Les sept piliers de la réforme
de Roger Godino

Préface de Michel Rocard
Albin Michel, 1997, 272 pages, 120 F

Comme le note Michel Rocard dans sa préface, ce livre de Roger Godino a tout pour irriter le plus grand nombre de lecteurs possible. Il donne en effet le sentiment désarmant de prétendre avoir réponse à toutes les questions agitées par nos experts ès politiques économiques et sociales alors même qu’il ignore superbement la question principielle et donc principale, celle de la faisabilité politique des multiples réformes qu’il propose. La tentation est donc grande de ne voir dans l’ouvrage de l’ancien conseiller de Michel Rocard, par ailleurs ancien doyen de l’INSEAD et actuellement secrétaire général du Centre International Pierre Mendès-France, qu’une série d’exercices de style, un peu vains, accomplis par un technocrate rose pâle.

Ne cédons pas à la tentation. Si le propos de R. Godino peut sembler au départ platement réformiste, il prend tellement au sérieux l’objectif qu’il s’assigne de lutter efficacement contre la tendance évidente du capitalisme moderne à multiplier et exacerber les inégalités, qu’il en devient peu à peu d’un radicalisme extrême. Et les réformes proposées par R. Godino présentent une propriété très étrange : elles sont à la fois aisément intelligibles, rapidement applicables pour la plupart et toujours hautement plausibles. À tel point qu’on en viendrait presque à comprendre l’indifférence dont R. Godino semble témoigner envers les débats des partis politiques qu’il semble mettre au défi d’adopter enfin des positions claires et praticables.

Il est évidemment impossible d’entrer ici dans le détail des sept séries de réformes proposées, qui concernent respectivement : la construction européenne, l’emploi, la sécurité sociale, l’organisation de l’entreprise, la lutte contre les inégalités, la maîtrise des grands risques mondiaux et la modernisation de l’État.

Sur chacun de ces points, on trouvera ample matière à débattre, à approuver ou à contester. C’est, tout naturellement, sur les points les plus directement politiques, sur l’édification de l’Europe, sur la gestion des équilibres mondiaux, sur la réforme de notre vie politique, que les propositions de l’auteur nous semblent pour notre part les moins convaincantes, malgré nombre de suggestions éclairantes et séduisantes. Sur les questions de politique économique et sociale en revanche il a le mérite de risquer un ensemble de propositions précises qui mériteraient ample discussion. Comme tous ceux qui se reconnaissent dans le projet d’une économie plurielle, R. Godino observe qu’«il est utopique d’attendre un traitement du chômage par la seule croissance, dans un délai politiquement acceptable» (p.87) et qu’entre 1974 et 1991, pour absorber les effets conjugués de la hausse de la productivité et de la population active, il aurait fallu réduire la durée du travail de 20 % et passer aux trente-deux heures par semaine. On connaît, en ce sens, la proposition dite Godino-Rocard, très fortement incitative et non bureaucratique, qui aurait pu servir de base à une mobilisation civique et dont on voit mal ce qui a dissuadé l’actuel gouvernement de s’en inspirer. La faisabilité politique sans doute. En tout état de cause, on peut juger assez réaliste l’appréciation selon laquelle, sur une période de trois à cinq ans, il n’est pas déraisonnable «d’attendre une réduction de 3 millions de chômeurs qui résulterait : pour 500 000 de la croissance revenue ; 500 000 de la baisse des charges sur le travail ; 1 million de la création d’emplois de services ; 1 million de la réduction du temps de travail (par modulation des charges» (p.133). À condition de mieux préciser, toutefois, que la création de ces emplois de service suppose une forte mobilisation et dynamisation du tiers secteur associatif.

L’autre condition pour sortir de la spirale du désemploi, c’est de lutter contre la tendance du RMI à se transformer en trappe à chômage en le rendant cumulable avec d’autres ressources (ce qui revient à le transformer en impôt négatif). Et comment sera assuré le financement ? demande-t-on toujours à ceux qui proposent une forme ou une autre de revenu minimum inconditionnel. La réponse de R. Godino, en deux temps, mérite attention. Premier temps : la suppression pure et simple de tous les impôts démodés et antiéconomiques (l’IRPP, l’impôt sur les plus-values, sur la fortune, sur les bénéfices commerciaux et industriels) et leur remplacement par un impôt unique sur le capital, matériel et immatériel détenu par l’entreprise ou la personne physique (R. Godino propose un taux de 2,6 %), coexistant avec la TVA (p.171 sq;). Second temps : la création d’un impôt positif de réduction des inégalités de revenu des personnes, qui doit avoir pour fonction principale de financer l’impôt négatif, le RMI. «On aurait ainsi, conclut R. Godino, trois catégories de citoyens : ceux qui sont aidés et qui bénéficient de l’impôt négatif, c’est-à-dire les moins riches, ceux qui contribuent exceptionnellement parce qu’ils sont les plus riches et, entre les deux, la plupart des contribuables qui ne sont ni aidés ni sollicités exceptionnellement» (p.188).

Ajoutons au tableau ainsi esquissé, une série d’observations cavalières mais pertinentes sur notre système de santé. «En 25 ans la consommation de médicaments a doublé en France alors qu’en Allemagne elle a diminué. Et pourtant la santé des Allemands est meilleure que celle des Français» (p.143). Ici, de toute évidence, plus n’équivaut pas à mieux. Les Français gaspillent et ne s’en portent pas bien. Pourquoi dès lors ne pas instaurer une franchise annuelle de 7 000 francs par an, en dessous de laquelle rien ne serait remboursé, tout étant remboursé au-dessus, de manière à inciter chacun à se responsabiliser ? Cette proposition qui peut choquer de prime abord, devient vite convaincante lorsqu’on sait que les Français dépensent en moyenne 1 000 francs par personne et par mois à se soigner, et lorsqu’on ajoute que le montant de la franchise devrait être modulé en fonction des revenus (1 000 francs par an, au niveau du RMI, par exemple).

«Le communisme a sombré dans sa propre caricature car il s’était transformé en totalitarisme. Il pourrait en être un jour de même du capitalisme s’il ne réussit pas à se tempérer lui-même», écrit R. Godino (p.179). Bien tempérer le capitalisme ? Le projet peut sembler manquer d’ambition. Ce que montrent ces Sept piliers de la réforme, c’est que si on le prend au sérieux et jusqu’au bout, c’est alors à des réformes radicales, et pour tout dire quasiment révolutionnaires qu’il faut s’attaquer de toute urgence. Par delà la divergence des systèmes rhétoriques, une large alliance est susceptible de s’opérer sur des propositions qui ne différeraient pas beaucoup de celles de R. Godino et qui pourraient réunir des hommes et des femmes venus des rives du christianisme social comme de celles d’une gauche extrême qui ne se contenterait pas de placer ses espoirs dans une sorte de stalinisme sans Staline ou dans une Révolution aussi absolue qu’indéfinie et introuvable. Qu’est-ce qui nous autorise ce diagnostic abrupt ? Rien d’autre que le fait que les propositions de R. Godino s’inscrivent parfaitement dans le cadre de celles que développent les tenants d’une Économie et d’une Citoyenneté plurielles (AECEP). Elles sont même souvent identiques. Pourquoi alors ne pas en faire état ? Lorsque des dizaines ou des centaines d’analystes, en France et par le monde, commencent à dire à peu près la même chose, n’est-il pas temps que chacun d’entre eux commence à le reconnaître ? Car on ne pourra pas suspendre indéfiniment la question de la faisabilité politique.

Alain CAILLÉ


ATTAC (suite…), à grande allure…


Dès le numéro 50, nous signalions l'initiative prise par Le Monde diplomatique, sous l'impulsion d'Ignacio Ramonet et Bernard Cassen (à laquelle s'étaient joints dès le début Transversales Sciences/Cultures, Politis et Charlie Hebdo) de créer une ONG internationale, "ATTAC" (Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens) pour argumenter une alternative planétaire de régulation financière face à la situation actuelle.

Dans le numéro 51, nous faisions état de la tenue le 3 juin d'une assemblée constituante et de la mise en place des premiers groupes de travail. Depuis, malgré la période des vacances, l'activité de cette initiative s'est amplifiée. Des conseils d'administration successifs (29 juin, 23 juillet) se sont tenus alors que le rythme des adhésions ne cessait pas. Aujourd'hui, 3 500 personnes ou organismes ont demandé des informations, et plus d'une centaine d'adhésions sont recueillies par jour. Un dépliant, disponible depuis la fin juillet au siège de l'association, présente les objectifs d'ATTAC :

"La mondialisation financière aggrave l'insécurité économique et les inégalités sociales. Elle contourne et rabaisse les choix des peuples, les institutions démocratiques et les États souverains en charge de l'intérêt général. Elle leur substitue des logiques strictement spéculatives exprimant les seuls intérêts des entreprises transnationales et des marchés financiers.

Au nom de la modernité, 1 500 milliards de dollars vont et viennent chaque jour sur les marchés des changes à la recherche d'un profit instantané, sans rapport avec l'état de la production et du commerce des biens et des services.

La proposition de l'économiste américain James Tobin, Prix Nobel d'économie, de taxer les transactions spéculatives sur les marchés des devises, même fixée à un taux particulièrement bas de 0,05 %, rapporterait près de 100 milliards de dollars par an. Cette somme pourrait être reversée aux organisations internationales pour des actions de lutte contre les inégalités, pour la promotion de l'éducation et de la santé publique dans les pays pauvres, pour la sécurité alimentaire et le développement durable".

ATTAC est donc bien décidé à relever ces défis en produisant de l'information, en organisant des rencontres nationales et internationales, en interpellant les décideurs nationaux et internationaux. Des comités locaux sont mis en place en France, des contacts internationaux préparent une coordination mondiale, reposant sur l'autonomie de chacun des membres. Une rencontre est en préparation pour janvier 1999 au moment même où se réunit le fameux Forum annuel de Davos. Dès octobre, le conseil scientifique d'ATTAC, présidé par René Passet, présentera un premier document très attendu.

Tous ceux, citoyens ou associations, qui désirent se renseigner, adhérer ou participer aux travaux des groupes de travail peuvent contacter :

ATTAC, 9 bis rue de Valence
75005 Paris
Tél. : 01 43 36 30 54
Site Internet : http://Attac.org