Pour une réforme de la gouvernance mondiale



Ces éléments de proposition pour l’évolution de l’ONU et des régulations mondiales sont notamment inspirés d’une contribution de Stephane Hessel.

L’inadaptation du système des Nations-Unies aux défis du 21e siècle résulte très largement du fait que le monde a changé de façon radicale en 50 ans. La Charte des Nations-Unies, très ambitieuse, a débouché en réalité principalement sur un dialogue inter-étatique. Elle a été écrite avant la décolonisation et avant que les interdépendances mondiales soient telles que la capacité des États-Nations à faire face aux nouveaux défis soit sérieusement remise en cause. Nous avons donc un texte et des règles de la vie internationale :

- dominés par les pays et les valeurs de la modernité occidentale. Ceci se manifeste notamment par la faible place de l'Asie ;

- partant d’une conception de la sécurité qui vise principalement les risques de conflits militaires entre États et passe donc à la fois à côté des conflits intra-étatiques ; des conditions économiques, sociales et politiques susceptibles d'assurer la stabilité ; du développement des mafias ; des impacts globaux sur l’écosystème, etc.

- le système est très peu démocratique, il n’a qu’une vision étatique de la représentation des peuples et les véritables instances de décision sont aux mains de quelques grandes puissances ;

- le mode de financement des Nations-Unies et notamment des opérations de sécurité fait peser des incertitudes financières compromettant gravement l’efficacité de son intervention (les derniers exemples en date se situant au Congo ex-Zaïre et au Congo) ;

- les institutions financières créées à Bretton Woods, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International sont les organismes les plus puissants et les plus efficaces parce qu'ils maîtrisent l’argent, mais ils imposent dans la pratique, partout au monde, une vision économiste et néo-libérale très restrictive ; eux non plus ne sont soumis à aucun contrôle démocratique ;

- il n’y a pas de véritable capacité de propositions au service du bien commun sur la base desquelles les États membres pourraient se prononcer ; or, comme le montre l’exemple de la construction européenne, c’est cette capacité de proposition qui permet de dépasser des intérêts nationaux définis de manière traditionnelle.

Tous ces défauts sont particulièrement visibles dans un contexte d’après-guerre froide où la plupart des conflits sont, selon l’expression de Boutros Boutros Ghali, ancien Secrétaire Général des Nations-Unies, des conflits «orphelins» et où les crises sociales et écologiques seront décisives pour l’évolution de la sécurité elle-même. Face à ces critiques, neuf propositions ont été formulées.

* La démocratisation et la crédibilité de l’organisation des Nations-Unies. Deux propositions fortes, issues de la Commission Von Weizsäcker et du rapport de la Commission sur la Gouvernance globale : la création d’un Conseil de Sécurité économique et sociale ; la réforme du Conseil de Sécurité.

- Création d’un Conseil de Sécurité économique et sociale. Elle est proposée par la Commission Van Weizsäcker. «Le Conseil de Sécurité doit être élargi et débarrassé de la règle de l’unanimité des cinq puissances nucléaires, héritage de la conjoncture géopolitique de 1945. Elle avait été nécessaire à cette date pour assurer la cohésion d’un édifice encore fragile, mais elle n’a plus de raison d’être après les bouleversements des dix dernières années. Mais surtout, l’ensemble des institutions à vocation économique, financière, commerciale et sociale doit être chapeauté par un Conseil de Sécurité économique et sociale, porteur d’un nouvel engagement des États membres de nouer entre eux une Alliance pour un développement durable et humain. Si le Conseil de Sécurité politique peut donner les directives nécessaires et être doté des moyens militaires indispensables pour mener une diplomatie préventive et curative face aux conflits armés potentiels ou réels, seul un Conseil de Sécurité économique et sociale peut engager les actions désormais requises de toute urgence pour contrer la désagrégation qui menace les sociétés laminées par une mondialisation sans régulation. Encore faut-il qu’il se situe à un niveau comparable à celui du G7, qu’il siège en permanence, au même titre que le Conseil de Sécurité actuel, et que ses réunions se tiennent une ou deux fois par an au niveau des chefs d’États et de gouvernements.

Ainsi constitué, il pourra imprimer ses directives à toutes les composantes du système, et notamment à ces instruments —utiles si les objectifs qui leur sont assignés sont conformes aux vrais besoins des «Terriens» — que sont la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, l’Organisation Mondiale du Commerce, l’Organisation Internationale du Travail, l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture, le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance, etc».

- Réforme du Conseil de Sécurité (proposition de la Commission sur la Gouvernance globale), en faisant passer les membres permanents de cinq à dix pour que l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine y soient présentes et le passage des membres non permanents de dix à treize. L’ensemble s’accompagnant d’une suppression du droit de veto.

* La création d’une seconde assemblée des Nations-Unies (Boutros Ghali). Cette idée rejoint la préoccupation très ancienne du mouvement fédéraliste mondial de se rapprocher d’un fonctionnement réellement démocratique. Personne ne songe à court terme à des élections au niveau mondial, mais l’idée d’un poids plus grand des réseaux internationaux non étatiques, éventuellement avec un droit de saisine du Conseil de Sécurité paraît plus réaliste, de même que l’idée d’une Assemblée Mondiale annuelle où seraient représentées les différentes forces économiques et sociales (un peu dans la même optique que la conception des collèges de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire).

* Constituer la Charte de la Terre en un troisième pilier des Nations-Unies, à côté de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de la Charte des Nations-Unies. Cette proposition est traitée dans le dossier «Charte de la Terre» (dont on lira des extraits détaillés ci-après). Ce serait une double opportunité :

- réévaluer le rôle des civilisations asiatiques dans la conception de la gestion de la planète ;
- formuler des critères acceptés au plan international pour la gestion des nouveaux défis de l’humanité, non envisagés dans le cadre des accords de 1945.

* Doter l’Organisation des Nations-Unies d’un pouvoir de proposition indépendant (proposition de Georges Berthoin, un des créateurs de l’Europe et longtemps co-président de la Trilatérale). Cette proposition s’inspire directement de l’expérience européenne où la Commission Européenne a le monopole de proposition et le Conseil des Ministres européens a le monopole de la décision. Nous n’avons pas à l’heure actuelle d'équivalent au plan international.

* Réformer les institutions financières internationales (proposition de l’Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs - AITEC). Cette réforme devrait porter notamment sur :

- la participation des populations concernées au contrôle de l’intervention des institutions ;
- le règlement prioritaire et global de la question de la dette : reconnaissance de la co-responsabilité des pays prêteurs dans la crise de la dette ; illégitimité d’une partie des créances ; saisie des avoirs extérieurs des dirigeants corrompus ; abandon définitif du statut de créancier privilégié du FMI et de la Banque Mondiale ;
- la définition d'un nouveau mode de développement durable qui ne réduise pas la vocation des institutions internationales au maintien des grands équilibres financiers ; mise en place d’un système de financement du développement durable qui garantisse la mobilisation de ressources longues et stables ; l’existence d’instances d’évaluation indépendantes et contradictoires de l’impact des interventions des institutions, évaluation disponible aussi bien pour les institutions que pour la société civile ;
- régionalisation des structures du FMI et de la Banque Mondiale.

* Constituer des ressources humaines au service de la gestion planétaire (proposition dérivée des idées de Sixto Roxas, «allié» et économiste philippin). La proposition s'appuie sur le constat que les institutions de Bretton Woods ont été particulièrement efficaces pour former dans le monde entier des élites selon le même moule économique et néo-libéral. Seul un effort de même ampleur de formation des ressources humaines à d’autres approches est de nature à contre-balancer cette influence.

* Création d’une agence d’assurance des Nations-Unies pour la sécurité (proposition de Kay et Henderson). Cette proposition part du constat de l’inefficacité des modes de financement et interventions actuelles en matière de sécurité, de l’absence d’action préventive efficace et du fait que le risque de ne pas pouvoir se défendre face à un conflit intérieur ou une crise externe justifie pour beaucoup de pays le maintien de dépenses militaires anormalement élevées. L’idée directrice est de créer ces moyens par un fonds d’assurance auquel souscriraient les différents pays. La possibilité d'être assuré et de verser pour cela une prime d’assurance serait conditionnée au respect d’un certain nombre de principes.

* Séparer les pouvoirs et renforcer l’«efficacité de la loi» (Commission sur la Gouvernance Globale) :

- proposition d’un Tribunal international permanent appelé à juger des crimes contre l’humanité ;
- renforcement des prérogatives d’une Cour de Justice internationale.

* Renforcer la dimension régionale du système des Nations-Unies pour évoluer progressivement vers un dialogue pacifique entre des régions du monde et vers le renforcement des capacités de ces différentes régions à assurer leur propre sécurité interne (…).