L´économie plurielle,
pour inverser la démarche économique actuelle

Cet éclairage est de grande importance pour Transversales : il se construit avec la perception qu'existe une vibrante interrogation à l'échelle mondiale pour mettre à jour des repères et des propositions susceptibles d'inverser l'économisme triomphant de l'ultra-libéralisme anglo-saxon conduisant à la sacralisation de l'argent, de la corruption et du chacun pour soi.

Face à cette situation, si les perspectives de la social-démocratie européenne se révèlent atones, de fortes réactions des ONG ont éclaté : des luttes ont provisoirement réussi contre l'application sournoise de l'Ami (Accord multilatéral pour l'investissement), contre les prétentions díuniformisation du capitalisme informationnel présentées par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) à Seattle, contre la «confiscation du vivant» par les multinationales de l'agro-alimentaire. Dans les domaines les plus divers, des essais de régulation se font jour : taxe Tobin contre la spéculation financière, appel pour une charte sociale européenne, désenclavement de l'inertie politique européenne par le projet Fischer díune Constitution européenne, mise en route des «Etats généraux de l'écologie politique»Ö Pour le sujet qui nous retient ici, création par le gouvernement français d'un «Secrétariat d'Etat à l'Economie solidaire».

Dans le domaine prégnant de l'économie, des expressions éclatent comme «allant de soi». Elles étaient avancées il y a dix bonnes années dans Transversales, sous le sourire ironique des «experts» : «économie avec marché et non de marché» ; «économie plurielle» ; «tiers domaine écologique et social» aux cÙtés des secteurs du marché et de l'Etat ; «monnaies plurielles» (mÍme si le flou des auteurs est patent entre monnaies thésaurisables ou non, affectées ou non, de consommation non convertible, de péremption variée, pour ne pas parler d'autres systèmes d'échange et de distribution directe).

La recherche déjà initiée par Karl Polanyi 1 d'un encastrement fécond de l'économie entre ce que Patrick Viveret nomme les «fondamentaux écologiques et anthropologiques», s'annonce bien comme la tâche essentielle d'aujourd'hui. Une économie plurielle, susceptible de faire fonctionner des logiques à la fois complémentaires et contradictoires, se dessine. Dans les textes de ce numéro ó ceux de René Passet, André Gorz, Alain Lebaube, Jean-Louis Laville, Roger Sue, Patrick Viveret et Jacques Robin ó des propositions, des perspectives variées (et contradictoires parfois) poussent líinvestigation sur líéconomie plurielle. Ces propos se joignent à des efforts d'une mÍme nature que l'on rencontre dans Le Monde Diplomatique, Politis, Esprit et aussi dans des revues comme Mouvements (n° 9 et 10), voire La Revue Socialiste (n°3), enfin dans des ouvrages récents comme ceux de René Passet, José Bové et FranÁois Dufour, Philippe Labarde et Bernard Maris, FranÁoise Gollain 2Ö Ce débat ne peut que s'enfler avec l'aggravation prévisible du chaos mondial. Transversales participera pour sa part à cette réflexion sous toutes formes possibles. Si ce numéro privilégie líapproche conceptuelle, les prochains traiteront davantage des expériences concrètes.

1. K. Polanyi, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, (trad. franÁaise), Gallimard, 1983.
2. René Passet, Líillusion néo-libérale (Fayard, 2000) ; José Bové et FranÁois Dufour, Le monde níest pas une marchandise ! (La Découverte, 2000) ; Philippe Labarde et Bernard Maris, La bourse ou la vie (Albin Michel, 2000) ; Jean-Louis Laville, Une troisième voie pour le travail (Desclée de Brouwer, 1999), FranÁoise Gollain, Une critique du travail, entre écologie et socialisme (La Découverte, 2000).