Dossiers

Démocratie participative


Redonner du sens au politique

par Rédaction Transversales

La démocratie participative, censée généraliser l’implication et la participation des citoyens au débat public et dans la prise de décisions, a surgi dans la campagne électorale pour le pire comme pour le meilleur. Pour le pire parce que les polémiques et les critiques souvent excessives qu’elle a pu susciter ont montré l’ignorance manifeste, par le monde politique et de la majeure partie de la société française, d’une notion qui déborde largement les jurys citoyens et les conseils de quartiers. Pour le meilleur, parce les débats qu’elle a générés ont attiré l’attention sur ses multiples facettes, sur les expérimentations déjà à l’oeuvre et ses utilisations possibles.

Nous avons essayé avec cette lettre, d’éclairer ces débats en resituant la démocratie participative dans son contexte historique, national et international. En montrant :
-  comment, sans constituer le tout de la démocratie, elle correspond à des évolutions de fond face aux défis que rencontrent le projet démocratique à notre époque et à la volonté d’implication croissante des citoyens (Yves Sintomer) ;
-  en quoi une participation qui ne soit pas le symptôme de l’individualisation du politique exige des citoyens éclairés, ce qui devrait pousser à donner un rôle privilégié aux associations dans les dispositifs démocratiques (Roger Sue).
-  comment elle pourrait consacrer le retour du politique, notamment grâce aux nouvelles technologies qui dotent chaque citoyen de pouvoirs d’intervention nouveaux (Véronique Kleck). Le réseau citoyen Iperbole de la municipalité de Bologne fournit une illustration concrète de l’émergence de cette possible « démocratie continue » (Leda Guidi).
-  Et quand un philosophe se mêle de démocratie participative, même si un lexique devient nécessaire, on entrevoit ce que pourrait être un vrai projet démocratique, qui introduirait de la participation, non seulement dans la vie politique, mais dans tous les aspects de la vie économique et sociale (Bernard Stiegler).

De multiples questions restent ouvertes : articulations avec la démocratie représentative, entre débats face à face, ancrés sur un territoire, et débats utilisant les médiations numériques, entre démocratie de proximité et politiques globales, entre construction d’un consensus et conflits sociaux...



3 questions à Bernard Stiegler : Dépasser l’opposition des producteurs et des consommateurs

le 24 avril 2007  par Bernard Stiegler

1) Vous venez de publier avec Marc Crépon un petit livre sur la démocratie participative. Qu’est qu’une démocratie participative telle que vous l’appelez changerait à ce que vous dénonciez dans votre ouvrage précédent "La télécratie contre la Démocratie" ?

NDLR : Pour une meilleure compréhension de l’article, certaines expressions soulignées sont explicitées dans le glossaire, à la fin de l’entretien.

Tout d’abord de reconstituer tout simplement la démocratie : je ne suis pas sûr que nous vivions aujourd’hui réellement dans une démocratie, car celle-ci est précisément, en son principe même, ce qui repose sur la participation qui fait si grandement défaut. Une démocratie est participative ou n’est rien. C’est ce que j’ai appelé le pléonasme de la démocratie participative - qu’a pratiqué Ségolène Royal en omettant de poser la vraie question : pourquoi la démocratie actuelle n’est-elle plus participative, et tend-elle à être perçue du même coup comme une fiction, ou les hommes et les femmes politiques ne représentent plus, du même coup, les citoyens ?

Ma réponse est que c’est parce que le modèle industriel qui domine comme opposition des producteurs et des consommateurs est ce qui détruit toute possibilité de participation, et installe ce que j’ai appelé des milieux dissociés), là où les milieux humains constituent des milieux associés, au double sens que Simondon donne à cette expression [1]. Ce qui changerait, par conséquent, si était relancé un projet démocratique tel que nous l’appelons de nos vœux, c’est à dire tel qu’il reconstituerait de la participation non seulement dans la vie politique, mais dans la vie économique et sociale dans tous ses aspects, ce serait la réapparition d’un processus de sociation, c’est à dire d’un processus d’individuation psychique et collective) reposant en l’occurrence sur le développement systématique du milieu technogéographique [2] associé qu’est internet. Ce réseau est l’infrastructure d’un nouveau monde industriel et forme un milieu technique qui rend possible de nouveaux types de relations entre les citoyens - permettant en l’occurrence de dépasser l’opposition producteur/consommateur. Et je reprends à mon compte les idées de Pekka Himanen sur ce qu’il appelle « l’éthique hacker » [3], qui désigne un nouvel esprit économique et social engendré par l’apparition de la technologie relationnelle que supporte le réseau formé par le protocole internet. L’éthique protestante (à laquelle Himanen compare l’éthique hacker) fut elle aussi engendrée par l’apparition d’une technique relationnelle : l’imprimerie. La question qui se pose de nos jours aux hommes politiques est de même nature que celle que résolut Jules Ferry. Celui-ci posa en principe que l’écriture qui s’était socialisée dans le monde du commerce et de la production du fait du développement de l’imprimerie devait désormais devenir accessible à tous et former une démocratie industrielle. C’est ce qui rendit possible la société de ce que l’on a appelé le deuxième esprit du capitalisme (qui fut aussi celui de l’État-providence). L’une des nombreuses différences entre ces deux processus est évidemment leur vitesse : la socialisation du numérique est foudroyante. C’est l’une de nos difficultés.

2) Quel rôle voyez-vous pour ce que vous appelez les technologies de l’esprit dans la démocratie participative ? En sont-elles une forme ou un outil ?

Produire de la sociation, c’est développer l’individuation psychique et collective disais-je. C’est autrement dit lutter contre la désindividuation que provoque la rationalisation des relations par les techniques - que l’on appelle justement, de nos jours, des technologies R, ou « relationnelles ». Or, la désindividuation, c’est ce qui résulte de la décomposition de l’individuation telle qu’elle est toujours à la fois psychique et collective. Toute la question est dans la conjonction. J’ai essayé de montrer que ce et est toujours surdéterminé par la technique, qu’à partir de la Grèce et de la Judée, ce et est principalement la mnémotechnique de l’écriture, et que c’est de nos jours la technologie de ces nouvelles formes d’hypomnémata [4] qui se développent avec le réseau numérique - en passant par les technologies analogiques qui auront dominé le XXè siècle avec les médias de masse. Les mnémotechniques et les mnémotechnologies sont toujours des techniques et technologies de l’esprit, qui peuvent être mises en œuvre tout d’abord dans le sens d’une désindividuation, donc d’une « baisse de la valeur esprit », comme l’appelle Valéry [5]. Mais ce sont ces mêmes techniques qui permettent de lutter contre cette baisse - et pour l’individuation, psychique aussi bien que collective, c’est à dire pour la sociation. Or, nous savons tous que face aux défis inouïs qui attendent les milliards de terriens que nous sommes, l’avenir de la planète passe nécessairement par l’élévation de l’intelligence individuelle et collective. Il faut que le monde industriel apprenne à produire autre chose que du CO2 - qu’il faut remplacer par de la sublimation.

3) Vous appelez à la création de nouvelles formes de puissance publique. Comme peuvent-elles s’articuler avec une démocratie participative ?

La démocratie est une production de philia (comme toute société humaine précise Aristote) qui se singularise par le fait qu’elle repose sur le partage de cette organologie politique qu’est le savoir de la lecture et de l’écriture. Le démos se constitue en Grèce lorsque tous les citoyens lisent et écrivent et donc accèdent à la loi. Or, c’est ce qui rend possible une capacité individuelle et collective de projeter qui constitue un rapport historique à l’avenir - et dans ce qui devient, avec l’industrialisation, un long terme, changeant, et qu’il s’agit de vouloir. Face à une mutation qui devrait conduire à un véritable changement de modèle industriel, la reconstitution d’une capacité de projection à long terme est indispensable. Elle suppose, d’une part de lutter contre les tendances spéculatives toujours « court-termistes » qui dominent en ce moment le capitalisme du fait de son extrême financiarisation, et d’autre part, de reconstituer une puissance publique - mais qui sache s’agencer étroitement avec les initiatives privées en leur donnant de la visibilité à long terme, et ce, précisément en posant que la démocratie participative n’est pas seulement un projet politique, mais aussi et sans doute d’abord un projet économique fondé sur un changement de société industrielle.


Qu’est-ce que la démocratie participative ?

le 24 avril 2007  par Philippe Merlant

Durant la révolution française, d’âpres débats opposaient les démocrates, nostalgiques de l’agora athénienne, et les tenants de la représentation, processus par lequel le peuple délègue sa souveraineté à des représentants. Notre démocratie représentative est le fruit d’un compromis entre ces deux conceptions, a priori opposées. Elle a, tant bien que mal, plutôt correctement fonctionné pendant deux siècles. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à reconnaître que ce modèle est en crise : d’abord, parce que, depuis la révolution individualiste, il devient très difficile de déléguer à quelqu’un d’autre ses opinions et son pouvoir de décision ; ensuite parce que, sociologiquement, l’écart ne cesse de se creuser entre la société politique (les représentants) et la société civile (les représentés).

La démocratie participative se veut une réponse à cette crise. En invitant les citoyens à participer plus directement aux décisions qui les concernent, on tente de combler un peu l’écart qui s’est creusé. L’un des exemples les plus significatifs est le budget participatif, inventé au début des années 90 à Porto Alegre et reproduit depuis dans de nombreuses villes brésiliennes. Mais aussi, plus près de nous, les conseils de quartier mis en place par certaines municipalités françaises.

Le problème, c’est que, très vite, des tensions surgissent entre les élus - qui se targuent de leur légitimité - et ces instances de participation - parfois plus dynamiques mais qui "ne représentent qu’elles mêmes". Pour contourner cette difficulté, on a tendance à privilégier une troisième voie : la démocratie délibérative. Il s’agit, cette fois, de mettre l’accent sur les conditions et la qualité du débat, afin de réussir à construire de l’intérêt général. Les conférences de citoyens et autres forums hybrides en offrent un bon exemple : on associe des citoyens - généralement tirés au sort - à la mise en place de politiques économiques ou de grands choix technologiques, en les formant et en les aidant à élaborer un point de vue commun sur le sujet. Très usités dans les pays scandinaves, ces outils tardent cependant à s’imposer en France.

(Philippe Merlant, extrait du livre de Jacques Robin & Laurence Baranski L’urgence de la métamorphose)


Dynamiques et défis de la démocratie participative

le 24 avril 2007  par Yves Sintomer

Dans son sens large, la démocratie participative réside dans l’institutionnalisation de la participation citoyenne dans la mise en place des politiques publiques. Les dispositifs en ce sens se sont multipliés en Europe et dans le monde au cours des deux dernières décennies, dans des contextes pourtant extrêmement divers : Agendas locaux 21, planification stratégique participative, budgets participatifs, commissions de débat public, jurys citoyens, conférences de consensus, conseils de quartier, développement communautaire, voire ouverture des partenariats public-privé aux associations : la liste pourrait encore s’allonger. Parallèlement, des ONG et des mouvements sociaux largement indépendants des partis politiques jouent un rôle croissant dans le monde. Ils ont pu créer leurs propres rassemblements, comme le Forum Social Mondial, et sont parfois associés à la « gouvernance globale » impulsée par certains organismes internationaux.

Mais c’est surtout dans son sens plus restreint que la démocratie participative fait débat, notamment lorsqu’elle est opposée à la « démocratie de proximité ». Dans cette dernière, qui prédomine en France, la participation reste essentiellement consultative et les élus conservent le monopole de la définition de l’intérêt général, et donc de la prise de décision. Si les citoyens sont engagés à exprimer leur point de vue particulier dans le cadre d’un dialogue avec les responsables politiques, ces derniers font librement la synthèse de la discussion, pratiquant une « écoute sélective » des arguments qu’ils intégreront ou non. A l’inverse, la démocratie participative vise à donner un réel pouvoir de décision ou au moins de co-décision et de contrôle aux citoyens. Loin de se cantonner à la proximité, les dispositifs qui l’incarnent peuvent se tourner vers des questions générales. Dans une telle dynamique, la démocratie représentative classique s’articule avec des procédures permettant aux simples citoyens de participer à la prise de décision, directement, à travers des délégués étroitement contrôlés ou grâce à des porte-parole tirés au sort. C’est cette perspective qui choque les tenants d’un républicanisme classique, qui pensent avec l’Abbé Sieyès que les citoyens « nomment des représentants bien plus capables qu’eux-mêmes de connaître l’intérêt général, et d’interpréter à cet égard leur propre volonté ».

L’idée de démocratie participative a des antécédents, en particulier dans les thématiques autogestionnaires des années 1960 et 1970. Après une éclipse dans les années 1980 et 1990, la problématique a fait peau neuve sous l’influence du budget participatif de Porto Alegre, au Brésil. Dans cette ville, un dispositif complexe permet aux citoyens qui le souhaitent de participer à la définition du budget communal. Fondée sur un ensemble de règles co-élaborées par l’exécutif municipal et les participants, la procédure a permis une redistribution des ressources en direction des plus pauvres. Les classes populaires ont investi un dispositif qui a par ailleurs favorisé une modernisation de la gestion et a largement sapé les vieux liens clientélistes. Du coup, budget participatif et démocratie participative sont devenus le nouvel étendard d’une partie de la gauche, après l’effondrement du socialisme bureaucratique et alors que les démocraties libérales sont confrontées à une crise de confiance des citoyens à l’égard du système politique. Simultanément, des institutions peu suspectes d’être subversives, comme l’ONU ou la banque mondiale, ont repris l’idée dans une logique moins radicale pour lutter contre la corruption, favoriser une meilleure utilisation des fonds publics ou combattre la pauvreté. Parallèlement, la prise de conscience que nous vivons dans une « société du risque » (U. Beck) où les sciences et les techniques permettent de résoudre certains problèmes mais ont des effets induits imprévisibles (les incertitudes liées aux manipulations génétiques ou le réchauffement climatique n’en étant que les exemples les plus manifestes) a conduit des associations, des scientifiques et des hauts fonctionnaires à souligner la dimension éthique et politique des choix scientifiques et techniques et à demander leur démocratisation. L’implication d’acteurs aussi divers donne aujourd’hui une crédibilité et un poids croissant à cette dynamique participative : les grandes innovations du passé, à commencer par la démocratie parlementaire et l’Etat social, n’ont-elles pas été le fruit de la convergence d’intérêts, d’organisations et de valeurs largement hétérogènes ?

Comment expliquer que ces thématiques gagnent un peu partout du terrain ? Si des acteurs politiques peuvent s’en saisir avec succès, c’est parce qu’elles correspondent à des évolutions de fond. Les principales institutions, de la famille à l’école en passant par les partis, ont vu leur caractère autoritaire s’affaiblir au cours des dernières décennies, et cela a des répercussions sur les conceptions élitistes de la politique. De plus, la crise de l’action publique traditionnelle place les services publics devant un choix : céder la place aux logiques marchandes ou se moderniser en s’appuyant sur la participation des usagers. Parallèlement, les partis jouant moins qu’autrefois leur rôle de médiation entre le système politique et la société civile, un gouffre s’est ouvert que l’institutionnalisation de la participation semble pouvoir combler en partie. Enfin, la conscience se fait jour que la politique n’est pas forcément un jeu à somme nulle, où les élus devraient par force perdre du pouvoir s’ils étaient amenés à le partager : si la politique dans son ensemble regagnait en crédibilité, tout le monde n’aurait-il pas à y gagner ?

Bien sûr, la démocratie participative n’est pas une recette miracle et les expériences engagées sont confrontées à une série de défis :


-  Comment assurer une participation quantitativement significative et socialement représentative de l’ensemble des citoyens ?
-  Comment surmonter les problèmes d’échelle et faire du local ou du sectoriel un tremplin plutôt qu’un piège, en évitant les corporatismes et l’esprit de clocher ?
-  Comment intégrer les savoirs citoyens à la modernisation de l’Etat, afin que les services publics soient réellement au service du public ?
-  Comment permettre une délibération de qualité ?
-  Comment la démocratie participative peut-elle déboucher sur plus de justice sociale ?

Ces questions difficiles ont débouché sur un foisonnement d’innovations pratiques et conceptuelles, dans un mouvement qui ne fait que commencer à s’engager.

La politique est en train de basculer d’un terrain vers un autre, marqué par la relativisation du rôle des appareils partidaires. La démocratie participative ne constitue qu’un pôle dans cette évolution. D’autres tendances jouent sur des crispations autoritaires et sur des mécanismes charismatiques. Elles se manifestent dans le règne des sondages et d’une politique spectacle où l’argumentation est réduite à sa plus simple expression.

La démocratie participative ne constitue-t-elle pas un contrepoids à cette « démocratie d’opinion » :


-  lorsqu’elle s’incarne dans des procédures qui favorisent une délibération de qualité,
-  lorsqu’elle combine différents types de légitimité plutôt que de les opposer
-  lorsqu’elle permet au processus de décision politique d’incorporer les énergies venues des mouvements sociaux en préservant leur autonomie.

Elle doit certes affronter de sérieux défis et génère des problèmes nouveaux, mais l’enjeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Des budgets participatifs aux jurys citoyens, n’est-il pas urgent de multiplier les expérimentations ?

Yves Sintomer (La revue parlementaire, décembre 2006)

Yves Sintomer est Directeur adjoint du Centre Marc Bloch Berlin/Université Paris 8

Co-auteur de « Gestion de proximité et démocratie participative » (avec M.H. Bacqué et H. Rey, La Découverte, Paris, 2005), il vient de publier « Le Pouvoir au peuple, Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative », La Découverte Paris, 2007.


L’important c’est de participer

le 24 avril 2007  par Roger Sue

Si l’on en reste aux seuls forums citoyens, conférences de consensus, conseils de quartiers et même référendums locaux, les procédures de consultation des citoyens s’en trouveront certes améliorées, mais rien n’aura vraiment changé. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose... En revanche, prendre la démocratie participative au sérieux et au pied de la lettre peut donner un tout autre sens à la politique. Faut-il rappeler que la démocratie est tout à la fois une méthode de participation au gouvernement et un projet politique toujours inachevé ? Participer, c’est faire valoir un avis, bien sûr, mais plus encore s’informer, apprendre, comprendre, écouter, échanger, discuter, argumenter, s’exprimer, négocier, délibérer... bref, « prendre sa part » au quotidien. Autant dire que cela ne s’improvise pas et que l’on est très loin de la simple démocratie d’opinion, aussi versatile/inconsistante qu’influençable, ou d’une citoyenneté dont l’expertise se limiterait aux cages d’escalier. Une démocratie participative digne de ce nom suppose un citoyen suffisamment éclairé pour contribuer à la construction de l’intérêt général au plan local, mais aussi national ou européen. Cela passe nécessairement par des formes d’organisation pérennes. Et plus particulièrement par les organisations associatives qui s’en fixent l’objectif. Elles ne manquent pas, elles sont même chaque jour plus nombreuses et concernent de plus en plus de Français (1 sur 2) qui les plébiscitent régulièrement du point de vue de l’animation de la vie démocratique et de l’intérêt général justement.

Un très récent sondage [6] indique qu’ils sont 58 % à préférer un responsable d’association plutôt qu’un responsable politique (37 %) pour « proposer des solutions en faveur de l’intérêt général ». Logiquement, ils sont 65 % à estimer que la place accordée aux associations par les pouvoirs publics est insuffisante. Dans ces conditions, le premier devoir politique consiste à créer un contexte favorable à cette expression associative et à en tenir compte. En commençant par honorer les engagements de l’Etat et en respectant la charte des engagements réciproques signée en 2001, qui préconise un devoir de partenariat aux différents échelons de la décision publique. C’est peu dire que l’on est loin du compte et qu’un authentique dialogue civil, à côté du dialogue social avec les syndicats, reste à instituer.

Il s’agit de passer d’une culture de la consultation discrétionnaire à une culture de la proposition nécessaire. S’il est parfaitement légitime que les élus de la nation aient le dernier mot, il n’est pas absurde, en démocratie, que les acteurs sociaux avancent les premiers.

Comme l’écrivait déjà Tocqueville dans sa « Démocratie en Amérique » : « Les associations n’ont pas le droit de faire la loi, mais ont le pouvoir d’attaquer celle qui existe et de formuler d’avance celle qui doit exister. » Dans cet esprit, une mesure phare consisterait, par exemple, à faire du Conseil économique et social rénové la deuxième Chambre de la République, en lieu et place d’un Sénat hors d’âge, avec droit d’initiative sur l’ordre du jour de l’Assemblée nationale...

Par définition, la démocratie participative s’enracine dans le quotidien et dans l’action. Le lien social et les valeurs démocratiques s’éprouvent dans l’action en faveur de l’éducation mutuelle, de la santé, du bien-être, de la prévention des risques, de la protection de l’environnement, de la lutte contre les violences, etc. Tous domaines dans lesquels les associations jouent un rôle majeur à travers une économie civique de l’intérêt général. Or, ces besoins en matière de santé, de formation, de services à la personne, par exemple, se développent à un rythme soutenu et sont au coeur d’une croissance nouvelle. Comment y répondre, face à un service public exsangue qui touche ses limites, et si l’on refuse la marchandisation de biens publics aussi fondamentaux, à brader ce qui fait l’humanité aux seules lois du marché ? Il y a là un défi majeur auquel nos sociétés sont confrontées et que la démocratie participative peut contribuer à relever, notamment par l’action associative.

Entre l’Etat et le marché, il y a l’association. Ce que pensaient déjà les inventeurs du mot « socialisme », tel Pierre Leroux dans la France de 1848, en posant les premiers jalons de la démocratie participative et de l’associationnisme. Suivre ce fil, auquel Ségolène Royal semble plus sensible que ses prédécesseurs, entraîne des choix politiques décisifs. Notamment le maintien d’un certain niveau de fiscalisation et de redistribution pour financer ces actions, sécuriser les associations, créer de nouvelles fondations d’économie mixte, développer le volontariat, le rendre cumulable avec une activité salariée afin que chacun soit clairement incité à participer, etc. En ce sens, le regard se tourne plutôt vers l’Europe du Nord (Danemark, Suède) - ­où l’on est souvent fier de payer l’impôt, de financer la solidarité et les dispositifs participatifs - ­que vers le modèle anglo-saxon.

Encore que l’on oublie toujours de mentionner que le succès de la lutte contre le chômage en Grande-Bretagne tient autant au million d’emplois créés dans la fonction publique depuis 1997 et aux aides massives en direction des charities (associations caritatives), qu’aux recettes libérales.

Entre les forums participatifs d’un jour et une démocratie participative au long cours, il y a un grand écart. Il est possible de le combler, même si cela ne garantit nullement la victoire immédiate. A défaut, il est important de prendre date et d’offrir un recours face aux dérives autoritaires qui se préparent.

Roger SUE

Sociologue, Roger Sue est professeur à la faculté des sciences humaines et sociales, Université Paris 5 - Sorbonne.

Auteur, entre autres, de :
-  Renouer le lien social. Liberté, égalité, association, Paris, Editions Odile Jacob, 2001
-  La Société contre elle-même, Fayard, 2005.
-  Quelle Démocratie voulons-nous ? Pièces pour un débat (en collaboration), Paris, Éditions La Découverte, 2006.
-  Gouverner par la peur (en collaboration), Fayard, 2007


Réseaux numériques : le renouveau du politique

le 24 avril 2007  par Véronique Kleck

Un nouveau rapport au pouvoir

Nous ne parlons pas ici d’e-démocratie ou d’e-gouvernement. Nous ne nous intéressons pas prioritairement au vote à distance ou aux services publics en ligne. Certes, il ne faut pas minimiser l’importance de la modernisation de ces services, car ils contribuent à redonner confiance en l’État. Mais nous parlons ici du pouvoir. Nous sommes convaincus que nos sociétés numériques produisent un autre rapport au pouvoir politique et que nous ne sommes qu’au début de cette nouvelle étape historique.

Notre système d’organisation démocratique du pouvoir est aujourd’hui remis en cause, sous le double impact d’une mondialisation libérale profondément inégalitaire et d’une révolution technologique sans véritable précédent. La première met à mal le rôle régulateur de l’Etat au service de l’intérêt général. La seconde questionne les valeurs et la place de l’humain sur terre, tout en donnant aux citoyens les moyens d’orienter leur destin.

De nouvelles formes du politique émergent, mais elles rencontrent de lourdes réticences, car elles remettent en cause des règles existantes de gouvernance et d’organisation du pouvoir. Cette mutation d’un système à un autre a des conséquences bien réelles et dangereuses qui obligent à l’action et à l’inventivité. Les nouveaux outils de communication, d’expression et d’action sont là. Ils correspondent aux besoins de l’action militante et politique.

Ces outils numériques bouleversent la relation entre citoyen et politique. L’exercice du pouvoir se répand, devient diffus et éclaté. Tout citoyen de la communauté est, dans l’absolu, détenteur d’une parcelle du pouvoir politique. Le numérique nous permet de revenir aux fondamentaux de la révolution des Lumières : la souveraineté appartient au peuple.

Tous les ingrédients d’une mutation profonde sont réunis, tout au moins dans nos sociétés numériques du Nord : un réseau omniprésent, un niveau d’éducation permettant la conception et le traitement de l’information, un accroissement des savoirs et expertises de toute nature et un nombre de citoyens connectés en croissance rapide et irréductible. De la combinaison de ces quatre éléments naît un nouveau rapport au pouvoir et potentiellement un nouveau système de régulation politique. Donc, quelque chose d’assez éloigné de nos systèmes actuels, où ceux qui détiennent le pouvoir tirent leur légitimité d’un vote et des capacités qu’on leur prête à traiter les lourdes questions auxquelles nos sociétés sont confrontées.

L’exercice du pouvoir politique deviendrait linéaire, sans rupture, sans lieu, sans espace attribué. Le peuple « éclairé » aurait potentiellement la capacité de participer au débat et à la décision politique. Sans moment déterminé (le calendrier électoral) et espace attribué (la circonscription et le bureau de vote), la démocratie deviendrait continue. L’utopie du pouvoir de tous pour tous et par tous est de nouveau à l’ordre du jour !

Cette « démocratie permanente » peut s’étendre à diverses échelles et modifier la cartographie des territoires politiques. Dans l’ancien système, les décisions étaient prises par des représentants, élus par une population inscrite en tant qu’électeurs sur un territoire délimité. Aujourd’hui, les frontières des territoires politiques éclatent et les représentants de ces territoires voient leur légitimité reculer en fonction de leur capacité à répondre aux besoins des populations.

Nous ne sommes qu’aux balbutiements de cette révolution du politique. Nous observons des tâtonnements et des expérimentations à divers niveaux, en particulier aux niveaux local et international. Dans ce bouillonnement de laboratoire du politique, quelque chose de neuf est en train d’émerger. À la base de ce renouveau, on trouve la participation.

La participation, vecteur de transformation sociale : l’apprentissage par le net

Ce que nous appelons « participation » est le fait, pour un individu ou un groupe, de prendre part à l’organisation de la cité - au sens de lieu de vie collective -, à la conception de cette organisation, à son contrôle et à sa mise en œuvre.

Cette forme de citoyenneté active a toujours été un exercice difficile. Passer de la sphère privée à la sphère publique n’est pas aisé. Il faut soit en avoir le goût et disposer d’une nature altruiste, soit en éprouver la nécessité. Dans les deux cas, cette « citoyenneté active » s’acquiert. Espérer que les habitants aient envie de participer au débat public et de devenir acteurs de leur propre devenir, a toujours été une utopie légère ; il y a une certaine naïveté à penser que les dispositifs proposés leur conviennent et qu’ils vont s’y engager. Car la participation politique n’est pas innée. Elle s’apprend. Et nous constatons que la pratique des réseaux numériques a des vertus pédagogiques.

Comme le souligne Michel Briand, maire adjoint de Brest, « l’expression citoyenne ne va pas de soi, elle implique aussi un parcours, un accompagnement, un regard critique, une reconnaissance individuelle et collective des personnes. Le chemin est long pour que l’expression citoyenne soit un droit effectif comme le vote. Un chemin qui passe d’abord par l’apprentissage, la formation à l’expression et par une mutation culturelle : l’intériorisation par le plus grand nombre du fait que cette expression est non seulement un droit mais aussi un ressort de transformation sociale [7]. »

La nouveauté est que téléphone mobile et Internet semblent participer activement à cette « éducation » à la participation. Les nouveaux réseaux numériques suscitent des sentiments d’appartenance à une communauté et un certain sens du collectif, en développant la connaissance et la curiosité, ou plus simplement l’envie de/du savoir. Sur les réseaux s’entremêlent de manière permanente la sphère privée et la sphère publique, entre intérêts individuels et action collective. Sur le net, les besoins de se connaître, d’échanger, la volonté de construire du collectif ou de « faire nombre » sont permanents. Or l’échange, l’information, la curiosité, la communauté sont les ingrédients indispensables de la participation.

La première qualité du Web est donc avant tout psychologique : il permet à tout le monde de prendre la parole. L’Internet est un média égalitaire même si sa pratique est tout autre. La participation passe par l’expression publique. Or, les formes possibles de ces prises de parole s’élargissent avec le numérique.

Des outils tel que le blog participent à une meilleure connaissance de soi, car l’écriture est révélatrice de sa propre pensée et permet de décrypter son environnement. Les forums de débats, les blogs, les messages instantanés pallient la carence de débat public. Ils produisent de l’interactivité, de la diversité de contenu, de la liberté de parole, et répondent aux besoins de communication et d’échanges sur les grands enjeux de nos sociétés, enjeux absents du débat politique actuel ou confisqués par quelques-uns.

Progressivement, des formes de communication nouvelles, invisibles à l’œil mais bien réelles, émergent sur ces réseaux. Par cette conjonction de l’affaiblissement du politique et de l’expansion des outils numériques, les citoyens interviennent dans le débat politique et prennent position sur la manière dont ils sont gouvernés. On voit se constituer des identités virtuelles de groupes militants et contestataires sur les réseaux.

Le Web a donc des vertus formatrices. Il effectue un lent et patient travail d’information et de prise de conscience. Il peut donner du sens à ces concepts abstraits que sont la société, la politique ou l’économie, en les contextualisant et en leur donnant un contenu concret. L’information circulant sur les réseaux suscite des sentiments de rage, de doute, de colère qui sont autant de terreaux favorables à l’action. Le net nourrit l’indignation indispensable à tout mouvement contestataire. Mais il peut aussi orienter l’initiative, permettre de trouver l’autre ou les autres qui pensent de manière similaire, de créer des communautés d’intérêt puis d’action. Et ainsi de construire le lien entre disposition individuelle et action collective. Le net produit un « être au monde » potentiellement politique, un « éveil », une politisation « décrite alternativement comme une conversion à un regard lucide sur le monde et comme la prise de conscience de la capacité à le changer [8]. »

Certes, on ne devient pas citoyen actif aussi facilement qu’on peut devenir blogueur. Les réseaux restent avant tout des outils de consommation, de services et, au mieux, d’accès à la connaissance. Ils sont encore rarement perçus comme leviers d’une citoyenneté active. Mais un changement s’opère sous nos yeux. Il semble en effet qu’un nombre croissant d’individus voient dans l’accès et l’usage des réseaux numériques des moyens pour résoudre des problèmes très concrets de leur quotidien.

Véronique Kleck

Extrait du livre : "Numérique & Cie - sociétés en réseaux et gouvernance », Ed Charles Léopold Meyer (38 rue Saint Sabin 75011 Paris), 2007, 237 pages, 21 euros. Préfacé par Manuel Castells


Vers une démocratie continue (entretien de Leda Guidi par Véronique Kleck)

le 24 avril 2007  par Leda Guidi

Véronique Kleck (VK) : Leda, vous dirigez le Service de Communication aux citoyens en charge du « Réseau Citoyen Iperbole » de la Municipalité de Bologne (Italie). Les questions de démocratie renouvelée, de participation, et, à l’échelle européenne, d’approche locale et d’implication des municipalités dans cette société de l’information, ont été au cœur de votre démarche. Quels enseignements tirez-vous de ces responsabilités locales au sein de la municipalité de Bologne ?

Leda Guidi (LG) : Dans mon activité professionnelle, j’ai toujours privilégié une approche humaniste et non une approche technologique ou technocrate. Depuis 1980, la municipalité de Bologne a beaucoup investi sur l’information, la transparence, la communication avec les citoyens et les communautés locales.

C’est une tradition qui vient de loin, de l’histoire de la ville et de la région. Une tradition de participation que l’on retrouve dans les politiques des villes ou dans les pratiques des citoyens eux-mêmes.

Dès 1993, lorsqu’Internet est apparu en Europe, j’ai eu la chance de pouvoir m’intéresser à ces technologies et à leur impact dans l’administration publique et dans la société - dans le cadre de mon travail, la communication publique. A l’époque, il ne s’agissait que d’expérimentations, de mesures pionnières, de « wishful thinkings » venant de quelques précurseurs dans certaines administrations européennes.

Et pourtant, dès 1994, se créait le réseau de villes « Telecities », sur la base de cette vision partagée par de nombreuses villes. Ce réseau de cités entendait mettre en commun au niveau local, les efforts d’élaboration des stratégies de développement de la société de l’information émergente, selon un modèle politique et culturel original par rapport aux expériences nord américaines.

Ces technologies ont constitué à la fois :

1. un objet d’études et d’expérimentation de nouvelles relations sociales et de communication ;

2. un outil pour faire émerger et organiser des communautés mondiales.

VK : Pensez-vous que ces technologies contribuent à renforcer la démocratie locale ou la confiance dans les services publics ?

LG : L’usage de ces technologies pour renforcer la démocratie me semble déterminant ! Aujourd’hui nos démocraties représentatives s’essoufflent et ne sont plus suffisantes pour se confronter à la diversité des besoins, des attentes et des choix de vie. Il faut renforcer les modalités d’expression de cette démocratie, pour aller vers une sorte de démocratie continue, c’est-à-dire une démocratie délibérative qui soit complémentaire de la démocratie représentative. Car la société s’est complexifiée et les élections ne sont plus le seul terrain d’expression du peuple. D’une élection à une autre, il faut alimenter et remplir l’espace public de « savoir social ». Il est important d’encourager la participation au processus délibératif et décisionnel si l’on veut aboutir à des décisions plus partagées, fruits d’une multiplicité de contributions et d’expériences.

Toutefois, il faut être vigilant à ne pas trop donner d’importance à la technologie en tant que telle. La technologie ne va pas résoudre le déficit démocratique de manière automatique et déterministe. Mais elle peut contribuer à donner naissance à d’autres formes d’expression démocratique et de participation à la vie publique. La technologie ne renforce pas le pouvoir des citoyens et des communautés, mais elle soutient l’émergence de différents pouvoirs, ouvre davantage de canaux de communication à travers lesquels faire transiter sentiments, volontés, points de vue.

Dans le champ économique, on voit également apparaître une économie alternative et complémentaire au « mainstream ». Celle-ci ne se focalise pas sur la privatisation (et la vente) des idées et des contenus, mais plutôt sur leur diffusion ouverte et libre. L’accent est alors mis sur la capacité « virtueuse » de la circulation des savoirs à enrichir les réseaux humains et produire une richesse plus distribuée.

VK : Et quid de la démocratie représentative ? Pensez-vous qu’elle soit appelée à disparaître ? Pensez-vous que nous nous dirigeons vers une autre organisation du pouvoir politique ?

LG : De nouvelles formes de représentation, complémentaires à la démocratie représentative, vont être nécessaires. L’usage des TIC et de la multicanalité peut multiplier les occasions de « prise de parole », mais aussi les processus participatifs « physiques ». Ceux-ci ont besoin de se renforcer pour donner de l’oxygène à la démocratie représentative et essayer de combler le déficit démocratique. Mais en même temps, certaines personnes ne veulent pas participer au débat public. Et elles doivent avoir le choix de ne pas participer, de déléguer et de se faire représenter.

Autre danger de la disparition de la démocratie représentative en faveur de la seule démocratie directe : le risque que les plus faibles, les plus démunis ne soient pas représentés. La démocratie deviendrait alors élitiste.

VK : Mais c’est déjà vrai dans notre système représentatif et plus encore à l’heure actuelle. D’une part, les plus humbles ne sont pas représentés, mais en plus, les décisions prises semblent servir les intérêts des nantis et pas obligatoirement du plus grand nombre.

LG : Je pense que nous devons parler de complémentarité des systèmes. Ici, cela dépend également de l’éthique et de l’ensemble de valeurs qui orientent les décisions politiques. Par exemple, avec ou sans technologies, certaines formes de participation peuvent être plus adaptées à une démocratie locale/de proximité et beaucoup plus difficilement à la représentation nationale.

Ainsi, les processus de démocratie participative s’appliquent très bien à l’urbanisme de proximité, aux questions liées à l’environnement, et au budget participatif de la collectivité... Des instruments nouveaux et des modalités diverses doivent être recherchés et expérimentés, comme les laboratoires de quartiers, les forums, les groupes de travails sur des thèmes spécifiques intéressant les habitants... On voit notamment apparaître de nouveaux professionnels de la politique, comme les médiateurs des processus on line et « off line ».

Les modalités d’exercice du pouvoir peuvent varier en fonction de la nature de la décision, de son contenu, du territoire sur lequel elle va s’appliquer. Je crois vraiment à une démocratie continue, à une pratique continue de l’exercice démocratique du pouvoir. Même si cela peut être très exigeant !

VK : Vos responsabilités au sein de la commune de Bologne vous permettent d’expérimenter ces formes nouvelles de participation. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’actions entreprises dans ta ville ?

LG : L’exemple le plus concret qui me vient à l’esprit est celui de l’urbanisme participatif. La participation des habitants a été véritablement étonnante. Il est vrai que c’est une tradition très ancienne en région Emilie Romane que de favoriser la participation des individus.

Dans le domaine de l’urbanisme, la commune est en train d’adopter le plan général pour la ville et ceci dans une perspective de long terme (10/15 ans). C’est un document essentiel qui touche à toute la vie de la communauté, du développement économique à l’environnement, en passant par les écoles et les transports. On a voulu mettre en place une plateforme de débat citoyen autour de l’élaboration de ce « master plan ». L’un des aspects concernait l’organisation d’un grand forum associatif, mais également la mise en place de réunions, y compris au niveau des quartiers, sur des thématiques précises. Une des choses très intéressantes était la mise en lumière des dynamiques de négociation. Dans la plupart de ces consultations publiques, chacun parle pour soi. L’individualisme des besoins et des désirs prévaut, ce qui aboutit souvent à un réel chaos. Et dans l’espace virtuel, le risque est encore plus fort. Aucune décision politique « bottom up » partagée et négociée n’est possible. Il a donc fallu recourir à des médiateurs et à des facilitateurs, tant sur les réseaux (le site, le forum on line pour le débat) que dans les quartiers, où on a mis en place des laboratoires participatifs. Ceux-ci regroupent des techniciens, experts dans la thématique traitée mais neutres par rapport aux possibles résultats, qui n’imposent pas leur point de vue mais qui expliquent pourquoi les propositions des citoyens sont techniquement possibles ou impossibles à mettre en œuvre. Ils proposent également des alternatives et sont capables de « traduire » la multiplicité des positions différentes en solutions praticables.

Nous avons donc provoqué l’apparition de véritables « écoles de la démocratie » sur des cas concrets. Car à côté des grands débats sur le plan d’occupation des sols, se sont organisés des débats plus concrets à l’échelle d’un quartier, sur des sujets plus précis, comme la réhabilitation, le bâtiment d’un centre culturel, etc. C’est dans cette participation de proximité que nous avons constaté la plus forte implication des individus et pas seulement des associations.

VK : Vous semblez souligner l’importance des accompagnements humains et des réunions bien réelles et non virtuelles dans ces processus de consultation locale. Les technologies ne semblent pas être, à vos yeux, déterminantes.

LG : A l’heure actuelle, la démarche est de transposer des mécanismes réels, existant dans la vie des gens, directement dans le virtuel, sur les réseaux. On tente par exemple de transposer sur Internet des modes de participation existant en réunion de quartier (assemblée délibérative...). Et cela freine nos imaginaires. Au lieu de faire dans le parallélisme, l’idéal serait certainement de s’interroger sur ce que l’on peut faire de nouveau par et via les réseaux numériques, notamment en explorant des façons originales d’interagir et de nouvelles règles de déroulement des processus délibératifs.

Il faudrait pouvoir inventer d’autres formes de participation propres au virtuel. Nous sommes en train de réfléchir à d’autres canaux, tels que le téléphone mobile, la télévision numérique ou la radio. C’est la partie de ce travail qui est la plus imaginative mais aussi la plus difficile.


Liens

le 24 avril 2007  par Rédaction Transversales


-  D’abord, on peut renvoyer aux récentes contributions des initiateurs de cette lettre : "les enjeux de la démocratie participative" de Jean Zin, et surtout "le Livre blanc sur la démocratie participative et le débat public" que vient de sortir Sopinspace, la société de Philippe Aigrain (auteur de Cause commune), rapport ouvert aux commentaires et qui cherche à comprendre comment l’internet peut-être utilisé pour la citoyenneté. “Les moyens aujourd’hui offerts pour utiliser les TIC dans la démocratie participative sont encore immatures, et leur mûrissement et leur appropriation par tous sont progressifs.

-  On peut signaler aussi l’article de Jacques Testart dans EcoRev’ sur une question que nous n’avons pas abordé ici, celle du "citoyen face à la technoscience" où les "consultations" sur des décisions déjà prises voudraient se faire passer pour une "concertation" en vue de choisir...

-  Le Dossier de Territoires n° 473 (décembre 2006) se demande si les associations sont (suffisamment) écoutées dans le dialogue territorial. Voir l’entretien avec Pierre Sadran sur "associations et territoires", ainsi qu’une "analyse sereine des jurys citoyens" par Georges Gontcharoff

-  En anglais, après "The Adaptive State" le nouveau livre du think tank britannique Demos s’appelle "The Collaborative State", (Beyond state and market : social cooperation as a new domain of policy par Yochai Benkler, etc.).

-  Du Québec, une étude de Benoît Lévesque sur "Une gouvernance partagée et un partenariat institutionnalisé pour la prise en charge des services d’intérêt général"

-  Plus ancien, mais toujours d’actualité, on peut consulter avec profit le travail effectué par l’Alliance pour un monde responsable et solidaire, repris et enrichi par les Etats Généraux de l’Ecologie-Politique, avec de nombreuses fiches d’expériences participatives sur la période 1998-2000.

-  Enfin, au Vénézuela, depuis quelques années déjà des expériences d’autogestion et de démocratie participative ont été mises en place, dont Le monde diplomatique a rendu compte en 2005.