Transversales Science Culture n°63, mai-juin 2000

Le séquençage du génome humain  pourquoi faire  ?

Brigitte CHAMAK

Chercheuse, auteur de Le Groupe des Dix ou les avatars des rapports entre science et politique, Editions du Rocher, 1997

Craig Venter, fondateur de la société Celera Genomics, a annoncé le 6 avril 2000 que sa société avait réussi à établir la séquence complète du génome d´un individu. C´est en 1990 que Jim Watson, codécouvreur avec Francis Crick de la double hélice de l´ADN, avait lancé ce défi du séquençage humain. En 1996, le Human Genome Project, organisme public constitué d´instituts de recherche américains et britanniques, s´était fixé cet objectif. Il semble donc que Celera Genomics l´ait devancé.

Avant de créer cette société en 1998, Craig Venter avait été chercheur au National Institute of Health (NIH), le plus grand organisme public américain de recherche médicale. En juin 1991, il déposait une demande de brevets pour des séquences d´ADN de fonction inconnue. Cette demande engendra une réprobation quasi unanime de la communauté scientifique internationale, inquiète de voir récompensé un travail purement technique au détriment de recherches plus complexes. Le bureau américain des brevets rejeta la demande car Venter était incapable de montrer l´utilité commerciale des séquences.

L´ADN n´est pas ce que l´on croit...

Rappelons que l´ADN est le support biochimique des gènes qui constituent notre génome, et l´expression de nos gènes contribue à notre individuation. L´image de l´ADN que les médias reproduisent à l´infini est celle d´un texte formé d´un alphabet de quatre lettres (ATGC pour adénine, thymine, guanine, cytosine). Dans cette représentation ­ qui est aussi proche de la réalité qu´un conte de fée de la vie de tous les jours ­, le gène serait un livre et le génome, une bibliothèque. En fait, les gènes sont des structures complexes constituées effectivement d´ADN, mais tout l´ADN ne s´exprime pas. Ce n´est même qu´une infime partie de notre ADN qui est "codante", comme disent les spécialistes, et nous ne savons pas encore pourquoi.

Comme il n´est pas très intéressant de disposer de séquences d´ADN dont on ne connaît pas les fonctions dans l´organisme, l´objectif est de repérer les séquences signifiantes. Le travail de Celera Genomics n´a été que de fragmenter, de façon aléatoire, un génome en petits segments dont chacun a été séquencé. Maintenant il reste à mettre en ordre toutes ces séquences, et Celera Genomics peut le faire grâce aux travaux réalisés dans les organismes publics du monde entier, qui eux, donnent libre accès à leurs données.

L´intérêt des assureurs et des employeurs

Mais, au fait, pourquoi vouloir séquencer le génome ? L´étude des maladies est mise en avant et l´espoir d´une thérapie génique est fréquemment exprimé. Or, jusqu´à présent, les promesses n´ont pas vraiment été tenues. Alors que des moyens considérables ont été consacrés aux recherches sur la thérapie génique, aucun des essais ne s´est révélé probant. De plus, en se fondant sur un rapport du NIH qui fait mention de près de 700 "événements sérieux" (décès ou dégradation de santé) apparus lors de différents essais cliniques, The Gardian, le célèbre journal britannique, pointe les problèmes rencontrés lors des expériences sur l´homme. Il faut toutefois mentionner les résultats positifs exposés il y a quelques semaines par un groupe de chercheurs travaillant à l´hôpital Necker et ayant pratiqué une thérapie génique sur des "bébés-bulles".

Une meilleure connaissance des anomalies liées au génome pour certaines maladies est importante, mais les problèmes éthiques liés à l´usage de tests génétiques réclament une attention toute particulière. En fait, les travaux qui mettent en évidence les prédispositions aux maladies génétiques intéressent tout particulièrement les assureurs et les employeurs : pourquoi ?

L´utilisation de tests génétiques pour évaluer le montant des primes d´assurance est devenue une possibilité réelle. La Fédération française des sociétés d´assurance a annoncé, le 30 mars 1999, qu´elle renouvelait l´engagement pris en 1994 de ne pas tenir compte des résultats des études génétiques sur les caractéristiques des candidats à l´assurance. Un moratoire de cinq ans a été décidé mais, dans d´autres pays, ce n´est pas le cas : des assureurs britanniques, par exemple, imposent déjà de tels tests.

Venons-en aux employeurs. Le Comité d´éthique européen a lancé une vaste étude pour recenser les pratiques des employeurs dans les pays de l´Union afin de mesurer les risques d´utilisation de tests génétiques à l´embauche. Ce type de pratiques se généralise déjà aux Etats-Unis : on estime qu´un quart des entreprises procèdent à de tels tests avant embauche.

Alors séquencer le génome, pourquoi ? Pour apporter un réel mieux­être ou aller vers davantage de profit et de contrôle de la population ? En France, la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique a exclu la brevetabilité du corps humain, de ses éléments et de ses produits, ainsi que des gènes humains. Comme les techniques biologiques évoluent très vite, le cadre législatif doit évoluer en permanence. La loi de 1994 doit donc faire l´objet d´un réexamen au printemps 2000, c´est-à-dire en ce moment.

Au Conseil de l´Europe, une loi sur les brevets est également à l´étude. L´un des articles précise qu´on ne peut breveter une séquence d´un organisme naturel. Mais il est facile, pour un chercheur ou une entreprise, de considérer que toute séquence d´ADN est une construction, donc qu´elle n´est pas naturelle. Ce problème d´interprétation a été souligné pour revoir le libellé précis de cette loi.

Rappelons que la directive 98/44, relative à la propriété intellectuelle des inventions technologiques et adoptée le 6 juillet 1998 par le Conseil européen, exclut les brevets sur les séquences en tant que telles. Mais une séquence, même partielle, peut faire l´objet d´un brevet si les trois critères de brevetabilité ­ nouveauté, activité inventive et application industrielle ­ sont remplis.