Pour une renaissance de l'Organisation des Nations Unies

Stéphane Hessel, Diplomate

Cinquante ans après la création de l'Organisation des Nations Unies, il est tentant d'en proclamer l'échec et de réclamer un nouveau départ à zéro. Attention !

La mise en place d'un vaste système d'institutions intergouvernementales recouvrant non seulement l'ensemble de la planète, mais aussi toutes les dimensions politiques, économiques, sociales, culturelles et techniques de la coopération internationale a été le fruit d'un énorme travail qui aurait été inconcevable sans la secousse unique introduite dans la bonne conscience des «possédants» par Auschwitz et Hiroshima. Il serait criminel de laisser s'écrouler ce système au profit des stratégies d'hégémonie ou de repli frileux qui correspondent à la ligne de plus grande pente des sociétés nanties.

Mais il serait également irresponsable de renoncer à adapter le système aux défis qu'il a rencontrés au terme de son premier demi-siècle d'existence. Le rapport du groupe indépendant de travail sur le prochain demi-siècle1 souligne les réformes nécessaires pour réussir cette indispensable adaptation :

- Développer la participation des acteurs de la société civile aux délibérations internationales

Déjà la pression des «Forums» organisés en marge de toutes les dernières conférences mondiales convoquées par les Nations Unies (environnement, population, droits de l'homme, femmes, intégration sociale, urbanisation, alimentation) a joué un rôle moteur. Il est urgent d'en accroître la force et la pertinence en mobilisant les opinions publiques et les médias.

- Retrouver la légitimité gravement entamée des organes centraux de l'Organisation en leur donnant une composition plus démocratique et une autorité mieux étayée.

Le Conseil de Sécurité doit être élargi et débarrassé de la règle de l'unanimité des cinq puissances nucléaires, héritage de la conjoncture géopolitique de 1945. Elle avait été nécessaire à cette date pour assurer la cohésion d'un édifice encore fragile, mais elle n'a plus de raison d'être après les bouleversements des dix dernières années. Mais surtout, l'ensemble des institutions à vocation économique, financière, commerciale et sociale doit être chapeauté par un Conseil de Sécurité économique et sociale, porteur d'un nouvel engagement des États membres de nouer entre eux une Alliance pour un développement durable et humain.

Si le Conseil de Sécurité politique peut donner les directives nécessaires et être doté des moyens militaires indispensables pour mener une diplomatie préventive et curative face aux conflits armés potentiels ou réels, seul un Conseil de Sécurité économique et sociale peut engager les actions désormais requises de toute urgence pour contrer la désagrégation qui menace les sociétés laminées par une mondialisation sans régulation. Encore faut-il qu'il se situe à un niveau comparable à celui du G.7, qu'il siège en permanence, au même titre que le Conseil de Sécurité actuel, et que ses réunions se tiennent une ou deux fois par an au niveau des chefs d'États et de gouvernements.

Ainsi constitué, il pourra imprimer ses directives à toutes les composantes du système, et notamment à ces instruments ‹ utiles si les objectifs qui leur sont assignés sont conformes aux vrais besoins des «Terriens» ‹ que sont la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, l'Organisation Mondiale du Commerce, l'Organisation Internationale du Travail, l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture, le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance, etc.

- Donner la plus grande autorité possible à des institutions régionales, dont l'aire géographique corresponde à des solidarités culturelles et sociales vécues par les femmes et les hommes qui y vivent, et dont le seul exemple convaincant et donc à répandre est, pour le moment, l'Union Européenne.

Car le système mondial ne fonctionnera de manière satisfaisante que s'il met en relation de travail et de partenariat de telles institutions, plutôt que la prolifération hétérogène d'États souverains, méfiants les uns à l'égard des autres.

Il s'agit clairement d'une vraie refonte et donc d'une vraie «renaissance» de l'organisation mondiale, mais qui préserverait le précieux héritage des principes incorporés dans la Charte des Nations Unies. Elle n'est pas seulement nécessaire face aux défis du XXIe siècle, mais elle est possible du fait même que ces défis commencent à être perçus par les dirigeants politiques, mais aussi économiques et financiers qui se satisfaisaient jusqu'ici d'un fonctionnement de l'économie mondiale dont ils étaient les bénéficiaires. Cette ère est révolue. La nouvelle appelle non pas un recul de la régulation mondiale, mais bien sa légitimation et son renforcement.


Notes

1. Le Second demi-siècle de l'ONU, Rapport du groupe de travail composé de Moen Qureishi et Richard von Weizsäcker, co-présidents ; Alicia Barena Ibarra, Muchkund Dubey, Stéphane Hessel, Koji Kakizawa, Wangari Maathai, Xue Mouhong, Anthony Parsons, Felix Rohatyn, Roald Sagdaev, Hanna Suchocka, membres ; Paul Kennedy et Bruce Russett, Secrétariat.

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