Transversales Science Culture n°56, mars-avril 1999

Désir d'Europe

Valérie PEUGEOT

Les faiseurs d'Europe - responsables politiques, fonctionnaires, associations à vocation européenne... - s'essoufflent dans leurs tentatives multiples pour forger une identité européenne. Les rapports officiels et les colloques ont beau se multiplier, convergeant sur la nécessité de ne pas construire l'Europe sans les citoyens et sur l'impératif de mettre en place une véritable citoyenneté européenne, le constat reste le même depuis Maastricht : l'Europe ne fait pas recette auprès du commun des mortels et demeure, sinon un abcès de fixation - pour les agriculteurs, les victimes de Vilvorde -, pour le moins une source d'indifférence. La multiplication - tardive - des articles dans la presse autour de la mise en place de l'euro ne suffit pas à susciter l'intérêt, encore moins l'adhésion. Le récent sondage (1) réalisé à l'occasion de la journée de la femme auprès de jeunes collégiennes en témoigne une fois de plus : le monde (65 %) et la France (21 %) - voici leurs deux affinités électives - l'Europe ne venant qu'en troisième position (14 %). Même dans certains pays candidats à l'adhésion jusqu'alors plus unionistes que les ressortissants de l'Union eux-mêmes, l'Europe ne semble plus faire l'unanimité (2). Alors, citoyenneté introuvable ? Identité artificielle ? Limite intrinsèque de la construction européenne en tant que processus démocratique ?

Une partie de cette impuissance s'explique par notre incapacité d'inventer une citoyenneté qui ne soit pas une simple transposition de ce que nous avons connu historiquement dans l'espace national et/ou étatique. Dans la construction historique des démocraties représentatives, trois éléments déterminants ont, entre autres, généré le sentiment d'adhésion à un projet global : la religion, l'ennemi extérieur, une certaine forme d'unicité culturelle. Or ces trois générateurs de citoyenneté font aujourd'hui défaut à l'Europe. L'ensemble des pays membres de l'Union sont des pays laïcs, laïcité non discutée, digérée en quelque sorte, comme élément consubstantiel de la démocratie européenne. Historiquement, ainsi que le démontre Marcel Gauchet (3), la démocratie s'est construite en cherchant dans un premier temps à hiérarchiser pouvoir temporel et pouvoir spirituel au profit du premier, puis dans un second temps par la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Cette lutte longue de deux siècles, qui s'est parachevée dans les années 70, a constitué un formidable levier d'affirmation pour la démocratie. Fait défaut à l'Europe, un outil de même puissance que la sortie du religieux, sur lequel s'appuyer pour construire son système démocratique. En revanche, cette laïcité partagée d'Ouest en Est est à mettre à l'acquis du patrimoine culturel européen. Elle peut constituer un point d'appui formidable pour dessiner les contours d'une civilisation européenne en devenir.

Vingt ans plus tard, c'est-à-dire quelques fractions de l'histoire de l'humanité, tombe le mur de Berlin et, avec lui, un horizon de sens. "A la suite de l'effondrement du Mur, mots et frontières se sont brouillés simultanément. D'où la désorientation qui affecte la relation au temps et à l'espace, c'est-à-dire au politique entendu comme un vivre ensemble conflictuel", nous dit Olivier Mongin (4).

L'entrée de l'Europe dans l'ère politique


Plus que la disparition du bloc soviétique et de l'idéologie qui le sous-tendait, c'est la diffusion d'une nouvelle croyance qui va nous handicaper : l'idée se répand, ou plutôt fait l'objet d'une diffusion volontariste, que d'une part nous sommes entrés dans l'ère capitaliste totale - fin de l'histoire oseront dire certains - et que d'autre part capitalisme et démocratie sont synonymes. Simultanément l'Europe, réunie à Maastricht en 1992, ayant décidé d'achever son intégration économique et monétaire, pouvait pour la première fois se poser sérieusement la question de son intégration politique. Cette fenêtre s'est ouverte - pour se refermer très vite - au moment même où disparaissait l'adversaire idéologique et où se répandait un discours prônant la fin du politique, condamnant par avance toute initiative qui aurait à l'époque préconisé l'entrée de l'Union dans l'ère du politique. A cette conjonction historique s'ajoutent ironiquement les bénéfices des succès de la construction européenne. Celle-ci ayant réussi jusqu'ici dans sa mission première - protéger les peuples membres de l'Union du spectre des guerres fratricides -, l'aspiration à la paix ne suffit plus à motiver l'adhésion dans l'esprit des générations qui ne possèdent qu'une mémoire rapportée de la Seconde Guerre mondiale.

Enfin troisième facteur, les éléments culturels facilitateurs de la citoyenneté au sein de la nation - langue, histoire, système politique... - existent peu ou pas par définition à l'échelle de l'Union, a fortiori à l'échelle de l'Europe élargie à vingt-cinq. En réalité, ainsi que le montre Dominique Rousseau (5), les éléments déjà en partage sont suffisamment fondamentaux et nombreux pour constituer le substrat d'un pacte politique et social, ce qu'il appelle joliment le patrimoine constitutionnel européen. Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur le degré de culture en partage, l'Europe a et aura toujours à se construire dans une tension entre unité et diversité, beaucoup plus que n'importe quel Etat, aussi fédéraliste soit-il. Cet aller et retour entre unité et diversité est un défi de plus dans la construction de l'identité européenne. En cela l'Europe ne fait que préfigurer à petite échelle la situation face à laquelle l'humanité se trouvera confrontée chaque fois qu'elle voudra prendre en charge collectivement un problème qui la concerne dans son ensemble (6).

Refuser le placage politique

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Intensification de la diversité culturelle, disparition de moteurs politiques et démocratiques, c'est la fonction même du politique qui semble devoir être redessinée dans la construction de l'Union. Décontenancés, les responsables politiques ont, pour nombre d'entre eux, tendance à se tourner vers les "vieux pots", espérant qu'ils feront toujours de bonnes recettes. Le "placage" politique reste premier au hit parade des élus européens : tout comme les pères fondateurs ont tracé dans le secret de leur cercle très fermé un dessein pour l'Europe qui a ensuite été accepté par les peuples européens, les étapes successives du développement de l'Union finiront bien par être absorbées en quelque sorte par les populations au départ indifférentes ou récalcitrantes. C'est oublier un peu vite que le rapport électeur/élu a profondément changé en 50 ans, que le citoyen contemporain n'attend plus du décideur politique qu'il dégage seul la volonté générale, mais qu'il entend participer à son émergence. Ceci est d'autant plus vrai que les arcanes du circuit législatif européen sont opaques. Il y a fort à parier qu'un processus délibératif transparent contribuerait à recréer une confiance entre citoyen et élu et permettrait plus facilement à ce dernier de renouer avec une fonction représentative plus classique.

L'expérience de l'euro est assez symptomatique. Les politiques n'ont eu de cesse d'affirmer la valeur symbolique forte de la monnaie comme élément de solidification d'une communauté politique. Et aujourd'hui de se déclarer déçus, car les citoyens - en l'espèce les consommateurs de produits bancaires et financiers ! - ne se sont pas précipités pour convertir une partie de leurs avoirs en euro. Certes, la monnaie peut constituer un élément d'identité, mais à condition qu'elle soit le prolongement d'un système économique et politique de confiance.

Un besoin de régulation internationale


Or l'euro est porté sur les fonts baptismaux au moment même où l'ensemble du système financier international bascule, où les plus acharnés défenseurs du libéralisme financier commencent à perdre de leur arrogance dogmatique et à consentir un besoin de régulation internationale. Les citoyens sont censés s'enthousiasmer pour l'avènement d'une monnaie nouvelle alors qu'ils voient se dérouler sous leurs yeux les effets en cascade d'une dérégulation incontrôlée. En réalité, le succès d'ATTAC (7), "Action pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens", montre que les citoyens cherchent plutôt à instaurer de la démocratie dans une zone de non-droit mondiale. Dans l'espace mondial comme dans l'espace européen, le mandat délégatif est chaque jour un peu moins un chèque en blanc, chaque jour un rapport plus étroit entre élu et électeur.

Mais ceci mène à un autre questionnement : dans quel(s) espace(s) le citoyen devrait-il pouvoir s'investir et ce faisant, s'identifier ? Pour certains, l'identité demeure l'apanage de l'Etat-nation, l'Union européenne doit rester l'agrégation conflictuelle ou consensuelle selon les cas, des volontés nationales et ne pas chercher à susciter chez ses habitants un sentiment d'appartenance. Cette approche repose, nous semble-t-il, sur une profonde confusion, particulièrement répandue en France du fait de l'histoire de son modèle politique, entre nation et Etat. Si l'on entend par Etat l'instrument de puissance publique au service de la régulation démocratique, alors le souci qui doit guider son développement doit être d'optimiser son efficacité en trouvant pour chaque décision à prendre concernant l'avenir de la communauté le niveau de décision adéquat.

Entre Etat et nation


Celui-ci peut être tout aussi bien national qu'infra ou supranational. A cet égard il est intéressant de noter qu'au Brésil le terme Etat (Estado) désigne toute organisation politico-administrative d'un territoire possédant un gouvernement. Il est utilisé aussi bien pour l'échelle fédérale, pour l'échelle de chacun des Etats membres et pour l'échelle des municipalités. Ramené à l'Union européenne, ceci implique que les transferts de compétence vers l'échelle européenne ne constituent pas un abandon d'Etat, mais au contraire un gain de puissance publique si ce transfert accroît l'efficacité du système. Quant à la nation, elle demeure un espace identitaire fort, indépendamment de ces transferts de compétence, qu'ils soient descendants (décentralisation) ou ascendants (intégration européenne). Cette dernière affirmation est difficile à penser en France où l'Etat est traditionnellement centralisateur et coïncide de ce fait avec l'espace territorial national. Mais, dans de nombreux autres pays membres de l'Union (Espagne (8), Grande-Bretagne, Allemagne, pour ne pas citer les moindres), nation(s) et état(s) ne coïncident pas, bien au contraire. Tous ces peuples ont déjà fait l'expérience, avec plus ou moins de bonheur et d'ajustements, de la coexistence d'un Etat central avec une diversité d'identités nationales. Aussi ne vivent-ils pas comme une atteinte à leur identité les transferts de compétence vers l'Union. Au-delà des traditions politiques, une évolution plus profonde traverse l'ensemble des pays membres : celle de l'émergence de poly-appartenances, de poly-identités (9). Aujourd'hui, l'identité ne se ramène pas à une appartenance première, pas plus nationale que religieuse, mais est le compromis intériorisé que chaque individu construit à partir de ses différents référents personnels — ville d'origine, tradition religieuse ou laïque, identité sexuelle, identité socioprofessionnelle, nation, etc. Dans ce contexte, l'affirmation d'une identité européenne, loin de nuire à l'identité nationale, peut la compléter, voire la renforcer. L'identité nationale, dégagée d'un face à face par trop prégnant avec la puissance étatique, peut fleurir, non pas dans un sens régressif, mais comme point d'appui à la construction d'un sens personnel et collectif.

Les trois figures de la citoyenneté


Dans ces conditions, œævrer pour une citoyenneté européenne pleine et active ne consiste ni à "déshabiller Jean pour habiller Paul" - la nation pour l'Union -, ni à vouloir rajouter un "supplément d'âme" sur une construction politique volontariste et bureaucratique. L'ambition est tout autre : la citoyenneté européenne ne doit pas intervenir en aval de la construction européenne, mais doit l'irriguer, la nourrir, permettre d'en dégager le sens commun. Pour ce faire, l'Europe doit d'abord devenir un objet de désir collectif, une communauté dont il fera bon se revendiquer, aux côtés d'autres appartenances.

Bien sûr, on ne répétera jamais assez que, pour que l'Europe soit désirable, il faut répondre aux aspirations des citoyens, c'est-à-dire lancer une politique de l'emploi allant bien au-delà du compromis du sommet de Luxembourg, construire un véritable socle de droits civiques et sociaux, réformer les institutions, coiffer celles-ci d'une charte ou d'une constitution, s'attaquer au crime organisé (10), etc. Nous ne développerons pas ici une série de propositions déjà avancées dans ces colonnes (11) ou ailleurs (12) et qui trouvent aujourd'hui écho auprès de la plupart des mouvements civiques européens, mais nous essayerons plutôt de mettre en valeur certains leviers peut-être moins connus ou moins consensuels.

Nous en citerons trois, correspondant à trois figures de la citoyenneté : la citoyenneté d'acquisition, la citoyenneté de responsabilité et la citoyenneté d'initiative.

Aujourd'hui la citoyenneté européenne ou disons plutôt, les bribes de citoyenneté telles qu'instaurées à Maastricht et Amsterdam, ne se demandent ni ne se conquièrent ; elles sont un effet induit de la nationalité de l'un des Etats membres, réservées à une partie seulement de la population résidant sur le sol européen. Ce lien entre nationalité de l'un des Etats membres et citoyenneté européenne doit être bien entendu maintenu, mais il doit simultanément être complété par la possibilité d'acquérir cette citoyenneté pour ceux des résidents sur le sol européen qui ne disposent pas de ce guichet automatique. Tout ressortissant extra-communautaire, résidant régulièrement depuis un certain nombre d'années (3 à 5) sur le sol de l'Union, doit pouvoir se porter acquéreur de la citoyenneté européenne, sans transiter par l'une des nationalités composant l'Union. Il s'agirait d'une citoyenneté et non d'une nationalité (encore une fois l'Europe n'annule pas le fait national), ce qui impliquerait sa perte automatique en cas de départ définitif du sol de l'Union. Une telle démarche, outre le fait qu'elle sortirait les résidents d'origine extra-communautaire du statut de citoyen de seconde zone, aurait un effet miroir positif pour les ressortissants de l'Union : oui, la citoyenneté européenne existe intrinsèquement ; oui, elle confère des droits et des devoirs ; oui, il existe des individus qui cherchent à l'acquérir ; oui, certains sont prêts à effectuer des démarches, se plier à certaines règles - conditions de résidence, etc. - pour en bénéficier. Si l'herbe du voisin est toujours plus verte, l'appétit du voisin pour notre herbe ravive les couleurs de cette dernière. Voilà une autre manière de se relier à l'Autre, en l'espèce l'immigré, à la fois accueillante et affirmative de l'identité européenne.

Les leviers du désir


Au-delà de l'acquisition, chacun sait théoriquement que la citoyenneté confère droits et devoirs, mais de fait nos démocraties, depuis le développement de l'Etat providence, se sont approfondies autour d'un ensemble toujours plus complet de droits, négligeant leurs corollaires. Si, à l'échelle des Etats membres, la problématique des droits est celle de leur adaptation à de nouveaux enjeux (bioéthiques par exemple) tout autant que leur défense, à l'échelle de l'Union, nous en sommes encore à la construction et à l'affirmation d'un socle de droits communs. Mais la grande oubliée de ces différents combats est la responsabilité - autrement appelée "devoirs" - des citoyens à l'égard de leur communauté. Historiquement, l'un des premiers devoirs est celui de s'acquitter de l'impôt. Sans entrer dans le débat sur la place de l'impôt dans nos sociétés post-Etat providence, il faut y voir ici l'occasion pour le citoyen de se ressaisir d'une part de responsabilité, de contrôler ce qui est fait de l'argent public. Or si dans l'espace national, la définition du budget fait l'objet d'un débat parlementaire intense, fortement relayé par la presse, l'opacité règne à l'échelle européenne, malgré la forte implication du Parlement européen. Tout au plus le citoyen français découvre avec sa déclaration des revenus 1998 que 4,9 % du budget national sont affectés au financement du budget de l'Union européenne, sans qu'il puisse déterminer à quoi l'Union affectera cet argent. Quant à l'élaboration du budget européen, dont chacun s'accorde à dire qu'il sera le grand dossier européen de l'année à venir, elle est totalement incompréhensible. En publiant le tableau des contributeurs nets, la Commission européenne fournit l'image d'une bataille de chiffonniers nationalistes. L'intérêt communautaire, les choix stratégiques semblent gommés du débat par la défense des intérêts purement nationaux. Ce qui constitue pour partie la réalité. Mais pourquoi les gouvernements dépasseraient-ils les logiques nationales alors que leurs électeurs ne se vivent pas comme citoyens européens ?

Quelques mesures simples permettrait de renouer ce lien de responsabilité via l'impôt : affectation affichée (13) de certains impôts directement à l'Union européenne, comme ressources propres (impôt sur les sociétés, taxe sur l'énergie par exemple) ; affectation d'une partie de l'impôt sur le revenu directement au budget communautaire, prélevé séparément de l'impôt national et assorti d'une information précise sur l'affectation du budget communautaire. Dans ces deux exemples, il ne s'agit pas de créer un impôt européen supplémentaire mais de transférer une part de l'impôt étatique vers l'Union. De façon plus audacieuse, les expériences du budget participatif, menées pour l'instant uniquement à l'échelle de villes, peuvent inspirer la formation du budget européen. Pourquoi ne pas imaginer que les ressortissants de l'Union, organisés en grandes régions - sur les mêmes découpages qui devraient inspirer les élections européennes - débattent de leurs priorités budgétaires pour l'Union et puissent, pour le moins avec valeur indicative, joindre à leur déclaration européenne de revenu leurs choix budgétaires ? L'expérience du budget participatif montre que cette méthode, loin de contribuer à l'incohérence de la politique publique, constitue un formidable outil d'éducation civique, de prise de conscience des enjeux collectifs, d'apprentissage de la négociation et de la responsabilité démocratiques, bref un outil de citoyenneté.

Cette piste du budget participatif nous amène vers un autre champ du processus démocratique et citoyen : celui de l'initiative. La plupart des pensées politiques françaises enferment le citoyen dans la figure de l'électeur, autrement dit du délégataire. Certains vont jusqu'à lui reconnaître un pouvoir de contrôle. Inexistants sont ceux qui lui reconnaissent un pouvoir d'initiative, si ce n'est très indirectement au travers des mouvements sociaux. Mais l'initiative est alors brouillée par la défense d'intérêts sectoriels. Or des traditions politiques voisines - quand saurons-nous faire tomber les frontières de la pensée ? -, notamment en Autriche, Suisse et Allemagne, nous ouvrent d'autres perspectives. Il existe dans ces pays, à un degré plus ou moins développé, la possibilité pour les citoyens soit de forcer le pouvoir législatif à inscrire sur son agenda un thème - on pourrait l'appeler motion populaire -, soit de proposer directement un texte législatif qui sera ensuite soumis au vote parlementaire ou à référendum - il s'agit là d'un véritable droit d'initiative populaire. Dans un cas comme dans l'autre, des procédures complexes et lourdes - notamment en nombre de signatures à recueillir - garantissent son caractère démocratique. De fait, elles ne se substituent en rien à l'initiative des pouvoirs exécutifs et législatifs, mais la complètent (moins de 1 % des textes législatifs sont le fruit de ces méthodes). Ces procédures présentent divers intérêts : c'est tout d'abord une garantie contre la carence d'initiative des pouvoirs publics ; c'est surtout un formidable outil d'enrichissement du débat public ; c'est enfin, là encore, un vecteur de responsabilisation et de citoyenneté active. Appliquées à l'échelle de l'Union, ces procédures, conditionnées par le recueil de signatures simultanément dans différents pays de l'Union, bousculeraient le monopole d'initiative de la Commission sans mettre en cause l'équilibre institutionnel et ouvriraient enfin l'espace public transnational qui nous manque tant. L'Autriche et l'Italie en avaient fait la proposition (14) en octobre 1996 à la Conférence intergouvernementale (CIG) qui préparait le traité d'Amsterdam, sans aucun écho. Aujourd'hui, elle reste plus que jamais d'actualité.

Chaque année, le lycée agrotechnologique d'Annonay, en Ardèche, organise deux journées de découverte/formation sur l'Europe pour ses élèves. Y sont conviés, entre autres, les habitants d'Annonay d'origine non française : espagnole, anglaise, allemande, portugaise... L'occasion pour ces Européens de parler des joies et des difficultés de l'exil ou de la migration, pour les élèves de découvrir leur pays vu par les yeux d'un "étranger", pour tous, enfin, de comparer les traditions culturelles. N'est-ce pas là une manière très simple et très concrète d'éveiller la curiosité de l'élève pour l'Autre, de commencer à faire vivre sous ses yeux cette Europe si riche de ses diversités et si forte de ses complicités ? N'est-ce pas là une contribution au tissage d'une interculturalité vivante, fondation indispensable de toute construction politique ? N'est-ce pas là, enfin, une manière de susciter du désir d'Europe ?


1. Le Monde, 7 et 8 mars 1999.
2. Voir l'interview de Vaclav Havel, Le Monde, 2 mars 1999.
3. Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, parcours de la laïcité, Le débat - Gallimard, 1998. Voir également l'interview de Marcel Gauchet.
4. Olivier Mongin, L'après 1989, les nouveaux langages du politique, Hachette 1998.
5. Le Monde, 18 Janvier 1997. Voir aussi son article dans ce numéro.
6. Voir le projet de "Charte de la terre" élaboré par l'Alliance pour un monde responsable et solidaire en prévision de l'an 2000.
7. Dix mois après sa création, l'association française ATTAC rassemble plus de 8 000 membres, 100 comités locaux et compte des partenaires dans une trentaine de pays à travers le monde.
8 Voir dans ce numéro l'encadré de Jordi Borja.
9. Marcel Gauchet, op. cit. 10. Sur ce dernier point, voir l'excellente tribune d'Elisabeth Guigou, Le Monde, 7 et 8 mars 1999.
11. Voir par exemple Transversales n° 47 "Refondons l'Europe", et Valérie Peugeot, "l'emploi vu d'Europe, de l'indifférence à la coopération", Transversales n° 49.
12. Voir par exemple "Refonder la citoyenneté", Valérie Peugeot, Europ Magazine, Mai 1998.
13 Une partie de la TVA constitue aujourd'hui une ressource directe pour l'Union, mais qui le sait ?
14. CIG - Conf. 3941/96 du 3 octobre 1996.