LA PREFERENCE HUMAINE
"J'ai acquis la conviction qu'il faut redonner la parole au
peuple afin quil se prononce clairement sur lampleur et le rythme
des changements à conduire pendant les cinq prochaines années".
En utilisant cet argument, le Président de la République veut
sans doute illustrer une nouvelle version du «mensonge de bonne foi»
inauguré par Bernard Tapie. Il est en effet difficile d'accorder crédit
à une telle assertion quand tout est fait pour que les citoyens sexpriment
le moins possible au cours de cette campagne : ils nen nauront pas
le temps puisque ces élections sont organisées par surprise et
que les nouveaux candidats - et surtout les nouvelles - qui auraient pu
apporter un sang neuf à ce débat sont les premières
victimes de cette précipitation. Quant à lobjet de leur
prise de parole supposée, il est lui-même fortement limité.
Pour les deux sujets essentiels - les réformes et l'Europe - tout est
mis en place pour qu'au contraire le débat annoncé soit vidé
de contenu réel.
Le seul élément vraiment
significatif dans la justification présidentielle de la dissolution
tient à la troisième partie de son discours. Lhymne aux
valeurs humanistes et républicaines entonné par le Président
de la République, indique clairement que la France nest pas encore
mûre pour accepter la logique daggravation des inégalités
qui caractérise le modèle anglo-saxon, dont les Britanniques
viennent justement, par leur vote, de dénoncer les effets sociaux
destructeurs.
Cest donc sur le terrain dun humanisme
radical, de cette politique de lhomme que nous défendons régulièrement
dans Transversales, quil faut refuser que la France et lEurope
renoncent à leur modèle de société pour sengager
dans la voie ouverte par la révolution conservatrice des années
quatre-vingt. En ce sens, il y a bien comme la reconnu pour la première
fois un Lionel Jospin plus audacieux quà lhabitude, un enjeu
de «civilisation» dans cette élection, et plus largement dans
la période qui souvre en Europe dans les deux ans qui viennent.
Car au-delà de lélection française, ce sont deux années
cruciales pour lEurope qui sannoncent : Conférence Inter
Gouvernementale, élargissement de lUnion Économique et Monétaire
et élections européennes de 1999 en constituent les étapes-clefs.
Soit lEurope continue de senliser dans la voie actuelle du double déficit
social et démocratique qui la caractérise. Soit, au contraire,
une nouvelle alliance civique pour lEurope permet de préparer un
sursaut refondateur. Cest pour donner corps à cette politique de
civilisation que nous avons conçu ces pages spéciales organisées
autour du thème de la seule préférence qui vaille : la préférence
humaine !
Patrick Viveret