Extraits du manifeste
Pour une science responsable et solidaire

Jamais l'humanité n'a accumulé autant de connaissances scientifiques et techniques. Pourtant, l'illusion que science et technique assureraient de façon automatique le progrès de l'humanité s'est évanouie. Certes, science et technique ont apporté à l'humanité de multiples bienfaits mais " le partage inégal de tous ces bienfaits a contribué à creuser le fossé entre les pays industrialisés et les pays en développement. L'exploitation des acquis scientifiques a débouché sur une dégradation de l'environnement et provoqué des catastrophes écologiques en même temps qu'elle a été source de déséquilibre social ou d'exclusion ".

La liberté totale de chercher est communément présentée comme la conséquence directe des droits de l'homme. Mais, progressivement, la science, qui n'était qu'un moyen au service de l'humanité, est devenue une fin en soi. Or " on ne peut plaider en faveur du progrès de la science en invoquant uniquement la quête de savoir " d'autant plus que la liberté de la recherche n'existe pas. La recherche est conditionnée par les structures qui la produisent et les financements qui la permettent. Elle est profondément dépendante des logiques professionnelles et économiques dans lesquels elle est insérée. Elle est certes poussée en avant par le plaisir de chercher et de découvrir mais elle résout avant tout les problèmes de ceux qui la financent. Elle est largement déterminée par les rapports de force entre les disciplines scientifiques, entre les pays et entre les secteurs de la société.[…]

L'humanité est par sa puissance et sa science en train de transformer son environnement de façon irréversible. Si par imprévoyance, avidité, égoïsme, inconscience, par orgueil, ignorance ou indifférence nous oublions nos responsabilités et nos devoirs de solidarité à l'égard des autres et à l'égard de la terre, nous finirons par nous auto-détruire. Des mutations urgentes sont à entreprendre. En particulier, en matière d'environnement, seul un changement de cap rapide et profond des tendances actuelles pourra empêcher qu'un dommage irréversible ne soit causé à l'habitabilité de la planète terre.

Après la seconde guerre mondiale, un véritable pacte social s'est établi entre la science et la société. Il a justifié le soutien public massif au développement scientifique. Aux termes de ce pacte, la recherche libre assurait les conditions de l'innovation technique, celle-ci, à son tour, stimulait la croissance assurant ainsi la cohésion sociale et la paix. Ce pacte a montré son intérêt mais aussi ses limites. Il faut refonder les relations entre science et société.

L'ampleur et la rapidité des changements qu'a connus l'humanité depuis un siècle, la croissance rapide de la population, les atteintes à la diversité des cultures et des êtres vivants, l'épuisement progressif de ses ressources et leur mauvaise répartition entre les êtres humains, les risques que font courir les applications des biotechnologies, les inégalités entre les sociétés et au sein des sociétés rendent nécessaire et urgent un nouveau pacte entre les êtres humains, par lequel ils se reconnaissent partenaires pour la survie et le développement de l'humanité et pour la sauvegarde de la planète.

" Pour instaurer un débat sur la science et l'éthique sous tous les angles, qui débouche sur un code des valeurs universelles, il est nécessaire de reconnaître les nombreux cadres éthiques dans les civilisations du monde " et inscrire la réflexion sur la science dans un contexte plus large, celui des droits et responsabilités de l'humanité.

Cinq principes généraux gouvernent ces droits et responsabilités :

  • Pour sauvegarder l'humanité dans sa richesse et la planète dans son intégrité, il faut à tous niveaux concilier l'unité et la diversité ;
  • La reconnaissance de l'autre est le fondement de toute relation et de toute paix ;
  • L'acceptation des contraintes liées à la préservation du bien commun est nécessaire à l'exercice de la liberté ;
  • Le développement matériel est au service du développement humain ;
  • Le changement n'est pas un but en soi mais un moyen au service du développement humain et de la sauvegarde de la planète. Appliqués à la science, ces principes définissent les fondements d'une science citoyenne, responsable et solidaire.

    1. La science doit refléter et respecter l'unité du monde et la diversité de l'humanité et de la planète : (1) Le premier objectif de la science est de permettre de comprendre l'unité et la diversité du monde vivant, d'en préserver l'intégrité et de situer l'homme au sein de la communauté et de la biosphère ; (2) L'humanité est riche de la diversité de ses sources de connaissance, de situations et d'expériences. La science doit se reconnaître comme une de ces sources majeures sans en revendiquer l'exclusivité. Elle doit être attentive à, et respectueuse de, la diversité de représentations du monde.

    2. L'activité scientifique doit s'inscrire dans un contrat social au service de la société : (1) L'effort de recherche doit être réorienté en fonction des priorités actuelles de l'humanité ; (2) Le milieu scientifique doit être lucide et engagé ; (3) La recherche doit se développer dans le cadre d'un contrat social élaboré de façon démocratique.

    3. Un équilibre doit s'instaurer entre les droits et les responsabilités de la communauté scientifique. (1) La liberté de la recherche scientifique s'arrête quand elle menace la dignité des personnes ou la nécessité de sauvegarder l'humanité et le monde vivant. (2) Toute personne et toute institution conduisant des recherches contracte à l'égard de l'humanité une responsabilité imprescriptible à l'égard de l'usage qui en sera fait. (3) Les connaissances acquises par l'humanité, en particulier celles qui sont nécessaires à la préservation de son intégrité et à la satisfaction de ses besoins essentiels font partie du bien commun. À ce titre, elles ne sauraient être privatisées.

    4. La science doit être guidée par la sagesse plutôt que par l'appétit du pouvoir. Le principal enjeu du prochain siècle est la marge qui sépare le pouvoir que le genre humain a à sa disposition et la sagesse dont il est capable de faire preuve dans l'utilisation de ce pouvoir.

    5. La précaution doit être la mesure des incertitudes et de l'imprévisibilité des effets de la science. (1) La science doit rester modeste. Elle a pour vocation d'éclairer notre compréhension du monde, elle ne saurait répondre aux questions du sens.[...]

    Texte complet disponible à la FPH, 38, rue Saint-Sabin, 75011 Paris - 01 43 14 75 75.