Michel Hervé montre ici, à travers l'expérience de Parthenay dont il est maire, comment la citoyenneté active constitue l'une des clefs d'un développement urbain durable et ouvre la voie à une nouvelle approche de la gouvernance.

Citoyenneté active et développement urbain durable

Michel Hervé

La notion de «développement durable» renvoie à une approche systémique visant à promouvoir un mode de développement harmonieux des communautés humaines dans leurs inter-relations avec elles-mêmes et avec leur environnement naturel. Il semble important de ne pas s'en tenir à une dimension strictement environnementaliste. Comme l'écrit Felix Guattari1, il nous faut inventer une «Eco-sophie» qui articule trois écologies : celle du rapport à Soi (écologie mentale), du rapport au «socius» (écologie sociale) et du rapport à la nature (écologie environnementale).

Cette approche systémique est particulièrement adaptée pour une nouvelle appréhension du phénomène urbain dont la récente conférence des Nations-Unies «Habitat II», à Istanbul, a pu mettre en lumière l'importance des enjeux.

La ville apparaît bien comme le lieu déterminant, le territoire stratégique où se joue le développement durable ; le devenir urbain est un véritable enjeu de civilisation. «On ne peut se contenter aujourd'hui de définir la ville en terme de spatialité. Le phénomène urbain a changé de nature. Il n'est plus un problème parmi d'autres, il est le problème numéro un, problème carrefour des enjeux économiques, sociaux, écologiques et culturels. La ville produit le destin de l'humanité, ses promotions comme ses ségrégations, la formation de ses élites, l'avenir de l'innovation sociale, de la création dans tous les domaines»2.

Il est donc particulièrement fécond d'appréhender la ville comme un «éco-système» mettant en jeu une pluralité de dimensions - sociale, environnementale, urbanistique, économique, politique, etc. - et une pluralité d'acteurs, en interactions complexes.

D'où la nécessité d'approches transversales, pluri-disciplinaires et désegmentées.

Les récentes manifestations comme «Habitat II» ont surtout mis en lumière la problématique des «grandes villes», des Mégapoles, dont la croissance continue et la démesure posent des problèmes majeurs à l'humanité.

Il semble cependant important de prendre également en compte les petites et moyennes villes qui peuvent apporter une contribution originale en termes de développement urbain soutenable.

Certes, il y a des «effets de seuil» qui font que certains des problèmes rencontrés à un niveau macro sont, pour partie, incommensurables à ceux rencontrés à un niveau micro.

Pourtant ces «éco-systèmes» complexes que sont les petites villes peuvent être également riches d'enseignements - notamment en termes d'ingénierie sociale et de processus participatif des citoyens ‹, qui pourraient être féconds, y compris pour la rénovation des banlieues ou quartiers de certaines mégapoles...

Les petites villes peuvent jouer un rôle de laboratoire privilégié d'innovations sociales car ce sont des lieux de vie où se posent de manière globale les défis de la vie quotidienne ; communautés de citoyens riches en interactions, ce sont des «microcosmes» où cohabitent des gens, des activités, des fonctions diverses.

Elles pourraient jouer le rôle de creusets de nouvelles symbioses entre le civique, le social, l'écologique et l'économique et, en quelque sorte, être les «enzymes» d'un nouvel art de vivre urbain et de nouveaux contrats sociaux.

Je voudrais ici articuler mon propos autour d'une idée force - fruit de mon expérience concrète de Maire d'une petite ville rurale française de 12 000 habitants - : une forte participation civique et, plus encore, une véritable «citoyenneté active» peuvent être des facteurs essentiels et déterminants du «développement urbain durable».

La citoyenneté active comme «catalyse»

Mon expérience est que la «Citoyenneté active» peut être un formidable terreau pour le «développement urbain durable» ; c'en est même une des conditions essentielles.

Lorsqu'on est acteur... on se vit comme autonome mais aussi en interdépendance, on expérimente sa liberté de création mais on prend aussi conscience des «limites». On se sent donc plus facilement responsable de son environnement et de son cadre de vie, on se conçoit plus aisément comme partie prenante de l'éco-système de la Cité.

Mais qu'appelle-t-on «Citoyenneté active» ? Il n'est pas inutile de préciser ce concept qui commence à connaître une vogue...

Ce n'est pas - surtout pas ! - la démocratie directe telle que l'imaginent certains nouveaux populistes, qui voient les citoyens transformés en consommateurs électroniques sondés, en temps réel, sur tout.

Ce n'est pas seulement et uniquement la «démocratie participative» telle qu'on la voit se développer avec les commissions «extra-municipales» ou les procédures de consultation des citoyens. La mise en débat des enjeux, la participation des citoyens au processus de décision, la multiplication des «Espaces publics» de discussion (au sens Habermassien), etc., tout cela est sans nul doute très important car cela peut contribuer à revivifier nos pratiques démocratiques. Mais trop souvent on limite la notion de «démocratie participative» à la seule consultation, à la seule participation délibérative des acteurs ; et ce n'est pas suffisant.

Par la Citoyenneté active, il s'agit de susciter les conditions pour que les citoyens soient non seulement participants mais véritablement acteurs dans la Cité. Etre acteur, cela renvoie à quelques notions clefs : l'autonomie, la responsabilité, la coopération et la création.

A Parthenay, à la fin des années 70, la citoyenneté active a d'abord été une méthode de développement local.

Dans une région rurale en déshérence et en pleine crise économique, sans identité marquée ni atouts extérieurs déterminants, notre conviction était que la meilleure stratégie de développement local possible était de miser sur la créativité et l'innovation dans tous les domaines de la vie économique, culturelle, sociale et politique3 ! Et l'on constate que la créativité des individus et la passion de «faire des choses» peuvent être des facteurs déterminants pour créer de nouvelles sources de richesses, permettre un développement local, réduire les «fractures sociales»... mais aussi amener à la conscience partagée d'un «vivre ensemble» et au souci d'un cadre de vie urbain qui soit harmonieux et «durable».

Ce travail de longue haleine, mené depuis 16 ans à Parthenay, a d'abord consisté à aider les citoyens à être autonomes et créateurs de projets en les aidant à faire naître une association, une activité, une manifestation.

Notre rôle à la municipalité n'était plus de «faire à la place» des citoyens mais d'être plutôt des «catalyseurs» de l'action : en apportant une aide (par la mise à disposition de locaux, de matériel, ou d'une aide financière) ou en facilitant la mise en inter-relations des acteurs. Cela demande d'être constamment en état d'écoute des initiatives, des désirs, des projets ; cela demande de savoir créer les espaces «vides» pour la création et de renoncer à une forme d'action politique qui impose par le haut et décide de tout.

L'expérience de Parthenay : la citoyenneté active comme méthode de développement

Et ce travail a porté ses fruits... d'où l'intérêt et la perplexité chez bon nombre d'observateurs extérieurs4 devant le dynamisme de cette petite ville rurale de 12 000 habitants ! Un des signes de ce dynamisme se repère notamment dans l'importance du tissu associatif - plus de 250 associations, dans les domaines les plus variés, qui organisent des événements. Rien que pour le culturel, ce sont 150 événements qui rythment la vie locale, (dont 3 festivals renommés internationalement auprès des publics avertis) ; et ce n'est pas la ville qui en fixe la programmation, mais ils sont organisés pour l'essentiel par des acteurs associatifs.

Notre travail a également consisté à favoriser la communication interactive et la «reliance sociale» . Il s'agit de susciter des inter-relations et des échanges entre individus, ou groupes d'individus, très différents dans leur sensibilité, leurs états ou leurs pratiques.

Ce travail de «reliance» mené par la collectivité se fait notamment par la mise en place de lieux collectifs de rencontres qui sont autogérés (comme un «wagon» dans un quartier d'HLM où on ne se parlait plus, un espace «numérique» gratuit, etc.) et d'outils d'interactivité (comme le BBS, le réseau électronique local mis en place début 1996). C'est également la mission prioritaire des responsables des services municipaux qui ont un rôle d'«administrateurs-connecteurs».

C'est par exemple l'action menée par le service «inter-générations» qui cherche à susciter des échanges entre les personnes âgées et des jeunes, qui s'occupe également de l'animation d'un «Réseau d'échanges de savoirs» et qui tente, depuis peu de temps, de mettre en place un Système d'Echange Local (SEL)5 qui a pour effet d'intégrer dans l'échange social des acteurs qui se sentent traditionnellement exclus des échanges (marchands) classiques.

Un exemple particulièrement révélateur de cette action de «reliance sociale», c'est ce qui a été fait autour des handicapés physiques, public souvent exclu parce qu'insoutenable à regarder. L'échange privilégié avec eux a ouvert la voie à toutes sortes d'activités - associatives et économiques ‹, centre de recherche, exposition permanente, jeux surdimensionnnés, impensables sans cet effort d'altérité.

Cette politique a eu aussi une incidence «visible» sur l'environnement urbain et le cadre de vie, par la mise en place d'une signalétique spécifique, l'aménagement des trottoirs et des bâtiments publics, etc.

Ce qui est intéressant, c'est que cette politique dont la municipalité a joué le rôle d'initiateur a ensuite été portée par d'autres acteurs (associations, commerçants, etc.) et que cela a eu aussi en retour un impact fort sur l'identité même de la ville en changeant le rapport aux «autres» dans la ville (souci de la différence). Et au-delà des seuls handicapés, c'est toute une réflexion collective sur l'accessibilité d'autres publics (femmes avec des landaus, personnes âgées, etc.) qui a été ensuite ouverte.

Il est passionnant de voir comment un certain nombre d'actions impulsées agissent comme des catalyses qui rétro-agissent dans l'éco-système de la ville...

Nous sommes bien ici en plein dans le domaine du «développement durable». Cette méthode de développement se révèle être porteuse d'une dimension «écosophique», cette triple écologie dont parlait Guattari : une écologie de l'identité subjective, une écologie sociale et une écologie environnementale.

Il y a en effet un lien fort entre le travail sur l'identité, le travail sur le rapport aux autres et celui sur le rapport au cadre de vie et au milieu naturel.

Le creuset de nouvelles subjectivités culturelles

Un extraordinaire travail de production d'identité culturelle est mené par une pléiade d'acteurs associatifs.

C'est par exemple la Maison des Cultures de pays, siège du réseau associatif METIVE qui a pour but de promouvoir les cultures et langues populaires de la région poitevine-saintongeaise. Ce réseau mène une importante action de «collectage» des cultures populaires sous forme orale ‹contes, légendes, musiques, chansons - il contribue ainsi à la préservation d'éco-systèmes culturels fragiles (car dépendants de la chaîne de la mémoire). Mais cette approche de l'identité n'est pas figée ou repliée sur elle-même ; au contraire elle est vivante, ouverte et créative : elle donne lieu à un travail de formation et de transmission auprès des enfants (avec des ateliers associatifs organisés avec les écoles), elle est l'occasion d'échanges, de création et de métissage (avec un Festival des musiques métissées, considéré comme le 1er festival de «world music» en France).

Ce travail sur les cultures populaires est un formidable terreau que s'approprient à leur façon les créateurs, qu'ils soient associatifs ou individuels, amateurs ou professionnels.

Par ce travail de réappropriation collective dont la ville est le creuset, il y a production, par des individus ou des groupes, de nouvelles singularités (ou «subjectivités») culturelles, de nouveaux «arts de vivre».

Certaines initiatives illustrent la formidable fécondité de la méthode de citoyenneté active et de ses effets «éco-sophiques».

Il a ainsi été expérimenté dans la ville la procédure des «Nouveaux commanditaires» initiée par la Fondation de France. Il s'agit d'une nouvelle manière de concevoir la création artistique et son rapport avec la société ; ce ne sont plus des mécènes publics ou privés, mais des groupements de citoyens actifs qui commanditent une oeuvre d'art à un artiste.

C'est ainsi qu'a émergé un vaste et ambitieux projet de création d'un Parc paysager dans une prairie située aux pieds des remparts du château et au bord de la rivière du Thouet. Ce projet a permis de créer un lien social fort entre des acteurs aussi divers qu'une association de pêcheurs, des comédiens amateurs, des passionnés d'histoire locale, les riverains soucieux de prévenir les inondations de leur quartier, ou une association d'amis des jardins... Ce groupe de «commanditaires» s'est constitué et a assumé la responsabilité du choix de l'artiste : un architecte paysager mondialement connu (le belge Jacques Wirtz) a été séduit par la démarche et a accepté de travailler sur le projet. Un dialogue ouvert s'est alors engagé entre l'artiste et le groupe des commanditaires : l'artiste prenant en compte dans la création de son projet même la diversité des intérêts exprimés, les commanditaires modifiant en retour leur vision du projet dans le dialogue avec l'artiste. Les «commanditaires» ont créé une association qui sera pleinement partenaire dans la maîtrise d'ouvrage et est chargée de la recherche des financements (près de 20 millions sur 5 ans) ; au-delà de ce chantier, les citoyens-commanditaires souhaitent que ce chantier soit l'occasion de construire un projet social autour des métiers de l'horticulture, du traitement des eaux et de l'environnement.

Egalement, dans le domaine de l'Enfance/jeunesse, on peut citer le projet «Chico Mendès»6, exemplaire parce qu'il allie éducation et environnement et qu'il est le fruit d'un partenariat entre les enfants des écoles, une association des habitants du quartier, un Groupe ornithologique du Département, le service jardinage de la ville, etc. Ce projet consiste à réhabiliter un terrain vague pour retrouver une nature riche et équilibrée. Cette approche est très intéressante car elle nécessite la participation active des enfants, elle les initie à la complexité des éco-systèmes et leur demande d'adopter une démarche de découverte (observation du terrain, analyse, émission d'hypothèse, expérimentation).

Là aussi il y a des effets induits intéressants : un dialogue inter-générations qui s'instaure - entre par exemple les enfants et des retraités de l'agriculture qui sont des bénévoles savants et passionnés - ; et cela permet aussi d'ouvrir l'école sur la Cité et de faire des enfants des citoyens acteurs de leur cadre de vie.

Un autre exemple intéressant est le travail important effectué depuis plusieurs années sur le patrimoine architectural de la ville. La démarche de valorisation patrimoniale est importante en cela qu'elle amène à un travail sur l'identité et la mémoire culturelle de la ville ‹ que l'on s'approprie et se ré-approprie avec le travail archéologique de dévoilement et de mise à jour des vestiges - ; cela renforce en retour le sentiment d'appartenance active des habitants dans leur cité. A Parthenay, cette mise en valeur du patrimoine s'appuie sur l'action de nombreux bénévoles (associations pour la restauration et l'archéologie) et l'existence au sein de la collectivité d'un service patrimoine très complet placé sous la responsabilité d'une archéologue municipale.

Cela suscite une collaboration étroite entre professionnels et bénévoles, et une politique importante de formation des personnes en difficulté et des jeunes (scolaires, stagiaires, étudiants). Des ateliers d'initiation sont ainsi menés avec les enfants de 6 à 12 ans ; c'est l'occasion de sensibiliser, de manière ludique et active, les enfants : par l'initiation à l'archéologie, ils sont familiarisés aux méthodes concrètes d'approche de l'histoire et à l'importance de la préservation du patrimoine. Cela leur permet d'avoir une meilleure compréhension du cadre de vie, de sa fragilité et de son histoire, et aussi de solliciter l'imaginaire et la créativité. Il s'agit de changer le regard sur le cadre urbain.

Changer le regard... il est frappant de voir comment la beauté dans un lieu peut avoir un extraordinaire effet de contagion et transformer le regard des habitants.

Des associations se mobilisent pour mettre en valeur la richesse médiévale d'un quartier, la collectivité aide à la restauration d'un certain nombre d'édifices. Puis cela génère toute une prise de conscience des habitants qui se sentent impliqués et qui à leur tour rénovent leurs façades et demandent des fleurs pour leurs rues. Et puis, effet d'entraînement, un groupe de commerçants se mobilise pour redynamiser un micro-quartier, ce qui aboutit à la création d'un marché le dimanche et de nouveaux commerces.

Un travail de mise en réseaux

Ce travail de développement mené à l'échelle d'une ville ne se poursuit pas, bien entendu, en vase clos. Et notre rôle d'acteur de la collectivité publique est précisément de favoriser le décloisonnement et l'ouverture de la ville sur des réseaux extérieurs.

Malgré son relatif enclavement géographique, la ville est très ouverte grâce aux multiples ramifications des intenses échanges associatifs... la ville se trouve être ainsi parfois le point de ralliement de certains réseaux singuliers : ce sont les passionnés de jeux pendant le Festival ludique, les spécialistes du mythe de Mélusine à l'occasion d'un congrès d'ethnologie, ou encore, des férus de blues, de jazz ou de musiques métissées...

A cet égard, les jumelages avec des villes d'Europe et du monde se sont révélés être très féconds. Par le biais des jumelages, ce sont sept alliances privilégiées qui ont été nouées avec quatre villes en Europe, une ville canadienne, une au Togo et une autre à Madagascar. Ces échanges ne se limitent pas à de simples voyages mais ont évolué vers des échanges d'expériences et de savoir-faire, souvent portés par les réseaux associatifs : ce sont par exemple des chantiers de formation au patrimoine organisés conjointement avec les espagnols d'Arnedo ; un projet pédagogique de journal plurilingue, utilisant l'Internet, développé entre une école de Parthenay et des écoles de villes jumelles au Canada ou en Allemagne ; ou encore, un réseau de solidarité et des actions d'aide au développement menées avec la ville du Togo. Il y a vraiment des alchimies intéressantes qui se passent avec des apprentissages mutuels, des importations et des exportations de pratiques et de projets, des émulations fécondes...

Mais c'est une fois qu'un travail important a été mené sur l'identité culturelle que l'échange avec les autres peut être pleinement enrichissant.

C'est d'ailleurs avec ses villes jumelles allemande et espagnole que Parthenay a pris l'initiative du projet-pilote «Villes numérisées» ‹ retenu au niveau de l'Union européenne - dont l'objectif est de permettre une appropriation des nouvelles technologies de l'information et de la communication par les citoyens des villes, et leur permettre d'être co-inventeurs de nouveaux services électroniques.

L'agora informationnelle

Les technologies informationnelles sont ambivalentes... comme le disait avec raison notre ami Riccardo Petrella7, il y a bien deux options politiques majeures par rapport à l'usage de ces technologies : elles peuvent, soit renforcer «la ville pensée comme marché», soit aider à construire «la ville pensée comme Agora».

Nous avons donc véritablement besoin de promouvoir un «mode de développement durable» des technologies informationnelles ; seule une approche socio-culturelle de ces technologies peut nous amener à tirer parti de certaines de leurs potentialités positives - émergence de nouveaux modes d'organisation décentralisés, de méthodes de travail fondées sur l'intelligence collective, de nouveaux modes de communication moins massifiés où chacun peut devenir à la fois producteur et consommateur d'informations, etc. - tout en limitant leurs risques ou effets pervers.

Dans un contexte de multiplication exponentielle des sources de l'information et de la complexification grandissante des modes de navigation, un important travail éducatif mais aussi d'«écologie mentale» sera nécessaire pour pouvoir éviter de se noyer dans l'océan informationnel, se donner à soi-même des repères et profiter de la multiplication des échanges interactifs sans s'y perdre. C'est là où la mise en situation d'acteur, autonome et responsable, devient un élément essentiel, de même qu'un important travail de production d'identité et de subjectivités culturelles. Dans un monde où les cadres extérieurs et hiérarchiques de production des repères sont en pleine dissolution, il faudra de plus en plus susciter des moyens «immanents» de production de repères. Cela impliquera un changement assez radical des méthodes éducatives de manière à favoriser l'apprentissage autonome et la structuration interne.

Nous avons donc besoin de lieux d'ancrage territorial où soient organisés des modes d'accompagnement de l'appropriation sociale de ces technologies, sans quoi, seule une élite sera connectée et formée aux nouveaux modes de navigation dans la complexité ; nous avons besoin de lieux créatifs où soient inventés de nouveaux usages de ces technologies.

A cet égard, les petites villes peuvent jouer un rôle d'expérimentation sociale très important pour promouvoir une articulation entre ville et technologies informationnelles qui soit construite sur le modèle de l'Agora.

A Parthenay, l'appel aux nouvelles technologies de l'information n'intervient pas comme une fin en soi mais dans le prolongement de la politique de citoyenneté active, au terme du travail de longue haleine mené pour favoriser les communications «transversales» dans la ville et susciter les initiatives associatives de terrain.

Une nouvelle philosophie de l'action publique

Nous sommes en train de développer l'usage des réseaux électroniques à la fois au niveau local par la construction d'un Intranet de la ville (un «Town-Net») et au niveau global par l'ouverture d'accès gratuits à Internet. Il y a complémentarité entre la Communauté électronique locale et les réseaux globaux ; les échanges dans le «cyber-espace» ne viennent pas suppléer aux relations concrètes de proximité nouées par des citoyens-acteurs, mais viennent au contraire les compléter et les enrichir. Dans un contexte de citoyenneté active, les nouvelles technologies de l'information sont intéressantes, car elles viennent renforcer en intensité (dans l'espace local) et élargir (au niveau global) le champ de la communication interactive.

On le voit à la lumière de ces quelques expériences concrètes menées à Parthenay, il y a une interdépendance très forte entre, d'une part, les différentes dimensions écologiques - subjective, culturelle, sociale, environnementale - qui fondent l'approche du développement durable et puis, d'autre part, la dimension civique participative et active.

D'ailleurs le terme anglais «sustainable» est à cet égard plus explicite de cette articulation entre écologique et civique, puisqu'il renvoie de manière transparente à l'étymologie latine «sustenire», qui signifie «soutenir ou tenir du dessous», et qui évoque bien l'idée de dynamique interne qui permet de durer et de «persévérer dans son être».

Vers de nouvelles gouvernances

L'enjeu du «développement urbain durable» est donc bien aussi un enjeu politique, civique.

Un véritable développement durable implique une nouvelle forme de «gouvernance», une nouvelle philosophie de l'action publique qui consiste à faire du citoyen un acteur du développement de son territoire.

Or cela impose en retour de revoir radicalement la fonction de l'homme politique : ce n'est plus celui qui apporte d'en haut des solutions toutes faites et qui a prétention de tout connaître sur tout. Il n'a pas vocation à «faire à la place de...», mais il peut ouvrir des espaces, enclencher des processus, faciliter des projets.

La fonction politique me paraît surtout devoir être aujourd'hui une fonction d'indétermination, de formation et de catalyse. Elle n'en reste pas moins essentielle.

Il ne faudrait pas croire, en effet, sous prétexte de «citoyenneté active» qu'il y a un «défaussement» ou une dé-responsabilisation de l'acteur public au profit des forces du marché. Non, l'acteur public est présent, et il a un rôle important à jouer. Mais ce rôle est différent, en rupture avec l'approche par le haut, telle qu'elle est pratiquée par nombre de technostructures étatiques nationales - et singulièrement en France.

On perçoit bien, au niveau mondial, un mouvement de ré-organisation de la Gouvernance politique au profit des collectivités locales, et surtout des villes. C'est un mouvement de fond important qui se dessine un peu partout en Europe, au Canada et sur d'autres continents. Il est intéressant de constater, comme fait politique important, la constitution progressive de réseaux et d'alliances de villes : il y a les réseaux plus ou moins formalisés comme «EuroCités» qui rassemblent les grandes villes européennes, ou le réseau européen des villes durables qui s'est constitué autour de la Charte d'Aalborg en 1994 ; d'autres regroupements et associations de villes s'organisent également au niveau mondial.

Ce qui est important c'est qu'à travers ces réseaux de villes, formels ou informels, puissent se développer des logiques coopératives et non pas de compétition, entre villes... On voit bien la tentation de certaines grandes métropoles à entrer dans des logiques de compétition pour attirer à elles les richesses et les ressources extérieures ; il n'est pas besoin de démontrer ici le caractère suicidaire et stérile d'une telle logique agonistique8, antinomique d'une logique durable qui se fonde, elle, sur le développement endogène d'un territoire par ses habitants.

Ces réseaux ont pour mérite de créer des coopérations et de multiplier les échanges d'expériences et de savoirs ; ainsi peuvent s'établir progressivement des connexions entre villes de tailles différentes, entre échelles et niveaux d'organisations, entre local et global.

C'est dans ces réseaux coopératifs de villes que pourraient s'expérimenter des réponses à certaines de nos crises de «gouvernances» contemporaines.

Trop souvent l'on s'enferme dans la logique duale marché/Etat, comme s'il n'y avait pas d'alternative entre d'une part le libéralisme sauvage et d'autre part la logique technocratique de l'Etat-Nation providence ; comme s'il n'y avait pas la possibilité de construire de nouveaux «contrats sociaux», inventer de nouvelles gouvernances qui allient des partenariats publics/privés, qui mobilisent les ressorts de la créativité privée, les puissances d'innovation du «tiers-secteur» et le rôle catalyseur de l'acteur public qui accompagne un mouvement plutôt que de l'écraser.

Les villes sont également par nature des entités politiques qui sont capables d'une articulation entre le local et le global ; elles peuvent donc être de puissants instigateurs d'une gouvernance mondiale qui fait cruellement défaut ; elles commencent d'ailleurs à devenir des acteurs à part entière dans les institutions européennes et internationales.

C'est donc bien au niveau des villes que s'élaborent progressivement, que s'expérimentent avec tâtonnement, ces nouvelles formes de «Gouvernance» politique.


Notes

1. Felix Guattari, Les trois écologies, Editions Galilée, Paris, 1989.

2. Felix Guattari,« La Cité subjective», in Pratiques écosophiques, 1995.

3. Cela a particulièrement été mis en évidence dans les études menées sur Parthenay par deux sociologues : - Pierre Teisserenc, Les politiques de développement local, approche sociologique, Economica, 1994, p. 78-80. - (sous la direction d'E. Eveno, CIEU-CNRS), Les attentes en matière d'applications innovantes liées aux NTIC à Parthenay - étude menée dans le cadre du projet METASA soutenu par la DGXIII/C de la Commission européenne. cf. p. 2 : «la gestion de la crise, mobilisant fortement les acteurs, a permis de jeter les bases de la constitution d'une communauté locale en provoquant une réaction de type identitaire».

4. Voir l'article du Monde, «Parthenay, la mutante», 29 décembre 1995.

5. Sur les SEL, voir notamment l'article de François Plassard, «Le système d'échange local, créateur du «lien» de proximité ? », in Transversales Science/Culture n°36.

6. «Chico Mendès», du nom du célèbre militant écologiste de l'Amazonie qui a été assassiné fin 1988. Le projet à Parthenay s'est inspiré d'opérations «Chico Mendès» du même type qui ont débuté dans la Région Nord-Pas-de-Calais.

7. Voir les actes du colloque «Vivre en ville demain», Cité des Sciences et de l'Industrie, Paris, 19 mars 1994.

8. Sur les impasses suicidaires du modèle agonistique de la compétition, voir : Groupe de Lisbonne, Limites à la compétitivité, La Découverte, Paris, 1995.