L´avenir a-t-il besoin des humains ?

Jacques ROBIN

Après le décryptage total du génome humain, les multiples interactions de la mutation informationnelle n´en ont pas fini de faire naître des technologies révolutionnaires qui posent la question fondamentale pour Homo sapiens : l´avenir a-t-il besoin de lui si l´on continue des recherches mortifères pour sa propre existence ?

Le 26 juin 2000, Washington annonçait que le "projet Appollo du génome humain" de décryptage final des trois milliards de bases du génome humain, éléments du patrimoine génétique de l´être humain, venait d´être achevé. Ce gigantesque projet a été mené, avec l´action prioritaire des Etats-Unis, par la France, la Grande-Bretagne, le Japon et la Chine, impliqués dans le consortium public "Projet du génome humain" (HPG). Avec quinze années d´avance sur l´objectif du "balisage" de l´ensemble de l´ADN humain, les chercheurs, par le "séquençage" de ces bases, permettront de mieux nous repérer dans le dédale de nos chromosomes. Certes, il faudra continuer l´étude des fonctions des dizaines de milliers de gènes contenus dans cet ADN humain. Ils forment la mémoire biologique de l´espèce humaine et vont sans aucun doute nous faire avancer dans la compréhension du grand livre de la vie.

Aux côtés de cette "science pour comprendre", les technosciences se précipitent pour attiser les batailles d´efficacité entre la recherche publique et la recherche privée, entre les firmes commerciales concernées au premier plan par la mise à jour de thérapeutiques géniques et cellulaires inédites ainsi qu´aux applications encore insoupçonnées dans les divers champs de la "tekhné humaine". Il n´est d´ailleurs pas innocent que l´annonce du 26 juin ait été faite à Washington simultanément par le National Health Service (NIH) et par la société privée Celera Genomics, dont le patron est le célèbre Craig Venter, "le Bill Gates de la génomique".

Deux questions d´une urgence immédiate vont s´aggraver dès les prochains mois :

- d´une part, quelles sont les limites à inscrire pour la brevetabilité des fragments composant le génome humain et la reconnaissance d´une innovation réelle lors du dépouillement de la "nature" existante ?

- d´autre part, quel sera le statut des recherches sur l´embryon humain, c´est-à-dire aux premiers stades de la vie, dont on pressent qu´elles peuvent dans un avenir proche bouleverser la pratique médicale, sanitaire et sociale ?

C´est une responsabilité majeure de l´ONU et de l´Unesco de déclarer le génome patrimoine commun de l´humanité et de mettre en place les dispositions que nécessitent alors les réalités politiques, économiques, culturelles, éthiques et philosophiques d´une telle décision.

ï Mais il faut voir plus loin que cette étape, certes décisive. Les multiples interactions de la mutation informationnelle qui éclate depuis quelques décennies (aux côtés des données connues de l´ère énergétique précédente) n´en ont pas fini de faire naître des technologies inédites qui posent la question fondamentale pour Homo sapiens : l´avenir a-t-il besoin de lui si l´on continue des recherches mortifères pour sa propre existence ? Ne faut-il pas arrêter des recherches en cours dans des domaines qui mettent sans doute en péril l´existence même de l´espèce humaine ?

Certes, ce n´est pas la première fois que de telles questions ont été évoquées par les chercheurs et les penseurs : les anti-techniciens contre "l´imprimerie naissante", les briseurs de machines à tisser des canuts lyonnais et anglais, étaient un naïf commencement. Plus sérieuse était la crise de larmes d´Oppenheimer, chef du projet Manhattan qui préludait à Hiroshima.

Cette fois, l´alarme est encore plus sérieuse : Bill Joy, l´un des pères du langage de programmation Java et responsable scientifique de Sun Systems, lance un appel dans un pamphlet1 qui se répand comme la poudre, sous le titre "Pourquoi l´avenir n´a plus besoin de nous ?". Le sort des connaissances en génétique ouvre la voie à des réalisations inconnues dans le domaine de robots qui se reproduisent eux-mêmes, dans des nanotechnologies (à l´échelle du millionième de millimètre) avec l´émergence de "molécules dangereuses" pour les populations humaines.

Une confrontation entre une intelligence de robots échappant à ll´homme et des technologies maniant une dangerosité énorme à l´échelle infinitésimale nécessitent en tous cas une réflexion poussée des communautés scientifiques, philosophiques et politiques et, bien entendu, des citoyens du monde. Transversales, par vocation, ne manquera pas de tenir ses lecteurs au courant du déroulement de ces interrogations.

1. http://www.wired.com/wired/archive/8.04/joy pr.html. Consulter aussi les dÈbats engagÈs dans Le Monde interactif, supplÈment du Monde du 5 juillet 2000.