REFONDONS L'EUROPE

Sous ce titre plusieurs associations, mouvements de citoyenneté et parlementaires européens viennent de lancer une initiative dont nous évoquions les contours dans notre précédent numéro. Nos lecteurs en prendront connaissance dans notre rubrique "Fenêtres sur". L'Europe est en effet menacée de ce que nous nommons dans ce texte "une implosion molle". Le traité d'Amsterdam aurait dû être l'acte majeur permettant d'aborder une nouvelle phase d'élargissement sans risquer de réduire l'Europe à une pure zone de libre échange. Déjà l'Europe des Quinze était bloquée dans son évolution politique et sociale par des règles datant de l'Europe des Six. Mais à chaque difficulté on reportait sur la Conférence intergouvernementale préparant Amsterdam le soin de créer des institutions à la hauteur de l'enjeu. Aujourd'hui force est de constater que la Conférence intergouvernementale, malgré quelques avancées sur les pouvoirs du Parlement européen et dans le domaine de la coopération, est restée très en deçà de l'enjeu. Après avoir sous-estimé le risque, le gouvernement français a pris conscience que l'Europe risquait d'être durablement enlisée et a signé avec la Belgique et l'Italie une déclaration annexée au traité qui souligne que tout nouvel élargissement doit être subordonné à une relance institutionnelle. Cette annexe est utile si elle ne débouche pas sur une stratégie purement défensive et limitée à quelques Etats.

Pour sortir l'Europe de l'enlisement actuel il faut se décider à faire appel à sa ressource majeure si longtemps ignorée ou contournée : ses citoyens. C'est pourquoi il est indispensable de constituer une véritable alliance refondatrice qui replace un désir d'Europe, dans sa dimension civilisationelle et sociale, au cœur d'un processus constituant. Cette alliance appuyée sur des forces sociales et civiques, ceux des parlementaires européens et les acteurs institutionnels conscients de l'enjeu, doit aussi s'ouvrir sur les forces démocratiques et culturelles des pays candidats à l'élargissement. Il est en effet essentiel de tenir le double pari de la grande Europe et de son unité politique. Les mouvements de citoyens ont montré depuis longtemps, notamment à travers l'expérience d'Helsinki Citizen Assembly (dont l'un des fondateurs est Vaclav Havel) que les mouvements issus de l'Europe centrale et de l'Est pouvaient apporter une ambition culturelle et spirituelle qui manque souvent à nos pays tentés par le repli économique. Pour sortir de l'âge de fer planétaire, selon le mot d'Edgar Morin, pour donner à la mondialisation un visage humain là où elle est trop souvent identifiée à la logique de domination, de guerre et d'exclusion, nous avons besoin d'une Europe forte capable d'affirmer un projet et un mode de développement distinct de celui des Etats-Unis. Cette Europe, créons-là !

P.V.