Pour apprendre à résister au stress et à la coursequi sont les maîtres mots de nos sociétés malades de peur etd’inattention à autrui, de grands textes nous réapprennentque, face à la pensée dominante, il est des «pensées uniques» qui continuent, pardelà les siècles, à nous faire vivre.

(…) Permettre au mécanisme du marché de diriger seul le sort desêtres humains et de leur milieu naturel, et même, en fait, du montantet de l’utilisation du pouvoir d’achat, cela aurait pourrésultat de détruire la société. Car la prétendue marchandise qui a nom «force detravail» ne peut être bousculée, employée à tort et àtravers, ou même laissée inutilisée, sans que soit égalementaffecté l’individu humain qui se trouve être le porteur de cette marchandiseparticulière.

En disposant de la force de travail d’un homme, le systèmedisposerait d’ailleurs de l’entité physique, psychologiqueet morale «homme» qui s’attache à cette force.Dépouillés de la couverture protectrice des institutions culturelles, les êtreshumains périraient, ainsi exposés à la société ; ilsmourraient, victimes d’une désorganisation sociale aiguë,tués par le vice, la perversion, le crime et l’inanition. La natureserait réduite à ses éléments, l’environnement naturelet les paysages souillés, les rivières polluées, la sécurité militaire compromise, le pouvoir de produire de la nourriture et desmatières premières détruit. Et pour finir, l’administrationdu pouvoir d’achat par le marché soumettrait les entreprisescommerciales à des liquidations périodiques, car l’alternance de la pénurie et de lasurabondance de monnaie se révélerait aussi désastreuse pour lecommerce que les inondations et les périodes de sécheresse l’ont été pour la société primitive.

Karl POLANYI
La grande transformation
NRF Gallimard, 1983 ; 1ère parution : 1944