Microsoft est-elle devenue une firme dangereuse, et pour qui ? Pour ses concurrents comme semblent le laisser croire les poursuites anti-trust dont elle fait l'objet, ou pour les utilisateurs des réseaux de communication ? Réponse : pour les deux, mais leurs sorts sont liés. Explications.
Bill Gates vient de trouver une astuce qui consiste à marier intimement les codes de programmation du système d'exploitation de Windows, le logiciel de base utilisé par 90 % des micro-ordinateurs dans le monde, avec ceux d'un logiciel de navigation sur Internet dénommé "Internet Explorer". Ce navigateur se trouve de facto mis gratuitement à la disposition de tous les utilisateurs de PC avec Windows 98. En conséquence, ces derniers n'ont aucune raison de se procurer un autre navigateur. D'autant qu'Explorer n'est pas plus mauvais qu'un autre. Résultat, d'ici un ou deux ans, lorsque la nouvelle version de Windows 98 sera installée sur la plupart des PC, la porte d'entrée naturelle vers le Web pour les utilisateurs de PC du monde entier s'effectuera via un unique produit fourni par Microsoft. Les conséquences potentielles sont doubles : la première est la disparition des autres fournisseurs de navigateurs, la seconde, beaucoup plus grave, est la capacité que se donne Microsoft d'orienter à sa guise la fréquentation des sites sur la toile. Comment ? En signant des accords de partenariat dans tous les domaines avec des fournisseurs de services sur Internet (ce qu'elle a déjà commencé à faire). Exemple : un journal crée un site Web pour diffuser de l'information. Pour en obtenir une fréquentation élevée, il signe un accord avec Microsoft afin d'être répertorié dans les sites "presse" immédiatement visibles dans le navigateur Explorer. Avec des dizaines de millions d'Explorer installés dans le monde, le journal accroîtra très sérieusement ses chances d'être visité, au détriment, bien sûr, des sites non promus par Microsoft. Le journal demeurera-t-il libre pour autant de critiquer Microsoft ou les diverses actions de Bill Gates ? La réponse dans quelques années... Et, si trop d'organes d'information se pressent au portillon pour être référencés par Microsoft, pourquoi cette dernière ne ferait-elle pas monter les enchères ? En peu de temps, seuls les titres financièrement puissants acquerront une visibilité sur le Net. Avec pour arbitre Microsoft. Le plus grave est que cet exemple peut être multiplié dans d'autres domaines. Celui du commerce électronique notamment : on peut le déplorer, toujours est-il qu'Internet est en passe de devenir un formidable réseau de vente pour une myriade d'activités. Là encore, les sites référencés par Microsoft jouiront d'un avantage compétitif écrasant par rapport aux autres. Et pourquoi l'accord avec Microsoft ne porterait-il pas sur un certain pourcentage touché sur chaque vente ? Plus le succès du commerce électronique sera important, plus Microsoft pourra accroître sa "commission" sur les ventes ainsi que son pouvoir de sélection des "partenaires commerciaux". De là à se transformer en banquier, et pourquoi pas à battre monnaie électronique, il n'y a qu'un pas à franchir dont on peut penser qu'il ne déplairait pas à Monsieur Gates. Dans le domaine artistique, on peut imaginer que des musées souhaitent augmenter leur fréquentation par une bonne "exposition" sur le Web. Qui leur fournira la meilleure ? Quid des partis politiques lors de campagnes électorales ?, etc. On voit que tous les domaines couverts par le Web sont concernés. En "offrant" à tous, dans un esprit de pure générosité, le moyen d'entrée sur le réseau des réseaux, Microsoft s'offre en fait un fabuleux levier destiné à lui en donner largement le contrôle. C'est pourquoi l'action menée actuellement par le département de la justice américaine, s'il intéresse directement les concurrents de Microsoft, concerne en fait tous les utilisateurs des technologies de l'information de la planète !Philippe Monnin
* Président de VECAM
(Veille Européenne et Citoyenne sur les Autoroutes de l'information
et le Multimedia - 18 rue Etienne Dolet, 93400 Saint-Ouen)