Mais elles l’étaient de façon invisible et non quantifiable, puisque sans rémunération à la clé. Ce sexe là n’a jamais été « faible » et a largement démontré son endurance et sa capacité à maintenir et développer toutes les formes de vie, et pas seulement à la donner, à toutes les époques et sous toutes les latitudes. Le Forum économique mondial, friand de statistiques, estime que si on tient compte de leurs activités « invisibles » les femmes contribuent à plus de la moitié du Produit national brut des pays développés. Ces évolutions porteuses d’espoir ne nous font pas oublier l’oppression, les violences et les injustices que subissent les femmes à grande échelle dans le monde entier.

L’arrivée des femmes dans les sphères traditionnellement masculines ne peut que bouleverser l’ordre patriarcal qui a présidé à la construction de l’ensemble des sociétés humaines fondées sur la domination d’un sexe sur l’autre. Ce numéro de Transversales, à travers une mosaïque de témoignages, donne un aperçu de changements déjà à l’œuvre. Ils sont difficilement réversibles puisqu’ils s’avèrent bénéfiques à la fois pour les hommes et les femmes : sur le plan de la démocratie, de l’éthique, mais aussi sur le plan du développement au sens complet du terme, humain, culturel, économique et social. En politique, la montée des femmes au pouvoir partout dans le monde montre qu’il devient difficile d’imaginer que la politique reste exclusivement aux mains des hommes. Dans le tiers monde, elles jouent un rôle essentiel en matière d’éducation, de santé et d’économie, à travers notamment les entreprises d’économie solidaire qui font vivre des centaines de millions de familles. L’extension de leurs champs d’action est en partie liée au développement chaotique mais significatif des législations. Il est frappant de constater que, dans des pays peu démocratiques, ruinés par les guerres et en faillite économique tels que le Liberia, le Burundi, le Rwanda, l’Afghanistan, le rôle des femmes a été tellement « vital » pendant les conflits et leur présence si cruciale pour aider à la reconstruction qu’elles ont pu renégocier leurs droits : des femmes ont été nommées à des postes de responsabilité. Des droits politiques, parfois même la parité, leur ont été concédés dès les accords de paix. A moyen terme cela devrait accélérer l’accès à l’éducation par lequel passe leur émancipation totale et le développement de leurs pays. Dans des pays comme le Chili, l’Irlande, l’Allemagne, c’est aussi la capacité de dépasser les lignes de division qui a porté les femmes au pouvoir. Dans les entreprises occidentales, les femmes se heurtent encore au « plafond de verre ». Elles montrent cependant sans équivoque leur volonté et leur capacité à redonner des finalités humaines à des organisations devenues des machines à faire du profit et qui ont tendance à oublier leur rôle d’insertion et leurs responsabilités vis-à-vis de la collectivité. Nous ne croyons pas que les femmes soient meilleures que les hommes, ni supérieures, pas plus qu’inférieures. Nous sommes également persuadés que beaucoup d’hommes disposent d’« un quotient féminin » mais qu’on leur a appris à le museler. Les femmes sont simplement et généralement différentes, culturellement, par leur histoire, leur expérience, et non par leur nature biologique ou « leur genre » (qui colle à leur sexe avant même leur naissance comme le dit Maurice Godelier), et dont la traduction culturelle est largement arbitraire. Arrivant avec un regard neuf, un regard d’immigrée, dans des univers tels que la politique ou l’entreprise faite par et pour les hommes, elles introduisent une diversité source de vie et de renouvellement. Elles entament une monoculture dont on constate universellement les limites et agissent de facto comme des agents de transformation dans des sociétés qui aspirent à un renouvellement en profondeur.



La sujétion de la femme est universelle mais n’est pas naturelle

le 26 novembre 2006  par Françoise Héritier

Certes, le corps d’une femme est différent de celui d’un homme et la femme enfante, ce que ne peut faire l’homme. Mais cette différence biologique de départ ne justifie en aucun cas la domination masculine. On peut démonter tous les arguments liés notamment à la vulnérabilité du corps féminin. S’il y a fragilité à des moments particuliers et si elle appelle la protection, elle n’implique pas la sujétion. L’inégalité n’est pas un effet de la nature. Elle a été mise en place par la symbolisation dès les temps originels de l’espèce humaine, à partir de l’observation de faits biologiques notables. Tous les systèmes de pensée humains ont toujours fonctionné avec des catégories dualistes, des oppositions binaires (chaud /froid, sec /humide, extérieur/intérieur, chacun des termes étant connoté masculin ou féminin (homme dehors, dur, actif ; femme dedans, molle, passive etc.). Dès lors, la question centrale devient : pourquoi les différences entre hommes et femmes ont-elles été hiérarchisées et non également valorisées ? C’est ce que j’appelle « la valence différentielle des sexes ». Que des rôles et des tâches différentes aient été répartis entre les hommes et les femmes selon les circonstances peut se concevoir ; mais pourquoi les activités dites féminines ont elles été toujours systématiquement dévalorisées ? Parce que les hommes se sont assurés le contrôle de la fécondité des femmes, ce pouvoir exorbitant d’enfanter du différent, des fils, aussi bien que de l’identique, des filles. Pour avoir des fils, les hommes se sont appropriés les femmes : ils les ont confinées, exclues des domaines politiques, économiques, religieux, privées souvent d’éducation, de pensée, de parole, violentées. Elles ont été dépossédées de leur autonomie et même de leur fonction reproductrice ». En effet les femmes sont censées n’être que « matière » (Aristote), ventres, réceptacles. C’est pourquoi la conquête de la contraception me paraît plus importante pour l’humanité et plus révolutionnaire que celle de l’espace. C’est la voie vers l’égalité des femmes. Néanmoins celle-ci sera longue car les traces sont profondes dans les systèmes de représentation : la domination masculine est toujours là.

La différence biologique a suffi et suffit encore à fonder la domination masculine, « fonder » au sens d’établir et de maintenir, non au sens de justifier ; la mise en évidence des ressorts logiques de cette domination nous éclaire, non sur l’existence d’un dessin immuable, naturel et sacré mais sur le caractère contingent d’une histoire qui a dépendu de l’observation du réel, certes, d’interrogations métaphysiques et de constructions mentales forgés au fond des âges et qui ne devraient plus avoir cours aujourd’hui.


Femmes en politique : trompe l’œil ou changement ?

le 26 novembre 2006  par Catherine Achin , Sandrine Lévêque

Après le vote en 2000 d’une loi inédite sur la parité et au moment où, pour la première fois dans l’histoire de la République française, une femme semble être en mesure d’être investie par un parti majoritaire pour l’élection présidentielle, la question de la place des femmes dans la vie politique apparaît comme un enjeu central du débat sur la modernisation politique et l’égalité des sexes. Après plus de dix ans de débats, deux changements majeurs peuvent être notés.

Il semble d’une part que l’on puisse désormais être « une femme en politique », c’est-à-dire valoriser des qualités réputées féminines pour « faire de la politique autrement ». Pour autant, à tout moment, cette ressource peut être retournée contre celles qui en usent. Les arguments de douceur, de proximité ou de pragmatisme que l’on attribue aux femmes en politique se transforment alors en dénonciation de leur futilité et de leur incompétence. C’est donc moins le fait d’être une femme, que d’être implantée localement, ou de bénéficier du soutien d’un appareil partisan, qui détermine la réussite politique. Il y a d’autre part davantage de femmes en politique, au sein des partis comme dans les assemblées élues. Elles restent toutefois cantonnées pour la plupart à des rôles « féminins », qu’elles endossent elles-mêmes ou qu’on leur impose. Elles semblent de la même manière avoir intériorisé les normes structurant en profondeur un métier politique masculin.

Comment, à partir de cette situation contrastée, envisager l’avenir des femmes en politique ?

On peut se hasarder à deux types de scénarios.

Le premier, pessimiste, considèrerait ces évolutions comme débouchant sur une « Révolution conservatrice », ne remettant pas en cause les règles immuables du jeu politique. Les logiques sociales du recrutement seraient reproduites et le genre instrumentalisé au seul profit d’une élite féminine. Par ailleurs, la ressource de l’identité sexuée pourrait bien être déclassée par de nouvelles « ressources », vraisemblablement tout aussi éphémères et fragiles, comme l’origine ethnique par exemple. Les réactions anti-féministes suscitées par le contexte paritaire (résistances à l’application de la loi anti-sexisme ou à la loi sur le harcèlement, comités de défense des droits des pères, polémiques autour des chiffres de la violence faite aux femmes...), laissent craindre par ailleurs un « backlash » pour l’émancipation féminine. Enfin, rien ne garantit que les femmes politiques défendent en priorité les intérêts des femmes dans la société.

Le second scénario, optimiste, parierait sur un changement des représentations et des règles du jeu politique, sous l’effet de l’entrée massive et durable des femmes dans les assemblées, voire de l’une d’entre elles au sommet de l’État. On peut penser que la popularité de l’idée paritaire, conduira à terme les partis politiques à se concurrencer sur leur « bon usage » de la loi. En outre, les femmes entrées en politique grâce à l’obligation paritaire vont peut-être accumuler l’expérience politique nécessaire à la consolidation de leur carrière et du même coup se trouver en mesure d’imposer de nouvelles normes d’excellence politique. Cette normalisation de la présence des femmes sur la scène politique bouleverserait à la fois les manières de faire de la politique mais aussi les priorités de l’agenda politique dans un sens plus favorable à l’égalité des sexes.


Code de la famille au Maroc : enjeu des luttes des femmes

le 26 novembre 2006  par Leila Rhiwi

A l’heure où les médias occidentaux renvoient une image de la femme en terre d’islam plus écrasée que jamais, Leïla Rhiw nous invite à découvrir les luttes et les conquêtes des femmes marocaines.

Après plus de 50 ans d’efforts, les mouvements féministes marocains obtiennent peu à peu gain de cause grâce à un travail persistant sur 3 fronts :

-  le champ législatif d’abord qui leur a permis d’obtenir notamment une réforme du Code du Statut personnel, débouchant notamment sur l’affirmation de l’égalité des époux ;

-  le terrain de la solidarité, grâce à un travail de proximité auprès des femmes les plus fragiles, pour leur permettre de trouver les moyens de leur autonomie, économique et sociale, de se défendre lorsqu’elles sont victimes de violence ;

-  le champ culturel enfin où elles s’attellent à transformer en profondeur les comportements et attitudes de tous, afin de promouvoir une culture de l’égalité. Leçon de ténacité politique, dont les fruits se font sentir dans le quotidien de millions de femmes, le travail de ces mouvements est aussi un formidable apport à la démocratie marocaine en général. Il témoigne que le changement est possible. Il montre que des pans entiers de la vie sociale peuvent être soustraits à l’église au profit d’une régulation par l’Etat. Et pour la première fois dans l’histoire du Maroc, une référence juridique aux « Droits de l’homme » a été introduite.

Bref historique

Parler du processus de mobilisation pour la réforme du code de la famille exige de rendre hommage aux premières militantes de l’élévation de l’âge du mariage et de l’abolition de la polygamie : Akhawat Safa[1]. Dés les années 50, c’est à dire il y a plus d’un demi siècle, ces pionnières de la revendication des droits pour les femmes réclamaient déjà que le divorce soit judiciaire et que les femmes puissent jouir de droits égaux au sein de la famille.

Introduire le processus de réforme du code de la famille exige également de rappeler l’historique de sa promulgation et les différentes tentatives. C’est en 1958 que le Code du Statut personnel (CSP) vit le jour avec une conception de hiérarchisation des rôles faisant de la femme un être soumis à l’autorité d’un époux, qui se devait de l’entretenir.

Il fut très difficile, si ce n’est impossible, de toucher au texte. De fait, les tentatives de 1961/68/82 échouèrent, rendant le texte quasi sacré. Seule la réforme de 1993 réussit à lever cette sacralité. Cette première étape n’introduisait aucun changement important dans la loi. Il y fut question d’information des deux épouses en cas de décision de polygamie. Egalement, la garde de l’enfant passait en seconde position chez le père et une disposition de levée de tutelle pour les filles orphelines de père fut introduite, instaurant une discrimination entre les femmes. Pour exemple, de jeunes orphelines de 17 ans se retrouvaient sans tuteur alors que des femmes de plus de 40 ans restaient sous la tutelle de leur père pour la contraction de leur mariage. Toutefois, bien que légère sur le fond, cette révision a été capitale du point de vue de la levée de la sacralité sur le texte. Soudain, l’opinion publique fut convaincue qu’on pouvait toucher au texte et cela renforça l’énergie des associations féminines dans leur lutte pour une réforme véritable.

En 1998, lorsque le gouvernement d’alternance En 1998,[2] arrive au pouvoir, la question sociale et le statut de la femme sont annoncés comme chantiers prioritaires. Un Plan d’Action National d’Intégration des Femmes au Développement (PANFID) fut lancé, comprenant 4 champs prioritaires : l’éducation, la santé, le pouvoir économique et le statut juridique. Ce dernier axe proposait quelques mesures prioritaires, à l’origine de la cabale des dévots contre le PANFID et avec lui les féministes : élévation de l’âge du mariage, abolition de la tutelle, divorce judiciaire, réglementation de la polygamie, partage des bien acquis pendant le mariage.

C’est ainsi que ce plan d’action, élaboré dans une concertation État/ONG et dans le cadre d’un long processus de négociation, fut abandonné par le gouvernement. La société civile se retrouvât seule à défendre un plan d’action gouvernemental dans une mobilisation alors jamais égalée.

Lors des deux années de blocage du PANFID, des dizaines de débats dans différentes régions du Maroc opposèrent les deux conceptions de la famille, porteuses de deux projets de société distincts : un projet moderne, progressiste défendant le principe de l’égalité des droits au sein de la famille et un second, de conception conservatrice, basée sur la soumission de la femme et la hiérarchisation des rôles. Les marches de Rabat et de Casablanca en mars 2000 constituèrent le point culminant de cette mobilisation. Au Printemps 2001, le roi Mohamed VI finit par arbitrer en créant la commission consultative chargée de la réforme du code du statut personnel. Ce fut l’occasion de poser le problème du fondement du texte, opportunité que saisirent les associations féministes, et exigeant une réforme globale.

Le dénouement de 2004 est le résultat d’un cheminement, d’une longue lutte et d’un effort inlassable engagé depuis une vingtaine d’années par tous les défenseurs des droits des femmes. Le long travail de fourmis, la présence constante auprès des femmes, l’inlassable revendication des droits à l’encontre des décideurs et de l’opinion publique, ont débouché sur cette prise de conscience et ce constat unanime qu’il n’était plus possible que les droits des femmes soient ainsi bafoués.

Mais le développement d’aujourd’hui est également celui d’une lutte invisible, celle de la vie, celle de toutes les femmes « ordinaires », j’entends par là « hors de toute structure associative de revendication ou d’action »..Toutes ces travailleuses qui, pauvreté oblige, ont investi l’espace public et, de ce fait, contribuent à la gestion financière de leur foyer. Par cet apport économique nécessaire à la survie de leur ménage, ces femmes ont déjà commencé à réviser les rôles et la répartition du pouvoir au sein de la famille.

Ce dénouement est également lié à la reconnaissance institutionnelle de la violence subie par les femmes, à travers deux campagnes de communication pilotées par le Secrétariat à la famille, en 1998 et en novembre 2004. Parallèlement, le Maroc a connu un chantier général de réformes, touchant : le code des libertés publiques, le code du travail, le code pénal ayant introduit l’incrimination de la violence conjugale et, plus fort encore, la levée du secret médical dans le cas de la violence domestique. Enfin, la représentation des femmes au parlement a atteint les 10%, grâce à une mesure de discrimination positive lors des élections législatives de septembre 2002.

Enjeux

La question des droits des femmes est au cœur du développement démocratique et l’amélioration de leur statut est une condition centrale dans l’émancipation de toute société. Durant près d’un demi siècle, le CSP[3] a constitué un mécanisme d’exclusion des femmes. Basé sur le principe de hiérarchisation des rôles et doublé d’une instrumentalisation forte de la religion, ce frein institutionnel a entretenu les résistances à toute tentative de révision des rôles entre femmes et hommes. Dans ce sens, le mouvement des femmes avec ce qu’il implique comme transformation au sein de la société déstabilise la culture patriarcale et crée des ruptures sociales. Par leur revendication des droits, les femmes s’inscrivent dans une accélération de l’histoire. C’est de leur émancipation, en vérité de leur libération, que dépendent la construction démocratique et l’inscription dans la modernité.

La réforme

La réforme du CSP est la première victoire du mouvement des femmes. La nouvelle loi restitue à la législation de la famille son rôle social de protection des droits des individus et des communautés. Elle inscrit le Maroc dans l’effort de construction de la démocratie. Quatre remarques peuvent être faites :
-   Le fondement du nouveau texte consacre l’égalité entre les époux dans la responsabilité partagée de la famille, contrairement à l’ancien texte qui minorait la femme sous le principe de « l’obéissance à son époux en contrepartie de son entretien ». Il vient bouleverser l’ordre établi du patriarcat et réhabilite la femme en la considérant comme un citoyenne à part entière. Ce bouleversement des rôles est d’une importance qu’il ne faut pas négliger, dans l’impact qu’il va avoir sur le vécu quotidien des hommes et des femmes, en termes de transformations des pratiques sociales et des attitudes et comportements.
-   La discussion du projet au parlement constitue également une remarquable avancée dans le traitement du sujet. Le CSP a toujours relevé de l’autorité religieuse et lors de la première révision de 1993, c’est un conseil d’Ouléma qui a proposé un texte au roi Hassan II. En soumettant le code de la famille au parlement, on « humanise » définitivement le texte de loi. Il s’agit là d’une avancée institutionnelle indéniable : cette loi devient une loi comme n’importe quelle autre loi et ne peut désormais plus échapper au circuit classique. Autrement dit, il n’y aura plus d’exception pour la femme et la famille.
-   L’élargissement du texte de loi au référentiel universel des Droits de l’Homme. En effet, bien que l’ensemble de l’argumentaire introductif présenté par le roi Mohamed VI devant le parlement réfère à des versets coraniques, il fait néanmoins référence à la Convention Universelle des Droits de l’enfant, que le Maroc a ratifié concernant le droit à l’identité pour l’enfant né en dehors des liens du mariage. Cette petite brèche vers l’universalité des droits est d’une importance qu’il ne faut pas négliger, car voici un texte référencé religieux et intégrant une part d’universel. Et bien qu’aujourd’hui, cela relève encore du symbolique, il n’en demeure pas moins que la valeur du symbole est très forte.
-   L’intervention du Ministère public comme partie prenante dans les affaires familiales. Cette nouveauté est une avancée importante en terme de responsabilité institutionnelle dans la législation familiale. La gestion des conflits n’est plus une affaire privée, domestique. L’état a un devoir de protection des droits des membres d’une famille et de garantie d’égalité de traitement.

Concernant les dispositions du nouveau code de la famille, les avancées les plus importantes à relever sont :
-   l’élévation de l’âge du mariage de 15 à 18 ans ;
-   l’abolition de la tutelle matrimoniale pour la contraction du mariage : elle devient optionnelle ;
-   la polygamie rendue difficile, on peut dire que nous passons à un régime de bigamie ;
-   les mesures relatives au divorce assurent une plus grande protection des droits des femmes : toutes les dissolutions du mariage se font au tribunal de famille et après une tentative de réconciliation ; la garde du domicile conjugal va à celui qui a la garde des enfants et la pension alimentaire est calculée à part ; le choix du parent gardien est harmonisé à 15 ans pour le garçon et la fille ; la mère ne perd plus la garde de ses enfants en cas de remariage lorsque ces derniers ont moins de 7 ans ; un délai de 6 mois maximum est arrêté pour le prononcé des jugements de divorce ; la procédure du divorce khôl ne permet plus au mari d’abuser financièrement de son épouse et les enfants ne peuvent faire l’objet de marchandage ; la définition du préjudice subi par les femmes est élargie à la violence psychologique ; des mesures d’urgence pour l’allocation de la pension sont prévues ; le divorce « Rijii [4] » est aboli ;
-   la recherche de paternité comme droit fondamental des enfants ;
-   une disposition de partage des biens acquis pendant le mariage ;
-   le droit à l’héritage pour les enfants de la femme prédécédée.

Cependant, le nouveau texte connaît quelques limites à la consécration de droits pleins et entiers. On peut citer les plus importants :
-   La tutelle juridique reste le fait de l’époux, qui peut même la léguer de façon testamentaire. De sorte que l’on peut avoir une femme veuve, gardienne d’enfants mais sans autorité juridique sur eux et ayant toujours besoin de l’autorité d’un homme. Ceci étant en totale contradiction avec l’esprit de la loi « responsabilité partagée de la famille ».
-   La polygamie, bien que rendue difficile, pose le problème de la marge d’appréciation du juge, puisque le texte ne décline pas de façon explicite les cas de refus d’autorisation et laisse la porte ouverte aux estimations du juge marocain. Cette marge de liberté constitue un risque important lorsque l’on connaît l’état d’esprit conservateur d’un grand nombre de nos juges.
-   La perte de la garde de l’enfant lors du remariage de la mère, sauf si ce dernier à moins de 7 ans ou est malade, est également contraire au fondement du nouveau code basé sur « l’égalité des conjoints ». En effet, il n’est valable que pour la femme. Le mari ne perd pas la garde de l’enfant en cas de remariage (il peut même être bigame),. En outre, cela introduit une discrimination flagrante entre les enfants : ceux en bonne santé seraient privés de leurs mères et les malades non. Cette disposition risque de favoriser la corruption des médecins. Il serait intéressant de suivre de près les statistiques des enfants malades bénéficiant de ce fait de la garde par leur mère dans les prochaines années.
-   Bien qu’étant une introduction historique dans la loi marocaine du point de vue de la responsabilité de l’état, la recherche de paternité reste limitée à l’institution de la famille. Elle n’autorise pas de recherche de paternité aux cas de viol par exemple, ou de relation sexuelles en dehors des liens du mariage.
-   Le partage des biens acquis pendant le mariage pose également problème, celui de toutes les travailleuses à domicile dont la contribution n’est pas valorisée. Le texte ne parle en effet que de la contribution à l’enrichissement financier de la famille et n’élargit pas à celle naturelle des femmes au foyer.

Ainsi donc, le grand défi de l’opérationnalisation est le degré de réussite des tribunaux de famille à préserver l’esprit de la loi : les procédures, les textes d’application, les mécanismes, les verrouillages nécessaires.

D’un autre côté, l’observation de la mise en œuvre permet de confirmer la vérité selon laquelle la promulgation d’une loi n’est pas en soi suffisante. Elle ne peut défendre et protéger les citoyens qui n’y ont pas accès. Pour rendre la réforme accessible, l’Etat doit utiliser les médias oraux et télévisuels. Une véritable stratégie de communication dans le dialecte marocain, les langues amazigh et le rifain est nécessaire. Il s’agit de vulgariser le texte et de le mettre à la portée des femmes. Ce n’est que de cette manière qu’elles pourront le faire prévaloir pour se défendre. D’autre part, l’État doit être le garant de l’application de la loi avec des mécanismes de contrôle. Enfin, la formation continue et la sensibilisation des juges doit être un exercice permanent, car sans leur transformation, toute réforme serait vaine.

De la même manière, la nouvelle loi ne pourra prendre tout son sens que si elle s’intègre à une politique globale de promotion de la condition féminine, avec des mécanismes puissants de mise en œuvre et de contrôle, et des programmes d’éducation à la culture égalitaire. Pour être cohérent, l’ensemble de l’arsenal juridique doit ainsi être réformé/harmonisé : code de la nationalité, code de la fonction publique, code pénal, levée des réserves à la CEDAW, etc.

Luttes des femmes

Cette victoire des femmes est, entre autres, le fruit d’un formidable mouvement politique de plaidoyer qui se poursuit autour des questions d’éducation.

Convaincues de l’importance et du rôle de l’école dans la construction du citoyen et de la citoyenne, en tant que personne autonome et capable de raisonner par elle-même, les associations féminines ont pu analyser le système éducatif en terme de contenus et de réformes et émettre des suggestions pour une meilleure prise en compte de l’égalité dans l’institution éducative.

Par ailleurs, convaincues que les meilleures intentions politiques peuvent rester à l’état de projet, les associations féminines interpellent l’État sur la nécessité de l’intégration de l’approche « genre » lors de l’élaboration du budget national et insistent sur l’importance de la prise en compte des spécificités des problèmes des femmes lors de l’allocation des ressources budgétaires de l’état.

Enfin, la force du mouvement des femmes en tant que lobby réside dans son engagement auprès des femmes dans des actions de proximité. En matière de lutte contre les violences, les associations féminines sont aujourd’hui les seules structures à prendre en charge des femmes victimes de violence, grâce au déploiement de centres juridiques dans différentes régions du Maroc.

Grâce à la vingtaine de centres d’écoute dans les différentes régions du pays, les associations féminines promulguent information, conseil et orientation aux femmes victimes de violences. Les féministes obtiennent ainsi la « légitimité du terrain ». C’est en effet, par cette présence auprès des femmes que la connaissance des problèmes est approfondie, les argumentaires affinés et que les propositions alternatives portées par les militantes sont ajustées.

Le mouvement des femmes a développé une pratique du réseautage, qui malgré toutes les difficultés inhérentes à toute action de coalition dans un mouvement politique, constitue l’un des plus grands acquis des féministes marocaines. Le dernier regroupement « Printemps de l’Egalité » en est la plus belle preuve. Constitué avec la création de la Commission royale consultative chargée de la réforme du code de la famille, le « Printemps de l’Egalité » a permis une ample mobilisation, marquée par une approche innovante en matière de communication. L’ensemble a valu au mouvement une grande sympathie de la part de l’opinion publique.

Autre niveau d’action : celui du renforcement du pouvoir des femmes. Il s’agit ici de tout le travail mené en faveur des mères célibataires, en terme de réinsertion sociale, autour des actions génératrices de revenus, micro crédits, coopératives, etc. Cela inclut les programmes d’alphabétisation fonctionnelle, l’innovation en formation au leadership, etc.

Pour finir, il est nécessaire de s’attacher à changer les comportements et les attitudes. La promotion d’une culture de l’égalité est la plus grande des batailles et certainement la plus difficile. Les valeurs que les femmes défendent doivent être présentées, défendues auprès des jeunes, des hommes, des femmes pour qu’ils puissent se les approprier, les porter et les défendre avec le mouvement. C’est un complément indispensable à l’action dans le champ législatif.

Grâce aux « universités de printemps », aux sessions d’été, aux « écoles de la citoyenneté », les associations féminines contribuent à la transformation de la société. Tous les acteurs de la construction démocratique, les institutions et la société civile, ont une responsabilité en terme d’éducation à l’égalité. Aujourd’hui, ce sont les courants conservateurs qui encadrent les jeunes au travers des clubs culturels et autres structures. Mais comment les valeurs d’égalité, de liberté et de tolérance peuvent-elles être portées et défendues si ce nécessaire travail d’éducation n’est pas fait ?

Notes :

[1] Organisation féminine née dans les années 40

[2] le Maroc a pour la première fois de son histoire un gouvernement dirigé par un parti de gauche, l’Union Socialiste des Forces Populaires

[3] Le CSP, Code du Statut Personnel, a été promulguée en 1958

[4] Procédure dans l’ancien texte qui permettait à l’homme de répudier sa femme et de la reprendre sans l’avis de cette dernière


Femmes dans l’entreprise, la mixité source d’innovation

le 26 novembre 2006  par Annie Batlle

Quand on demande à une femme « est-ce que vous travaillez ? », il faut entendre, gagnez-vous de l’argent ? Si ce n’est pas le cas elle répond souvent presque honteusement : « non », même si elle élève quatre enfants, aide son mari dans sa boutique ou ses affaires, s’occupe de ses parents âgés, se lève tous les jours la première, éteint les derniers feux après avoir couru du matin au soir, sans connaître ni vacances ni jours fériés. Les femmes ont toujours été hyperactives mais sont entrées tardivement dans le monde du travail rémunéré, hormis les prostituées ou les femmes de service (dans le droit fil de leurs emplois millénaires). La répartition des rôles instaurée au départ et la privation d’éducation (cf. article FH) sont longtemps restées gravées dans le marbre. Les rares femmes dites de « tête » qui avaient eu la chance d’avoir pu étudier, n’en faisait pas commerce mais œuvre d’art ou d’influence. Dans la période pré-industrielle, les femmes ont travaillé très dur dans le cadre de la cellule familiale. Si elles n’étaient pas mariées elles étaient domestiques, servantes de ferme, apprenties. Si elles avaient un mari, elles l’aidaient, qu’il soit fermier ou artisan, comme le décrit Evelyne Serdjénian dans son livre « L’égalité des chances » (Editions d’Organisation). Dans les sociétés agricoles, elles accomplissaient - et accomplissent encore - près de la moitié du travail productif. Au 19ème siècle, sous le coup de l’industrialisation et de l’exode rural, 40% d’entre elles entrent à l’usine en qualité d’ouvrières. En 1911 le taux d’activité féminine est de 36%. Mais en 1962 on compte seulement 28% de femmes sur le marché du travail. Les femmes des classes moyennes redeviennent des ménagères à plein temps. On est en plein culte de la femme au foyer. Ne pas être « obligée de travailler » apparaît comme un luxe aux bourgeoises et un impératif social à leurs époux.

C’est au cours des 30 glorieuses, années de croissance et de consommation, que les filles commencent, en nombre, à faire des études poussées. Elles vont s’introduire en masse dans les entreprises à la fin des années 60, qui consacrent leur libération sexuelle (la pilule en 1967) et, en conséquence, la possibilité de choisir leur nombre d’enfants, ainsi que leur libération économique (elles n’ont plus besoin de l’autorisation de leur mari pour travailler depuis 1965). Simultanément, l’appétit pour la consommation se traduit par l’ambition des ménages de cumuler deux salaires alors que le progrès de l’électro ménager diminue les tâches domestiques. Et, poussées par la vague de la tertiarisation de l’économie, les choses vont assez vite, en comparaison avec les siècles voire les millénaires d’immobilisme. Aujourd’hui, les femmes composent 46% de la population active. Le taux d’activité des femmes de 29 ans à 45 ans est passé de 58 à 81% entre 1975 et 2003. 30% des cadres sont des femmes (taux de progression de 100 depuis 1990).

Une évolution, pas une révolution A tous les niveaux, la mixité est loin d’être acquise. Alors que chez les 25/35 ans, 68% des filles ont leur bac contre 54% des garçons, que 56% des étudiants à l’université sont des étudiantes (mais les savoirs restent toujours sexués : la Science aux garçons, les Lettres aux filles), 76% des employées sont des femmes. Elles comptent pour 80% des emplois à très bas salaires. 30% d’entre elles travaillent à temps partiel contre 5% des hommes. 11% de celles qui sont actives sont au chômage pour 8,8% des hommes.

Pour des raisons essentiellement démographiques (le papy boom et le baby gap), les femmes entrent dans des bastions classiquement masculins comme l’automobile, le BTP, les transports... Mais cela a le mérite de prouver qu’elles y réussissent aussi bien que les hommes, sinon mieux. D’après les premières observations, elles améliorent le climat et ont des taux d’absentéisme inférieurs à ceux de leurs collègues masculins. Reste qu’elles sont encore largement majoritaires dans les secteurs traditionnellement féminins. On trouve effectivement une majorité de femmes dans la santé (70%), le travail social (78,2%), l’éducation (65%). Et qu’elles y occupent surtout les emplois subalternes, les postes de responsabilité étant majoritairement tenus par de « grands patrons ». Les femmes sont d’autant plus présentes que les métiers sont moins qualifiés.

Plus les niveaux hiérarchiques sont élevés moins il y a de femmes. La nomination très médiatisée de certaines à la tête de grosses entreprises ne suffit pas à masquer le fait qu’on trouve seulement 7,5 % de femmes dans les CA, 5% dans les comités exécutifs. Elles représentent seulement 17 % des 300 000 dirigeants salariés en France, sachant qu’elles occupent essentiellement ces postes de responsabilité dans les petites entreprises, souvent familiales. Elles ne comptent que pour 30% des créateurs d’entreprises, très petites la plupart du temps. Mais le fait que leur présence devienne significative permet d’étudier leurs comportements et d’évaluer les transformations qu’elles opèrent dans les sociétés qu’elles dirigent ou qu’elles créent, comme nous l’avons fait dans « Le bal des dirigeantes » (Editions Eyrolles 2006). Nous y avons montré que la majorité d’entre elles (une majorité ne signifie pas la totalité) ont une relation différente au pouvoir, envisagé comme une possibilité d’agir plus que comme une source de prestige. Elles sont susceptibles d’humaniser l’entreprise car préoccupées des autres, moins obsédées par le profit à court terme, plus adeptes d’une croissance douce. En outre elles font la courte échelle aux autres femmes, contrairement à ce qui se raconte.

Le long combat pour l’égalité dans la différence L’égalité sera encore un long combat, mais beaucoup de facteurs favorables sont là qui permettent de l’espérer au-delà des facteurs démographiques. Les pouvoirs politiques ne peuvent plus freiner les aspirations de la moitié des électrices. Ils légifèrent pour lutter contre la discrimination. Les dirigeants d’entreprises ne peuvent plus continuer à ignorer celles qui constituent l’essentiel de leur clientèle. Ils commencent à mettre au point des dispositifs anti discrimination, dont des gestions individuelles de carrière (cf. interview d’Armelle Carminati).

De nombreux hommes souhaitent cette évolution. Collègues et patrons reconnaissent volontiers les compétences des femmes. Les pères des filles qu’ils ont encouragées à faire des études, ne supportent pas qu’elles soient discriminées en tant que fille. Les aspirations des jeunes hommes se rapprochent de celles des femmes en matière d’équilibre de vie. Ils n’ont plus envie de consacrer leur existence à des firmes susceptibles de les jeter du jour au lendemain. Ils rejoignent les femmes dans leurs démarches en faveur d’une nouvelle organisation du temps de travail, des horaires et des dynamiques de carrières.

Dans la société de l’information, la force physique n’est plus un avantage compétitif. La valeur vient de l’intelligence et du travail. Qui ose encore prétendre que les femmes sont moins intelligentes que les hommes ? Elles sont plus travailleuses (car elles doivent toujours « prouver »), plus concrètes et, désormais, moins complexées parce que conscientes de leur valeur. Il sera difficile de les renvoyer dans leur foyer et de continuer à les culpabiliser sur le fait d’avoir de l’ambition.

L’innovation tant recherchée aujourd’hui par les entreprises naît de la diversité, dont la mixité est un facteur important. Des études menées dans plusieurs pays montrent que les résultats des entreprises sont meilleurs lorsque les organes de direction sont mixtes. Les entreprises à domination masculine butent spectaculairement sur les limites de la pensée unique, du culte de la rationalité au seul service de la logique économique défendue arme au poing. Elles sont empêtrées dans de nombreuses contradictions. Nées pour durer, elles gèrent d’abord le court terme. Entièrement dépendantes des humains, elles les découragent au lieu d’en tirer le meilleur. En quête de ressources naturelles rares, elles les dilapident.

Les femmes ont une autre histoire, des responsabilités et des conditionnements différents. Elles ont donc un regard, des comportements autres. Ce n’est pas une question de biologie mais de culture. Evidemment certaines, en tant que dominées, miment les hommes pour se faire accepter mais cette attitude est de plus en plus rare. Ce ne sont pas des guerrières et leur éducation ne les a pas conditionnées à l’idée d’être des chefs. Evidemment cela peut changer mais aujourd’hui, parce qu’elles en ont une longue habitude, elles sont plus portées à gérer des compromis, créer des liens, maintenir un climat favorable à l’expression de chacun pour la paix du groupe. Elles ne sont pas mieux, ou moins bien, elles ne sont simplement pas les mêmes. Et on ne voit pas pourquoi l’égalité ne serait pas possible dans la différence, n’en déplaise à la Constitution des droits de l’homme, qui n’est visiblement pas celle des droits de la femme.

L’indépendance économique est indispensable aux femmes pour gagner leur indépendance tout court. Leur évolution dans les nouvelles configurations familiales, dont elles sont souvent devenues les responsables, les engage à obtenir rapidement l’égalité professionnelle. Leur choix ne se réduit plus à travailler ou pas, mais à travailler moins ou plus.

Si on ne veut pas s’en remettre seulement « au cours naturel » qui risque d’être lent, ce choix passe, croyons nous, par des mesures volontaristes publiques et privées, type quotas, parité, comme en Norvège et en Espagne, au moins pendant une période. Nombre de femmes, notamment les moins jeunes qui ont ramé pour imposer leurs compétences, sont contre. « Nous ne voulons pas être assimilées à des quotas mais jugées sur nos qualité » disent-elles. Ce à quoi d’autres répondent, à l’instar de Antoinette Butumubwira, la charismatique ministre des affaires du Burundi, où la parité est en vigueur depuis les accords de paix : « je suis un quota, ai-je l’air stupide ? ». Et si parité et quotas envoyaient quelques femmes à des postes immérités, ne serait-ce pas le signe le plus sûr d’une égalité émergente avec les hommes ?


Economie solidaire : une affaire de femmes

le 26 novembre 2006  par Joëlle Palmieri

Transversales Sciences Culture : Qu’appelle-t-on économie solidaire et quel rôle y jouent les femmes ?

Joëlle Palmieri : Née il y a plusieurs siècles, l’économie solidaire cherche à valoriser les richesses d’une société, qu’elles soient marchandes ou non, monétarisées ou pas. Elle englobe l’ensemble des activités humaines susceptibles de créer du lien social de proximité, en s’appuyant sur une activité économique. L’économie solidaire s’inscrit dans une pensée héritée des socialistes utopiques. Celle-ci refuse d’enfermer la richesse d’une société dans la face émergée de l’iceberg que constitue l’économie de marché capitaliste telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Depuis toujours, le rôle des femmes dans l’économie solidaire a été prédominant, même s’il n’a pas toujours été pensé consciemment comme tel : le troc, le marché informel, la tontine, sont des instruments de l’économie solidaire que les femmes pratiquent depuis des siècles sous toutes les latitudes. A elles seules, les femmes portent 80 à 85% de ces activités économiques, pays du Nord et du Sud confondus.

On notera cependant que, comme dans l’économie capitaliste, ce sont des hommes qui occupent majoritairement les places de responsabilité dans les structures de l’économie solidaire. En réalité dès que l’économie solidaire sort de l’informel, s’institutionnalise, que ce soit sous forme d’association ou de coopérative, les hommes reprennent les rênes. Il y a une corrélation étroite entre visibilité et présence des hommes. La remise du prix Nobel de la paix à Mohammad Yunus, président de la Grameen bank, est parfaitement représentative de ce décalage : ce sont à 95% des femmes qui ont créé et pratiquent le micro-crédit depuis des siècles, mais c’est un homme qui reçoit le prix ! Cette masculinisation des postes à responsabilité de l’économie solidaire se fait avec la complicité inconsciente des femmes, qui semblent fuir toute forme de publicité (au sens de « rendre public »), de médiatisation, aussi confidentielle soit-elle.

TSC : Comment expliquer ce décalage entre l’investissement des femmes dans l’activité économique et leur refus de la visibilité ?

JP : On touche ici à une dimension très profonde du système patriarcal, dans lequel la sphère privée - le domus - est le domaine privilégié de la femme - alors que la sphère publique est réservé aux hommes. Tant que l’activité économique reste informelle, les femmes ont le sentiment d’évoluer dans la sphère privée et se sentent donc tacitement « légitimes ». Dans la mesure où l’économie informelle touche au lien social, il n’y a pas, à leurs yeux, de discontinuité avec leurs autres activités fondamentales de « production/reproduction » : mettre au monde, alimenter, éduquer, soigner... Elles déploient dans l’activité économique les mêmes trésors d’inventivité que pour leur activité de reproduction. Comme l’expliquent Maria Mies et Vandana Shiva dans leur ouvrage L’écoféminisme (1983 - trad. française 1999 - Ed. L’Harmattan), il y a non seulement cohérence mais consolidation entre système patriarcal et système capitaliste.

Par leurs multiples activités, rémunérées ou non, liées à l’éducation, la santé, la nutrition, l’entretien de la terre, les femmes nourrissent le socle d’une économie dont la partie capitalistique ne représente qu’une faible part. Ce décalage entre économie visible (économie dite « dominante ») et économie invisible (celle portée par les femmes) est encore plus flagrant dans les pays pauvres. En Afrique, il est quasi impossible de lancer des activités capitalistes puisque d’une part les ressources naturelles sont en voie d’épuisement et d’autre part les investissements nécessaires au lancement d’activités nouvelles sont absents (seuls 0,9% des investissements viennent de l’extérieur du continent dont 90% sont absorbés par la seule Afrique du Sud). L’économie informelle, tenue par les femmes, est donc celle qui permet à ce continent de survivre.

TSC : Cette implication des femmes dans l’économie solidaire est-elle positive et leur permet-elle de transformer leur existence ?

JP : Pour la plupart c’est tout simplement une question de vie ou de mort ! Ces femmes rivalisent d’inventivité pour survivre ! Et souvent en partant de presque rien. Prenons l’exemple de cette communauté de femmes vivant dans un bidonville de 300 000 habitants à Karachi (Pakistan). Leur objectif premier est de sortir de l’habitat de cartons, planches et débris, pour avoir un habitat en dur susceptible de résister aux intempéries. Une ONG indienne leur a offert une machine à coudre. Une seule machine à coudre ! Elles se sont organisées avec une gestion de planning digne des meilleurs cours de management, pour utiliser cette machine de façon tournante au maximum de ses capacités et coudre des chemises à partir de tissus de récupération. Avec le produit très modeste de la vente de ces chemises, elles ont commencé à construire un premier habitat en dur, puis à acheter une seconde machine et ainsi de suite. Au bout du compte, il s’agit d’une véritable reconquête du bidonville par ce groupe de femmes. L’ONG les soutenait uniquement en parallèle sur les questions de santé (dispensaire, planning familial, vaccination des enfants). Avec aussi pour résultat un passage à une maternité plus choisie et une baisse de la natalité (de 12 à 6 enfants).

TSC : Peut-on percevoir des différences d’un continent à un autre dans la manière dont ces femmes conduisent ces activités d’économie solidaire ? Existe-il des initiatives similaires dans les pays riches ?

JP : En Afrique plus que partout ailleurs, les femmes savent produire à partir de rien. Elles sont particulièrement douées pour créer les outils de l’économie solidaire, comme les caisses d’épargne et les mutuelles de santé. En Amérique Latine, elles ont un sens de l’organisation très poussé, mais à l’inverse ne savent pas créer les outils. Dans les pays d’Europe Centrale et Orientale, où les problèmes de survie ce posent avec un acuité renouvelée liée à l’intégration dans l’Union européenne, ces femmes savent très bien mener un travail de lobbying pour faire reconnaître leurs droits et obtenir des subventions nécessaires à leurs projets. Mais il existe des groupes de femmes très actives aussi dans les pays dits développés, notamment au Québec mais aussi en France. Ainsi à Dinan en Bretagne, des femmes artisanes (créatrices d’accessoires de mode, relieuses de livres, vendeuses de pizzas, etc.) ont monté un réseau pour essayer d’améliorer leur situation souvent très difficile. Elles entendent travailler autour de la logique de mutualisation et de coopération, en partageant par exemple un cabinet comptable pour faire des économies d’échelle, ou un stand sur un salon...

TSC : Par le biais de cette implication, peut-on considérer que les femmes sont des vecteurs de changements dans les sociétés dans lesquelles elles se sont investies ?

JP : Tout à fait. Prenez l’exemple de cet autre bidonville d’un million d’habitants, cette fois-ci situé à Porto Alegre, au Sud du Brésil. Bidonville où règnent violence domestique, trafic de drogue et d’armes, prostitution... Un groupe de 300 femmes s’est organisé pour résister à cette violence. La mairie leur a attribué un bâtiment de 1000 m2 à l’abandon, dans lequel elles ont initié une activité de recyclage de déchets. Tous les jours, les camions poubelles de la ville viennent y déverser leur collecte et ces femmes trient le plastique, le verre ou le carton, qu’elles revendent ensuite à des entreprises privées qui les utilisent comme source d’énergie. Au bout de quelques années d’activité, le changement est profond, grâce à une réaction en chaîne. Outre le fait de générer un revenu, elles se sentent valorisées personnellement et changent ainsi le regard que leur famille, mari et enfants, portent sur elles. Cette transformation a modifié les rapports sociaux au sein du bidonville. S’en est suivi une baisse non seulement de la prostitution, mais du niveau général de violence. C’est toute la vie du bidonville qui a changé.

Autre exemple plus près de nous, dans le quartier de La Saussaie à Saint Denis (93), quatre femmes ont créé une radio « Declic ». Puis, de là, elles ont initié des formations aux techniques sonores et rédactionnelles, au reportage. Puis elles ont monté des ateliers de chant auxquels les rappeurs se sont associés et pour finir un studio d’enregistrement ! Peu à peu, ce sont les enfants, les amis, les voisins, qui sont venus, qui faire un reportage sur la cité, qui participer à un atelier de musique.

D’une manière générale, l’activité de ces femmes impacte le développement local. En France on constate que dans les quartiers dits « difficiles » où ces femmes sont actives, que ce soit dans des associations d’alphabétisation, de suivi scolaire, de broderie, de pose d’ongles, de chant, de cuisine... la criminalité diminue, les voitures arrêtent de brûler !

TSC : Quelles sont les limites auxquelles se heurte l’économie solidaire portée par ces femmes ?

Elles manquent par-dessus tout de visibilité et donc de reconnaissance, aussi bien localement que globalement. Nous nous battons pour que ces femmes valorisent ces richesses non monétaires dont elles sont porteuses, y compris en les inscrivant dans leur bilan comptable. Enfin il est essentiel que cette dimension collective et coopérative, qui s’inscrit au cœur de l’économie solidaire, diffuse dans la politique !


Pour en savoir plus, quelques sites d’initiatives de femmes en économie solidaire :

-  Marseille : Femmes d’ici et d’ailleurs

http://www.femmes-dici-et-dailleurs.org

http://www.penelopes.org/xarticle.php3 ?id_article=2211

http://mediterranee.france3.fr/emissions/mediterraneo/emissions/2005/7567646-fr.php

-  Saint Denis : Radio Declic

http://www.declic93.org

-  Serbie : Zene na delu ("femmes au travail")

http://www.zenenadelu.org.yu/

http://www.penelopes.org/xbreve.php3 ?id_article=3138

http://1libertaire.free.fr/Cyberfeminisme05.html


La véritable question est celle de l’humain

le 26 novembre 2006  par Edgar Morin

TSC : Les femmes appréhendent-elles la complexité plus facilement que les hommes ?

Edgar Morin : Si nous partons de l’idée de la complémentarité entre les cerveaux droit et gauche, l’un plus porté vers des opérations logiques, rationnelles, comptables, et l’autre plus porté à des saisies globales et intuitives, l’un plus analytique, l’autre plus global, alors tout être humain à potentiellement la capacité d’utiliser la complémentarité entre ses deux cerveaux. Donc tout être humain est apte à appréhender la complexité. Mais notre civilisation a cantonné les hommes dans les activités matérielles, puis, aujourd’hui, les activités techniques, compétitives et parfois impitoyables. Ils ont développé leurs capacités analytiques. Les femmes ont développé quant à elles l’aspect maternel et affectueux qui crée du lien ainsi que leur intuition - pour des raisons génétiques peut-être mais surtout historiques et sociales. Si elles accèdent aujourd’hui à des métiers d’hommes, elles restent très marquées par cela. Elles ont davantage utilisé la dimension droite de leur cerveau. Quand on regarde l’histoire de l’Occident, de l’Europe, ce sont les femmes qui aux 17ème et 18ème siècles, tiennent les salons littéraires, qui rassemblent les écrivains, les artistes, les poètes. A l’époque romantique, ce sont elles qui portent, avec les adolescents, le sens de la poésie de la vie. Cette poésie n’est pas superficielle mais anthropologique. Elles témoignent de leur capacité à aimer, à communier et à percevoir la part la plus importante de l’existence humaine. Dés lors, la question qui se pose est de savoir si les femmes sont mieux préparées à faire jouer la complémentarité, à relier les aspects sensible et rationnel. Car la véritable complexité ne s’atteint que par la complémentarité des deux cerveaux. Pour reprendre la formule de Michelet, "J’ai les deux sexes de l’esprit" : il faut être bi-sexué par l’esprit.

Ceci étant dit, dans notre époque dure, violente, où les idées sont de plus en plus parcellaires, je pense que les femmes sont mieux placées que les hommes pour saisir l’importance et la complexité des grands problèmes de la vie personnelle et collective, et trouver des réponses.

TSC : De nombreuses femmes refusent toute différence avec les autres, d’autres au contraire s’assument comme des hommes pas comme les autres, pourquoi ?

EM : Dans notre civilisation marquée par l’hégémonie masculine, dès la fin du 19ème siècle, un mouvement féministe fort a commencé avec les suffragettes en Angleterre, qui se sont battues pour obtenir le droit de vote. Leur propos était : "nous sommes comme vous, donc nous avons les mêmes droits que vous". Ce courant insiste sur l’identité humaine commune aux deux sexes. Le mouvement féministe s’est également développé en France, avec comme ultime floraison le livre de Simone de Beauvoir, « Le deuxième sexe ». Puis un néo-féminisme, qui prend son essor dans les années 1960, a changé le message et dit : "nous sommes différentes de vous, mais nous devons avoir les mêmes droits que vous. Nous avons une humanité commune, mais quelque chose nous distingue". Les femmes insistent sur la différence pour mieux la revendiquer, parfois même pour revendiquer la séparation de manière extrême : "on n’a pas besoin de vous". Ce néo-féminisme prend en compte les aspects spécifiquement féminins alors que l’ancien féminisme l’oubliait au profit de l’identification à la masculinité. Ce mouvement a de plus en plus d’influence diffuse dans nos sociétés.

La véritable question est en fait celle de l’humain. L’équivoque vient du fait qu’en français le terme générique "homme" est neutre, tout en portant la surdétermination masculine. Les femmes ne se reconnaissent pas dans ce mot, elles se sentent exclues. C’est pourquoi dans mes écrits, conscient de ce point, j’ai très tôt précisé que je ne dirai pas les "hommes," mais les "humains", ou les "êtres humains". Pour ne pas renforcer la dominance masculine.

TSC : Les femmes exercent-elles différemment le pouvoir que les hommes ?

EM : Dans le cas des dirigeantes, beaucoup se sentent obligées de montrer qu’elles ont les mêmes qualités que les hommes. Elles occultent leurs qualités féminines. D’autres sont pires que les hommes. Nos systèmes ne permettent pas encore le plein emploi de la part féminine des femmes.


Eve n’a pas fourvoyé Adam

le 26 novembre 2006  par Armen Tarpinian

Resumé : L’interprétation traditionnelle du rôle d’Eve - la tentatrice mythique - a fait des ravages sur le plan religieux et a eu une influence sociale considérable sur la représentation de la femme. Le clivage masculin/féminin, manifeste dans le mythe biblique. ne doit pas nous étonner : ses inspirateurs, ses prophètes, ses apôtres, tout comme les exégètes de la tradition étaient des hommes... Il s’agit d’une traduction fallacieuse, simpliste et dangereuse d’un langage symbolique. L’interprétation littérale (Eve présentée comme la tentatrice et le viril Adam comme l’abusé, l’homme de Dieu doit s’éloigner de la femme et rester chaste) a induit et légitimé la misogynie et la ségrégation sexuelle qui perdurent. La Psychologie de la motivation permet de se recentrer sur l’universalité de la signification des récits symboliques : Adam n’est plus le symbole de l’homme réel ni Eve de la femme réelle. Adam est le symbole de l’être humain, homme ou femme, promesse ou menace pour lui-même et pour l’espèce. Eve symbolise la fonction imaginative humaine, anticipatrice, créatrice, mais également portée à s’aveugler et entraîner autrui dans sa cécité. On a abusivement attribué la virilité à l’homme et la douceur (soumission, passivité) à la femme. Or la virilité au sens de maturité et de force de l’esprit (et non d’agressivité et de brutalité) n’a rien a voir avec la différence des sexes. Elle est accessible à la femme autant qu’à l’homme. Il a fallu aux femmes être courageuses, énergiques et actives pour retrouver la juste estimation d’elle mêmes, leur liberté de sujets et de citoyennes.

La force du Féminisme

" L’humanité aura fait un grand pas dans sa montée vers elle-même - vers plus d’humanitude dirait Albert Jacquard - quand l’égalité entre la femme et l’homme sera inscrite au cœur de toute culture, dans les pratiques sociales, comme dans toute Loi constitutionnelle. La lutte pour l’émancipation féminine aura d’autant plus de portée culturelle et civilisatrice qu’elle ira loin dans l’élucidation des motivations qui poussent des individus ou des groupes humains à la domination et à l’abus des uns par les autres. Car la rivalité sexuelle n’est que le symptôme d’un mal plus universel, relevant d’une maturation insuffisante du psychisme humain. Cette immaturité se vit, intimement, par le besoin, demeuré infantile, d’être le plus aimé, et se décompose en vanité jalouse ou triomphante.

De la rivalité des sexes, il faut donc remonter à la rivalité tout court. Le problème dépasse largement les jugements de valeur qui pervertissent la capacité d’estime naturelle entre hommes et femmes. Ainsi, si l’on s’en tient à l’aspect le plus superficiel du texte, Adam et Ève (nous reviendrons sur la signification symbolique) ne nous apparaissent pas comme rivaux mais plutôt comme sottement complices ! Les vrais rivaux dans l’histoire biblique ce sont, dans l’Ancien Testament, deux hommes, Caïn et Abel, dans le Nouveau, Marthe et Marie, deux femmes qui se disputent l’amour de Jésus. En effet, si hommes et femmes peuvent se vivre comme rivaux, les hommes entre eux s’épargnent encore moins. L’histoire des guerres d’hier le montre avec ses hécatombes de jeunes gens. Mais, sur des registres moins tragiques, les femmes entre elles ne s’épargnent guère moins ... La psychologie de la motivation démontre dans le détail comment le besoin égocentrique de supériorité, la vanité - la dominance disait Laborit - peut se greffer sur toutes les différences. La rivalité égocentrique est l’aspect inabouti de l’amour de soi et d’autrui. Elle est l’excès d’amour-propre - l’amour plutôt « impropre » à nous apporter une vraie satisfaction - qui, dès l’enfance, décompose l’amour en amour-haine, suite à un trop peu ou à un trop plein de soins affectifs, d’amour et d’estime reçus (l’enfant frustré ou gâté). Sur fond de narcissisme individuel et dans le contexte d’une culture ancrée dans une conception faussée de la réussite, l’esprit de rivalité naît dans l’enfance, sous le regard des parents, et se développe dans la partie qui se joue dans la fratrie et plus largement dans le groupe familial : entre père, mère et enfant ; entre enfants du même sexe ; entre frères et sœurs, cousins, cousines... sous le regard des adultes souvent eux-mêmes en rivalité subconsciente. La pseudo-supériorité du garçon a longtemps fait des ravages dans les familles, mais ce n’est pas la seule cause de rivalité - triomphante ou blessée - qui s’y observe. Indépendamment du sexe, tout y concourt : beauté, force physique, intelligence, facilité d’expression et toutes formes de réussite scolaire, intellectuelle, sportive. Qui ne sait et qui n’a vécu où ne vit encore cela ?

La force du féminisme, à travers les souffrances surmontées et l’équité conquise, serait d’aider à mieux comprendre la racine du mal que les êtres humains se font vivre les uns aux autres : la propension à se penser le meilleur et crainte de se penser le pire. C’est cela la fausse motivation : deux erreurs sur soi-même (surestime et sous-estime de soi) qui commandent deux erreurs sur autrui (surestime et sous-estime de l’autre) et qui se renforcent en spirale. A moins que la rationalité masculine et l’intuition féminine - ou l’intuition masculine et la rationalité féminine ! - en comprennent le non-sens et en inversent positivement le dynamisme. Pour spécifiques qu’elles puissent être de l’homme et de la femme, rationalité et intuitivité, spiritualisation et sublimation (Diel), animus et anima (Jung), désignent avant tout des fonctions à l’œuvre dans le psychisme humain. Elles sont les voies par lesquelles le désir essentiel de satisfaction peut aller vers son but. Ces fonctions varient selon les individus, les cycles de culture (Occident-Orient), autant et davantage peut-être que selon les sexes. Elles restent potentiellement universelles. C’est dans cette perspective que la « troisième femme », dont Gilles Lipovetsky évoque l’avènement, et le "troisième homme » sont appelés, à travers les crises que ces évolutions entraînent, à nouer de nouveaux liens (Gilles Lipovetsky, La Troisième femme, Gallimard, 1997).

Mécompréhension du langage symbolique

On sait que la question qui a été posée à propos des Indiens l’a aussi été pour les femmes : ont-elles une âme ? On peut apporter une explication psychologique à cette question masculine délirante. Puisque dans la vie, alors souvent brève et pressée par l’angoisse de la mort et de l’enfer, le salut de l’âme et sa place au Paradis dépendaient de la répression des désirs charnels, la femme représentée par Ève, la tentatrice mythique, apparaissait comme l’envoyée de Satan, celle à laquelle il fallait résister. La mécompréhension du langage symbolique a fait des ravages au point de vue religieux (images et récits symboliques pris à la lettre, dogmatisation, disputes théologiques, croisades, guerres de religion, etc.). Elle a aussi eu une influence historique indéniable sur la représentation de la femme. A-t-elle une âme ? N’est-elle pas une sorcière ? Ève, à elle seule, a plus fait pour nuire à la représentation de la femme que toutes les figures masculines négatives du mythe biblique, Satan compris, ne l’ont fait pour l’homme. Car l’Être Suprême dans les trois religions du Livre est représenté au masculin. Quel que soit l’effort fait par l’Eglise pour la diviniser, Marie n’a pas rétabli la balance ! Le clivage masculin-féminin est manifeste dans le mythe biblique : ses inspirateurs, ses prophètes, ses apôtres, tout comme les exégètes de la tradition, étaient des hommes dont la préférence masculine, patriarcale, se lit dans l’énumération de la généalogie du Christ où n’apparaît, dans l’évangile de Luc, le nom d’aucune ancêtre-mère et quatre noms sur quarante dans celui de Matthieu... Dans cette optique, l’interprétation littérale des symboles bibliques fait apparaître Ève comme celle par qui le chuchotement du serpent a le plus de chance d’être entendu. Ce qui porte à plaindre Adam, l’homme qui s’interroge, hésite, et qu’Eve, la femme, fourvoie. Une telle interprétation a pu durer des siècles tant que le créationnisme biblique semblait aller de soi et que la répression des désirs charnels constituait un idéal imposé par un Dieu réel pour assurer le Salut. Cette culture s’entretenait avec plus ou moins de conviction dans les monastères, où l’extrême sobriété et l’absolue chasteté étaient de règle.

La mécompréhension du langage symbolique, son interprétation littérale, a fait d’Eve une femme réelle, alors qu’elle est un symbole d’une fonction commune aux hommes et aux femmes : l’imagination, qui peut être inventive et créatrice ou devenir « la folle du logis ». Encouragée par le serpent, symbole de l’esprit trompeur, l’imagination se laisse aller à exalter les désirs - symbolisés par la pomme - et s’en justifie (« Tu seras pareil à Dieu ! »). Redisons-le : Ève n’est pas une femme, elle symbolise avant tout la fonction imaginative susceptible de s’exalter et de s’aveugler. (C’est, symboliquement compris, cet aveuglement ou la paralysie de l’esprit qui en résulte, que Jésus guérissait). Ce choix d’une figure féminine pour symboliser l’exaltation imaginative des désirs démontre donc que ces récits mythiques ont été inspirés, ou transmis et interprétés, par des hommes. On peut imaginer qu’en d’autres cultures, matriarcales, Adam aurait pu être présenté comme le tentateur... Ces réflexions n’ont pour but que de souligner une des données historiques et culturelles fondamentales qui ont induit à la misogynie et à la ségrégation sexuelle. Le mérite de la Psychologie de la motivation est de sauver le récit biblique de l’interprétation littérale qui en déforme le sens profond. Elle nous recentre sur l’universalité de la signification des récits symboliques. Adam n’est plus l’image de l’homme réel, ni Ève de la femme réelle. Adam est le symbole de l’être humain, homme ou femme, que l’imagination, Ève, peut abuser, surtout si elle écoute le serpent, symbole de la tendance à la fausse justification, qui peut nous enfoncer dans la croyance, par exemple, que nous sommes supérieurs parce que nous sommes nés hommes ou supérieures parce que nées femmes. (Cette interprétation psychologique n’exclut pas d’autres significations complémentaires de ces personnages mythiques).

La virilité

En réalité, beaucoup de traits de caractère, attribués à l’un ou l’autre sexe, relèvent plutôt du sous-humain, voire de l’inhumain, que du masculin et du féminin dont ils défigurent les vraies et fécondes différences et refoulent la ressemblance essentielle. L’étude des motivations nous fait comprendre que toute vraie qualité peut se décomposer en deux contre-qualités : l’acceptation se décompose en résignation ou en indignation, l’amour en hyper-sentimentalité ou en haine. Ainsi en va-t-il de la virilité dont on sait qu’elle est facilement assimilée à l’agressivité ou à la brutalité. On lui oppose la douceur, qualité réputée féminine, que l’on confond souvent avec la passivité ou la soumission. Ces représentations stéréotypées constituent en réalité un double piège où les femmes comme les hommes peuvent se laisser prendre. Un dictionnaire ordinaire peut nous aider à le déjouer, pour peu qu’on le lise avec un regard critique. On peut y lire : « Virilité, qui a les caractères moraux qu’on attribue à l’homme : courageux, énergique, actif ». Question au Petit Robert : ces caractères moraux ne conviennent-ils pas également à la femme ? Ne fût-ce que pour supporter l’homme dont l’arrogance infantile, ou plutôt pubère, est prise pour virilité ! Cette pseudo-virilité s’élabore en effet à l’âge où le sujet est porté à se valoriser à partir de ses muscles, de la vanité qu’il greffe sur la différence de force physique, sur sa capacité de l’emporter sur l’autre. La vraie virilité, la maturité, se caractérise par une puissance plus fondamentale : non celle du muscle mais celle de l’âme et de l’esprit. La virilité, ainsi comprise, trouve à s’exercer dans les situations difficiles de la vie. Mais elle peut être aussi, quotidiennement, la force de nous guider nous-mêmes, sans soumission ni domination, dans les difficultés « minimes » de la vie relationnelle. Paul Diel y revenait souvent : « La virilité n’a rien à voir avec la différence des sexes. Elle est accessible autant à la femme qu’à l’homme. Elle dépend de l’esprit valorisateur capable de s’opposer aux fausses valorisations conventionnelles (Psychologie de la Motivation (1947), P.B.Payot , 2006) ». Ce sens universel que Diel donne à la notion de virilité confère à l’égalité des sexes un fondement que l’on peut dire décisif. Des étiquetages comme « sexe fort » ou « sexe faible » apparaissent alors dans toute leur inanité. Il n’y a pas de sexe fort ou faible. Il n’y a que la force ou la faiblesse avec laquelle chaque individu, homme ou femme, mobilise ses potentialités humaines et tente d’assumer lucidement et courageusement la condition humaine.

Il a fallu aux féministes être courageuses, énergiques et actives, pour retrouver la juste estimation d’elles-mêmes, leur liberté de sujets et de citoyennes. Pour affirmer l’universel et assumer le spécifique. L’anatomie ne décide pas du destin, elle le colore. Le destin est commun : homme ou femme, chacun est individuellement responsable de ce qu’il devient et de ce qu’il fait pour le devenir commun. La virilité c’est la force qui permet d’avancer sur ce chemin. Il y a deux sexes, mais il n’y a qu’une humanité."


Les femmes au cœur de la transformation personnelle et collective

le 26 novembre 2006  par Laurence Baranski

A l’initiative de Jacques Robin, Laurence Baranski a fondé, au sein du réseau Transversales Science Culture, l’association Interactions Transformation Personnelle - Transformation Sociale qui promeut l’idée que les sociétés ne peuvent se transformer en profondeur que si s’opère une transformation conjointe et cohérente des personnes et des collectivités. On ne peut avancer à titre individuel sans le soutien de la collectivité. Mais l’évolution du collectif repose sur la volonté, la sensibilité et l’intelligence de chacun, qui démultiplie les dynamiques collectives. Aucun acte n’est isolé. Chacun de nous est co-responsable de l’évolution du monde.

L’association « Interactions Transformations Personnelle Transformations Sociale » ne se situe ni sur le champ de la transformation personnelle (de nombreux espaces et différentes pratiques sont aujourd’hui largement proposées sur ce terrain de questionnement et d’introspection au service d’un mieux-être) ni à proprement parler sur celui de la transformation sociale (même s’il est clair que nous nous inscrivons dans les perspectives portées par les courants alternatifs tels que les enrichisse et les relaye Transversales Science Culture). Nous nous situons sur le lien dynamique entre ces deux champs.

Plus concrètement, l’objet de l’association est d’éclairer ce que la mise en place de processus de démocraties participatives au niveau de la société, ou encore d’intelligence collective - intellectuelle et émotionnelle - au niveau des collectifs, implique sur nos pratiques humaines. Même si nous nous ressemblons étonnamment, nous sommes tous différents. Nous devons prendre conscience de cette diversité, la respecter et nous former à la manière de la reconnaître et de l’intégrer dans nos relations, plus largement dans le tissu social. Chacun de nous est acteur du changement culturel et social auquel nous aspirons : plus de solidarité, d’humanité. Chacun de nous est "un levier" au service d’une transformation responsable et consciente. Comme le souligne Edgar Morin, dont la pensée est l’un des socles du projet, "Comment songer à améliorer durablement les relations sociales, humaines, au plan planétaire, si nous sommes incapables de le faire avec notre voisin. La réforme individuelle est quelque chose de nucléaire mais qui a à voir avec l’ensemble du contexte humain". Quant aux collectifs, ils ont la responsabilité de se questionner : " Qui sommes-nous, que faisons-nous là, pourquoi ne nous comprenons nous pas sur ce point ? Tout mouvement court à chaque instant le péril de sa désintégration par sectarisme. Ce questionnement doit être généralisé. C’est l’aventure de la vie, l’auto-régénération du mouvement par lui-même".

Les femmes sont plus à l’aise pour appréhender les relations entre l’individuel et le collectif

C’est un fait : notre projet rassemble plus de femmes que d’hommes. Elles s’y engagent d’une manière plus immédiate, plus passionnée. Pourquoi ? Certainement acceptent-elles plus facilement de se remettre en question. Elles semblent aussi moins individualistes, moins dans la compétition que dans la co-évolution. Ou, autre manière de le dire, elles agissent en gardant à l’esprit le sens de l’intérêt collectif. De même, elles sont plus naturellement dans la simplicité et la proximité à l’autre. De ce fait, elles font plus spontanément vivre la dynamique personne/collectif qui, c’est l’un des enseignements que nous avons dégagés, ne se propage pas au travers de long discours et théories, mais avant tout à travers des relations interindividuelles, de personnes à personnes, par la qualité des liens qui se tissent progressivement. Plus familiarisées à prendre en compte les dimensions subtiles d’elles-mêmes et des autres - émotions, sentiments, aspirations - elles intègrent plus facilement le ressenti à la raison dans les manières de "faire, dire et être ensemble". Leurs actions n’en sont pas moins efficaces. Au contraire, elles ont le souci de produire ensemble de l’utile, de l’opérationnel, sans trop s’encombrer de détours intellectuels pour justifier leurs choix. Elles relient plus qu’elles ne découpent les idées. Elles vont à l’essentiel en veillant à laisser émerger la créativité, tout en s’assurant du mieux-être individuel et collectif. ll y a une réalité que l’on oublie trop souvent : les femmes "sont" dans la vie, dans ses rythmes. C’est une réalité biologique qu’elles vivent dans leur corps. Elles savent ainsi de manière évidente qu’elles sont soumises aux lois de la nature, qu’elles lui sont reliées. Je pense que, même si au quotidien les femmes oublient cette réalité tellement elle devient une évidence - de manière régulière durant une longue période de leur vie et à chaque fois qu’elle donne naissance à un nouvel être -, cela conditionne la manière dont se structure leur cerveau. Cela influe sur leurs manières d’appréhender la réalité et les relations à elles-mêmes, aux autres et au monde. Elles savent qu’elles ne peuvent pas tout contrôler. Il est des domaines de la vie où il faut laisser faire, en s’inscrivant dans le mouvement naturel. Les hommes n’ont pas ce vécu. Ils peuvent penser que les constructions humaines (sociales, économiques, culturelles...) sont extérieures à eux. Les femmes sont plus ancrées dans le réel, elles ne peuvent oublier que la vie est intérieure et part de nous. Par ailleurs, dans nos sociétés occidentales, plus de femmes que d’hommes ont réalisé un travail sur elles-mêmes. Peut-être parce qu’elles avaient besoin de mieux se connaître dans nos sociétés où leur parole et leurs spécificités ont été fortement muselées par les valeurs masculines. Elles saisissent ainsi mieux que leurs compagnons que le fait d’accéder à sa propre complexité d’être humain est un des moyens les plus sûrs pour appréhender la complexité du monde et agir en conséquence.

Ce qu’il faut inventer ensemble, hommes et femmes

Ce que nous avons collectivement à inventer, c’est une nouvelle discipline transversale que l’on peut nommer l’écologie humaine et sociale. Pour rendre le débat et la complexité sociale féconds, il appartient à chacun de se former au minimum de grammaire relationnelle basée tout particulièrement sur l’écoute réellement authentique de l’autre. Les femmes ont une véritable contribution à apporter dans ce domaine. Il faut les inviter et qu’elles s’invitent elles-mêmes à occuper ce nouveau terrain d’expérimentation et d’expression. Elles portent en ce sens l’espérance et le rêve. Sont-elles l’avenir de l’homme ? Elles sont en tout cas des guides précieux sur les voies nouvelles que les sociétés humaines ont à explorer d’urgence. Mais il ne faudrait pas tomber dans une dualité hommes-femmes stérile. Que nous soyons hommes ou femmes, c’est notre féminin qui est sollicité et qui doit, comme le dit à nouveau Edgar Morin, "trouver son plein emploi".


A paraître en janvier 2007 : « L’urgence de la métamorphose ». Comment inscrire la conscience humaine dans l’aventure de l’univers, Jacques Robin, Laurence Baranski, Editions des Idées et des Hommes.


Ce qui est bon pour les femmes est bon pour tous

le 26 novembre 2006  par Armelle Carminati-Rabasse

Transversales Sciences Culture : Pour quelles raisons avez-vous lancé en 2000 un programme nommé « Accent sur Elles » ?

Armelle Carminati-Rabasse : Parce que nous constations que nos femmes « s’évaporaient » progressivement au fil des niveaux hiérarchiques. Aujourd’hui encore, alors qu’elles représentent 26% des effectifs, on en trouve seulement 9% aux postes de direction. La perte est considérable pour l’entreprise qui investit lourdement en formation et perd une importante quantité de matière grise.

Les raisons sont multiples et connues : responsabilités familiales dans les années critiques pour le repérage des hauts potentiels, discrétion des femmes, isolement au sein de l’entreprise, difficulté à réclamer leur dû en terme de rémunération, de poste et de visibilité, manque de précocité dans le repérage des mécanismes de construction active de carrière, inadaptation de l’organisation de l’entreprise masculine à leurs contraintes, cooptation entre pairs... Les plus jeunes arrivent dans une ignorance totale des règles du jeu. Le discours sur la mixité, sur la condition des femmes, leur paraît ringard tant qu’elles n’ont pas rencontré d’obstacles. Aussi, lorsqu’elles butent un jour sur un frein imprévu, elles ressentent une vraie frustration et disparaissent souvent. Silencieusement. Parfois même par anticipation.

TSC : Quelles sont les actions que vous avez engagées ?

ACR : Tout d’abord, la création d’un réseau « Accent sur Elles » Il s’agit d’ateliers thématiques réunissent régulièrement plus de 200 femmes d’Accenture, auxquelles s’associent 400 femmes cadres dans d’autres grandes entreprises. Le partage d’information, la conscience que leur situation est finalement banale, les rend plus fortes et exigeantes.

Un coaching collectif d’accompagnement destiné aux femmes à haut potentiel, permet de les aider à vaincre leurs propres préjugés, à hiérarchiser leurs priorités, pour leur insuffler l’audace et l’énergie de poursuivre en toute conscience des règles du jeu possibles donc avec puissance. Elles doivent en particulier apprendre à communiquer sur ce qu’elles font, à dire tout haut ce qu’elles veulent (donc le savoir fermement et sans ambiguïté). Dans l’entreprise il n’y pas que le savoir faire qui compte. Les femmes rendent de très bonnes copies et on les abreuve de travail, ce qu’elles interprètent comme autant de signaux favorables, mais au début, pour elles, se rendre « voyantes » est incongru, voire honteux. De plus, elles prennent peu le risque d’aller conquérir des espaces où elles n’ont aucune expérience. Elles se laissent ainsi enfermer dans des voies d’hyper spécialisation ou des fonctions de support où il n’y a pas d’ascenseur social, parce qu’elles ne sont pas repérables.

Un programme de parrainage est également en place. Des équipes mixtes de cadres dirigeants volontaires surveillent le vivier des femmes de leur secteur et leur progression, donc la façon dont on leur confie des opportunités pour grandir.

Enfin, des pauses pour les maternités. Par exemple la possibilité pour les femmes de prendre un congé de maternité de 6 mois sans être pénalisées sur le plan de leur évaluation annuelle ou de leur rémunération.

TSC : Quel est le bilan à ce jour ?

ACR : Sur les 3 dernières années, la proportion de femmes consultantes a augmenté de 13% et celle de femmes Senior Managers de 47%. Le nombre de femmes Senior Executives est passé de 5% à 9%.

TSC : Quel est l’apport des femmes dans l’entreprise ?

ACR : Les femmes ne sont pas meilleures que les hommes, elles sont différentes. Ne serait-ce que parce qu’on éduque différemment les garçons et les filles. La mixité est une source de richesse car d’innovation, tout le monde le sait. Actuellement, ce qui me frappe le plus, c’est leur complicité à tout âge avec les plus jeunes, filles ou garçons. J’ai travaillé de nombreuses années sur la question des femmes dans l’entreprise et essayé de trouver des solutions spécifiques, qui leur soient adaptées, pour leur permettre d’accéder à l’égalité avec les homme à tous les niveaux : concilier leurs vies professionnelle et familiale, les rendre plus visibles, les retenir. Je ne peux désormais qu’établir des parallèles entre, d’une part, leur situation et leurs attentes et, d’autre part, celles de tous les jeunes qui nous arrivent : la génération des « Y » de moins de 25 ans, nous en recrutons 1 000 par an, et celle des « X » dans la trentaine. Les premiers ont des exigences pratiquement non négociables. Ils recherchent un sens à leur vie, ils remettent en question le management tel qu’il se pratique. Pas question de leur faire des promesses de bénéfices lointains en échange de sacrifices immédiats. Ils ont un niveau de conscience incroyable et ne s’intéressent pas qu’à leur carrière : ils sont prêts à faire des « pas de côté », au nom de la recherche de sens. J’ai réalisé que ce que nous demandent ces jeunes et ce que nous devons faire pour les garder, c’est ce dont nous femmes avons rêvé et rêvons. La génération des « X » rejoint également les femmes dans ses préoccupations communes avec celles des mères de famille : équilibres de vie, choix personnels, protection de la vie personnelle. Ceci me paraît être un signal de progrès car de rapprochement. Au final, il me semble que l’intérêt pour avancer sur les sujets de mixité est d’essayer d’être universel en agissant simultanément sur tous les mécanismes d’exclusion et d’inclusion. D’en finir avec les mesures catégorielles pour handicapés, femmes, minorités, mais de créer des conditions de travail favorables à tous.


Repères : Médias, pas assez ou trop de femmes ?

le 26 novembre 2006  par Valérie Peugeot

Le couperet est tombé : l’Association française des Femmes Journalistes (AFJ) vient de publier l’édition 2006 de son enquête sur la place des femmes dans la presse quotidienne généraliste. Le jour de l’enquête, seules 17% des personnes mentionnées dans les journaux analysés étaient des femmes, et moins d’un tiers des photos représentaient des femmes (hors publicité).

Observer et former : premiers jalons d’une transformation

Cet effacement des femmes dans les médias n’est qu’un aspect. Si elles ont su conquérir une place tout à fait honorable dans le métier de journaliste (la proportion de femmes titulaires de la carte de presse en France est de 42%), leur présence chute drastiquement lorsque l’on s’intéresse aux postes à responsabilités : les patrons de presse sont en très large majorité des hommes. A noter que lorsque l’auteur d’un article est elle-même une femme, la proportion de femmes mentionnées augmente.

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Media Gender Monitor

Le travail de l’AFJ n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un observatoire mondial des médias, qui cherche à promouvoir une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les médias à travers le monde. Ce projet est porté par la WACC (World Association for Christian Communication). La phase d’observation, menée dans 76 pays avec une méthodologie rigoureuse, est prolongée par 3 semaines d’action, soutenues sur tous les continents par des « media activistes », des professionnels des médias, des représentants de la presse alternative, de mouvements sociaux et des droits de l’homme. « Who Makes the News ? », la dernière édition de cette campagne, s’est déroulée en février et mars 2006. Des actions de formation viennent également compléter le dispositif : les apprentis journalistes intègrent dans leur métier une dimension éthique et une sensibilité à la question des « genres » dans leur travail.

Mais observation et formation ne suffisent pas. Certain(e)s militant(e)s constatent que le regard que portent les médias sur le monde reste d’essence masculine. Ceci n’est pas seulement lié au genre des journalistes et des directeurs/trices de rédaction, mais au positionnement des médias dans la société. En se positionnant comme « quatrième pouvoir » et en interagissant avec d’autres univers de pouvoir - économique et politique - qui restent dominés par les hommes, la presse participe d’une culture masculine.

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Les pénélopes

Un regard féminin sur le monde

Prenant acte de cette situation, en 1996 un groupe de militant(e)s créait « Les Pénélopes », agence de presse féminine. Bien entendu, Les Pénélopes donnent la parole aux femmes plus que ne le font les médias traditionnels. L’agence met notamment en avant leurs portraits, comme celui de Lada Wichterlova, bibliothécaire tchèque ou celui de Marie-Elise Gbédo, présidente de l’association des femmes juristes du Bénin (AFJB), avocate et ancienne ministre du Commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Elles traitent prioritairement de sujets très proches des préoccupations des femmes, en particulier des femmes de pays pauvres. C’est le cas de ce reportage sur l’implication des africaines dans l’économie solidaire ou du dossier sur le syndicalisme féminin. Mais elles font bien plus encore : elles apportent un regard spécifiquement féminin sur des thèmes universels, en couvrant de grands sujets et évènements de société - la place de l’église et la montée de l’extrême droite en Pologne ; le sommet mondial de la société de l’information,.

Les femmes, moteur de l’économie des médias ?

Paradoxalement, la présence des femmes dans la publicité, qui truffe les pages de nos journaux et magazines, est inversement proportionnelle à leur présence dans les articles. Or cette présence ne sert pas toujours l’image de la femme, loin s’en faut. Le collectif « La meute » traque ces publicités et les dénonce inlassablement sur son site Web.

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Parfois ce sont les entreprises elles-mêmes qui, dans une sorte d’exercice de Jiu Jitsu, intègrent dans leur campagne marketing une dénonciation du formatage des femmes. Anita Roddick, fondatrice de la chaîne de produits de beauté britannique « Body Shop », a été une des premières sur cette voie. Plus récemment, la marque de shampoing Dove suit sa trace, comme dans une publicité récente qui montre comment une jeune femme tout juste jolie est artificiellement transformée, à grands renforts de maquillage, coiffure et logiciel Photoshop, devenant un idéal inaccessible, source de frustration pour la femme normalement constituée.

Marketing opportuniste ou réel ras le bol de femmes d’entreprises refusant d’être complices du formatage ? Probablement un peu des deux.

La question particulière de la publicité ne peut être décorrélée de celle des médias en général. De fait, il y a belle lurette que les abonnements ne représentent plus qu’une part infime de leur chiffre d’affaire, alors que la publicité est au cœur de leur modèle économique.

Avec l’arrivé massive de la presse gratuite et de la presse en ligne, cette tendance s’accentue. Dans ce qu’on appelle « l’économie de l’attention », l’accès à l’information n’est plus vendue - cette dernière circule chaque jour plus librement. En revanche les supports en ligne et hors ligne se disputent l’attention des lecteurs (et auditeurs ou téléspectateurs). Pour la capter, nombre de nos publicitaires, en manque d’imagination, semblent considérer que rien ne vaut l’image féminine, dénudée si possible.

Prêtons nous au jeu d’imaginer une « grève de l’image » des femmes, mouvement social dans lequel les mannequins refusent de prêter leur corps à des publicités sexistes. C’est tout simplement l’économie des médias qui s’écroule !


Femmes françaises vues d’ailleurs

le 26 novembre 2006  par Avivah Wittenberg-Cox

C’est peut être plus facile pour un étranger d’avoir du recul et une vision objective de la réalité. Mais, depuis 25 ans, chaque fois que je reviens à Paris je me réjouis d’y vivre, en particulier en tant que mère et femme travaillant. Je crois que la France nous offre un contexte privilégié. Perfectible évidemment, et c’est mon combat de l’améliorer pour les femmes qui veulent conjuguer maternité et ambition professionnelle, mais enviable par rapport aux autres pays du monde développé.

La France est un des rares pays à encourager les femmes à assumer leur féminité sans renoncer à acquérir des compétences intellectuelles et professionnelles importantes. Les anglo-saxonnes ne sont pas logées à la même enseigne : tout au long de leur marche vers l’indépendance et l’autonomie, elles ont dû se fondre dans le moule masculin et démontrer qu’elles étaient des « hommes comme les autres ». Ainsi, aux Etats unis, 49% des femmes entre 41 et 55 ans ayant des postes à responsabilités n’ont pas d’enfants, et 43% d’entre elles ne sont pas mariées. En Allemagne, 40% des femmes s’arrêtent de travailler après le premier enfant.

Les françaises deviennent mères sans que ce soit au détriment de leur éducation et de leur légitimité professionnelle. 8O pour cent des françaises entre 25 et 50 ans ont un job. Très éduquées, elles constituent une puissante force pour le pays. Le taux de fécondité de la France est un des plus haut d’Europe (1,9), après celui de l’Irlande (mais pour d’autres raisons, religieuses en particulier). En France, les femmes représentent plus de la moitié des diplômés universitaires et des grandes Ecoles (hors diplômes d’ingénieurs),

Certes, les femmes françaises ne comptent que pour 1/3 des cadres, 11% des dirigeants, 7% des comités de direction, alors qu’à ce stade les américaines obtiennent de meilleurs scores : 46% de femmes cadres, 16% dans les comités de direction, 6% à la tête des plus grandes firmes. Ces résultats sont dus à la tradition américaine de discrimination positive et au fait que les combats des femmes y sont plus anciens. Mais leurs choix professionnels leur coûtent cher sur le plan personnel. Les figures féministes américaines conseillent encore aux femmes de choisir entre la famille ou la carrière.

En France, le dilemme est moins radical. Le pays est conscient que l’économie a à la fois besoin de la force de travail des femmes et d’un taux de natalité suffisant. C’est la raison pour laquelle de nombreuses mesures ont été prises par l’Etat français en matière de politique familiale. L’objectif est de permettre aux femmes d’éviter de choisir et de pouvoir concilier vie personnelle et professionnelle (l’école à trois ans, les nombreuses formule de garde, les horaires des écoles, les 35 heures, les incitations fiscales pour l’aide à domicile, les lois sur le congé paternel...). Il reste encore beaucoup à faire, évidemment si l’on prend les pays scandinaves comme référence, mais de nombreux pays envient déjà ce cadre.

Les Etats Unis, à leur habitude, ont laissé au secteur privé la responsabilité de gérer les contraintes des femmes. Il a fallu attendre le président Clinton pour obtenir que les femmes puissent prendre un congé maternité... à leurs frais ! Certes, au cours des dernières décennies, les entreprises les plus importantes ont encouragé la progression des femmes et lancé plusieurs initiatives pour les recruter et les promouvoir dans leurs filiales européennes. Mais elles les ont laissées se débrouiller pour gérer leurs contraintes domestiques.

On ne voit pas comment la question de l’égalité des femmes dans les entreprises pourrait se régler au 21ème siècle sans l’action conjointe du secteur public et du secteur privé. D’après une étude du World Economic Forum sur le « Gender Equity Gap », la France occupe le 9ème rang mondial en ce qui concerne la progression économique des femmes alors que les Etats-Unis seraient au 46ème rang. En France, le secteur privé commence à se réveiller sur le sujet. Déjà en 2003, 70% des entreprises sondées par une étude de Grandes Ecoles au Féminin disaient réfléchir ou agir sur la mixité de leur management.

Dans les 10 ans, si le secteur privé français poursuit ses premiers efforts pour promouvoir le talent au féminin, je pense que nous aurons une progression sensible de femmes cadres et de nombreuses femmes compétentes à la tête de grandes entreprises. Ce qui devrait contribuer à résoudre pas mal de problèmes