Lettre d'information n°7
décembre 2004

Edito
° Jacques Robin

Invité
° P. Kourilsky

Repères
° Ethique et Biologie de synthèse - Synthetic Biology par Jean Claude Ameisen
° Ethique biomédicale et biologie systémique par Henri Atlan
° La "logique absurde" de la biologie synthétique par Jacques Testart
° La vie synthétique : un nouveau mythe post-génomique par Hervé Chneiweiss
° La biologie de synthèse, ou l'intégration de données grâce à la modélisation par Marc Vasseur
° Biologie de synthèse : enjeux et défis pour l’humanité - l'analyse de Joël de Rosnay

Brèves
° L’Europe accepte un maïs OGM dans l’alimentation humaine
° Le réchauffement climatique impacte l’Europe en priorité
° La Russie ratifie le protocole de Kyoto

Voir / Lire
° La Terre sur un fil
° Construire le sens de sa vie. Une anthropologie des valeurs
° L'idiot du village mondial

 

Edito
Un avertissement majeur
par Jacques Robin

Ce numéro dresse le tableau des avancées actuelles de la "biologie de synthèse".
Il souligne un carrefour essentiel pour l'avenir des sociétés humaines.
Joël de Rosnay dans son article ci-après cerne les réalités de cette "biologie de synthèse" comme un couronnement de la "biologie systémique". Une convergence entre des recherches pointues en biologie, et l'emploi de techniques inédites performantes permet en effet depuis une dizaine d'années de jeter un regard nouveau sur la biologie en prenant en compte les interactions et les interdépendances des éléments partiels mis à jour par la "biologie moléculaire et génétique". Cette dernière, après les découvertes majeures dans les années 50 du code génétique, de la structure de l'ADN, du rôle des protéines, a régenté toute la biologie pendant plusieurs décennies. Elle l'a circonscrite finalement dans les limites d'un réductionnisme génomique et s'est attachée aux applications de la biologie moléculaire et génétique dans les biotechnologies, le séquençage du génome, le clonage reproductif et thérapeutique, et les nanotechnologies avec leurs puces indiscrètes.

Sans doute d'autres interrogations s'étaient-elles manifestées :

  • ainsi Jacques Monod dès 1970 attirait l'attention sur la place capitale de l'allostérie des protéines. Depuis lors, la maladie du prion et les travaux du Prix Nobel Prusiner sont venus vérifier l'existence de propriétés pathologiques inédites capables d'être transmises par des altérations de l'allostérie protéinique ;
  • ainsi Henri Atlan dès le début des années 90 réfutait le concept de programme génétique, considérant nos connaissances dans ce dernier domaine comme des "données" qui se combinent à d'autres éléments (immunologiques, environnementaux, .) pour conditionner le vivant  et son évolution;
  • ainsi les immunologistes décortiquait les modalités du "suicide cellulaire" qui donne à ce vivant une forme et une complexité individuelles et le rend même capable de maîtriser certains états pathologiques et peut-être le vieillissement.

La biologie de synthèse envisage un bond en avant d'une toute autre portée : elle se propose de programmer et de fabriquer de novo des systèmes biologiques complexes qui n'existent pas encore dans la Nature -par exemple de nouvelles bactéries, des micro-algues productrices d'hydrogène, voire des armes biologiques impressionnantes. Surtout elle prépare la création d'organismes vivants entiers et de fonctions biologiques nouvelles qui pourraient être "lâchés" dans la Nature et la Biosphère. Comme Marc Vasseur le souligne aussi, l'existence de ces systèmes de modélisations et de simulation amplifiera l'expérimentation de la recherche biologique. Mais une "vie synthétique" engagerait aussi l'évolution des sociétés humaines dans des chemins aux conséquences imprévisibles, submergerait notre réel vivant si fragile de quantifiable technologique, et transformerait nos conduites et nos valeurs.
On conçoit que Jacques Testart et Hervé Chneiweiss demandent que les sciences humaines, la discussion démocratique et le renforcement des réflexions éthiques sur ces sujets soient alertés d'extrême urgence. Jean-Claude Ameisen soulève avec bonheur des interrogation essentielles.
Dans l'économisme de marché qui domine la planète, la biologie de synthèse sera présentée sous d'alléchants espoirs de guérisons médicales, camouflant la réalité d'intérêts de profit immédiat, et les dérives ne manqueront pas de se produire vers l'incertain sans que l'on n'en ait pesé les conséquences.
Au moment où l'ONU se déclare incapable de prendre une décision générale sur le clonage (thérapeutique comme reproductif), l'instauration d'un moratoire mondial pour prendre conscience des perspectives de la biologie de synthèse se révèle une pressante nécessité, à condition que ce temps d'arrêt des travaux en cours soit occupé d'emblée à orienter les principales questions éthiques en jeu.

Jacques Robin

 

 

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> Opinion/Analyse

 

 
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  Invité

3 Question à.
> P. Kourilsky - Directeur de l’Institut Pasteur

En quoi la biologie moléculaire et la génétique analytique sont elles complémentaires de la Biologie Systémique ?

La biologie systémique n'est pas l'interrogation d'une boite noire dont on ne connaît pas les éléments constitutifs. C'est, au contraire, une quête de compréhension des systèmes qui prend en compte les éléments identifiés et décrits par les approches initialement réductionnistes de la biologie et de la génétique moléculaire. Mais la biologie systémique les déborde en cherchant le sens caché dans les interactions multiples entre ces éléments.

Comment envisagez vous à l'Institut Pasteur de rapprocher, voir d'intégrer des disciplines traditionnelles pour faire face à ce nouvel enjeu fondamental et appliqué ?

A l'Institut Pasteur, nous avons organisé un dispositif matriciel d'animation de la recherche qui croise nos 12 départements par une série de programmes transversaux internes ou ouverts vers l'extérieur. Ceci favorise la "multi" et la "trans-disciplinarité, mais ne suffit pas. Certains de nos chercheurs sont versés dans ces nouvelles approches. Nous en avons recruté et en recruterons d'autres. Nous avons établi des liens avec des mathématiciens et devons développer plus avant de telles interactions. C'est un véritable changement de culture qui est amorcé, avec de nouvelles manières de poser les questions scientifiques, et des réponses qui ne seront pas nécessairement univoques- comme dans la physique moderne.

Qu'attendez vous de la Biologie Systémique en tant que chercheur et responsable d'un grand Institut de recherches ?

Enormément ! Dans le monde du vivant, des cellules aux organes, aux organismes et aux sociétés d'organismes, tout est affaire de système. Quelques exemples : dans le système immunitaire, les notions de robustesse et de contrôle de qualité peuvent être abordées avec les concepts utilisés par les ingénieurs, pour les avions par exemple. L'écologie scientifique est évidement une affaire de système complexe.
Ou encore : prédire la toxicité d'un nouveau médicament sera une des applications de la biologie systémique. Et que dire du système nerveux et du fonctionnement du cerveau ?

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  Repères

 

Ethique et Biologie de synthèse - Synthetic Biology
Par Jean Claude Ameisen - Président du comité d’éthique de l’Inserm et professeur d’immunologie à l’Université Paris 7 – Faculté de médecine Xavier Bichat. Auteur de La Sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice (Points Sciences, Seuil 2003).

L'une des grandes découvertes scientifiques des 150 dernières années est l'idée que l'ensemble de l'univers -y compris l'univers vivant qui nous a donné naissance- a émergé et évolué spontanément, en dehors de tout projet. Cette notion a estompé les frontières longtemps considérées comme absolues entre animaux et êtres humains, corps et esprit, cellules et individus qu'elles construisent, matière et vivant. A chaque avancée de la recherche biologique -théorie de l'évolution, génétique, neurosciences- correspondent des interrogations éthiques non seulement sur les applications concrètes possibles de ces découvertes, mais plus fondamentalement sur les conséquences que ces représentations nouvelles peuvent avoir sur nos conduites et nos valeurs. Aujourd'hui, la biologie de synthèse nous confronte au projet de créer de novo des cellules vivantes, des bactéries pour commencer -au rêve de créer et de maîtriser des "machines vivantes". Mais que signifie la notion de "machine vivante" si ce qui différencie le vivant des machines est sa capacité à se reproduire, à évoluer et à faire émerger la nouveauté ? Comment aborder un tel projet avec un état d'esprit d'"ingénieur" sans tenir compte du fait qu'il s'agit de construire des objets dotés de la propriété de surprendre l'"ingénieur" et de lui échapper ? N'y a-t-il pas, au cour-même du projet, une contradiction entre le rêve extraordinaire d'être capable -enfin- de créer véritablement la vie et l'espoir implicite qu'il ne s'agirait pas réellement de vie, parce qu'elle n'évoluerait que dans les directions que nous lui aurions imposées ? Suffit-il de donner au vivant un projet, dont il a été jusque là dépourvu, pour qu'il perde soudain sa capacité à s'inventer ? Suffit-il d'être capable de faire émerger instantanément le vivant pour ne plus avoir à tenir compte de l'épaisseur de temps, des méandres de l'histoire et de la contingence qui nous ont donné naissance ? Devrions-nous d'abord mieux comprendre la vie avant d'essayer de la créer ou décider d'emblée de la créer le plus vite possible dans l'espoir de pouvoir mieux la comprendre ? Comment distinguer entre ce que l'on souhaiterait créer parce qu'on en désire la présence, et ce que l'on ferait naître simplement pour comprendre de quoi il s'agit, et dont on se retrouverait soudain - a posteriori - responsable ? Comment réussir à conserver le respect de la vie dès lors que nous la produirions comme un simple artefact  ? Comment continuer à réinventer le dialogue entre nature et culture, dès lors que la nature elle-même se réduirait à une simple création de la culture ? Deviendrions-nous plus libres de l'emprise de la nature, ou au contraire prisonniers de nos propres réalisations ?

Ce sont ces questions anciennes que la biologie de synthèse revisite en les reposant en des termes radicalement nouveaux. Avant toute interrogation sur les notions de risque et de bénéfice, de maîtrise et de transgression, la première obligation en matière de recherche et d'éthique est, à mon sens, d'approfondir le questionnement sur la signification et les enjeux mêmes du projet. Si l'on peut -et doit- discuter de l'opportunité d'un moratoire, comme celui d'Asilomar, il y a trente ans, lors de l'émergence des premières possibilités de manipulation génétique, l'essentiel est de parvenir à ouvrir un espace et un temps à la réflexion et au débat. Et de continuer à retisser le lien toujours fragile entre la démarche de recherche biologique -l'interrogation sur ce que nous sommes capables de comprendre et de faire- et la démarche de réflexion éthique -l'interrogation sur ce que nous souhaitons devenir, sur la manière dont nous voulons librement inventer notre avenir.


Ethique biomédicale et biologie systémique
Par Henri Atlan
[ vivant  ]
L'éthique biomédicale ne concerne pas seulement les applications des biotechnologies, mais aussi la diffusion du savoir biologique et des représentations qu'il véhicule. Les résultats des séquençages de génomes, qui étaient censés découvrir le Graal, ont montré au contraire les limites du réductionnisme génétique qui avait dominé la biologie depuis plus d'une trentaine d'années. D'autres découvertes comme celle du prion, et la (re)découverte de l'importance de facteurs épigénétiques dans le développement, à l'occasion notamment des réussites de clonage reproductif de mammifères, ont montré que l'image d'une programme génétique qui dirigerait le développement et le fonctionnement des organismes à la façon d'un programme d'ordinateur devait être profondément révisée. Le génome fonctionne plus comme une mémoire passive que comme un programme. Il est contrôlé par l'organisme au moins autant qu'il le contrôle. Chaque gène peut être impliqué dans la synthèse de plusieurs protéines et une même protéine peut avoir des fonctions différentes, suivant son environnement physico-chimique dans la cellule et ses interactions avec d'autres protéines. Cet état des choses est décrit par des expressions diverses qui expriment les enjeux de la recherche biologique nouvelle : post-génomique, génomique fonctionnelle, protéomique, cellulomique, biocomplexité, biologie systémique, etc…
Mais le rejet du déterminisme génétique réductionniste ne veut pas dire le rejet de déterminismes biologiques, non réduits à la génétique, au profit du retour à un holisme vitaliste, sous la forme d'une spontanéité et d'une liberté de la "Vie", venues d'ailleurs. En fait, il s'agit de prendre la mesure de la complexité des réseaux d'interactions moléculaires et cellulaires qui constituent les structures des organismes et leurs fonctions.
Et pour cela, le maître-mot est celui de modélisation, en faisant appel à toutes les techniques mathématiques et informatiques déjà développées dans d'autres disciplines, en physique notamment, et à d'autres techniques de modélisation encore à développer. Mais il faut se garder là aussi d'ignorer les limites de la modélisation et notamment la sous-détermination des théories par les faits, qui est ici sous-détermination des modèles par les observations : de nombreux modèles différents peuvent parfois expliquer et prédire les mêmes observations, sans que celles-ci soient suffisantes pour permettre de décider si l'un des modèles, ou plusieurs, ou aucun d'entre eux, ne décrit la réalité d'un système naturel, quand celui-ci est constitué par un nombre assez grand d'éléments –molécules, cellules– en interactions. La sous-détermination des théories fut d’abord décrite par P. Duhem à propos de théories physiques, puis par W.V.Quine, à propos de théorie de la traduction. Nous l’avons rencontrée plus récemment lors des premiers essais de modélisation de réactions immunitaires complexes par réseaux de neurones formels (1). Mais la sous-détermination des modèles peut être autre chose qu’une insuffisance de la théorie : elle peut exprimer aussi une redondance réelle des structures du système naturel lui-même. Dans ce cas, en effet, la même fonction peut être réalisée par des voies et des connexions différentes.

La vie synthétique : un nouveau mythe post-génomique
Par Hervé Chneiweiss
[ vivant  ]
La conférence d’Asilomar en 1975 a marqué une date historique dans l’histoire de la conscience des scientifiques de leur responsabilité dans le domaine de la précaution. À l’aube de l’explosion de la génomique, les pionniers de la biologie moléculaire se donnaient un moratoire d’un an pour évaluer les conséquences et les mesures de précautions à prendre, suite au premier clonage d’un gène et aux premières utilisations de virus modifiés. Depuis 30 ans, dans tous les laboratoires du monde, on "manipule" plasmides, virus recombinant, bactéries ou levures génétiquement modifiées, mouches drosophiles ou souris mutantes. D’où naît cette soudaine frayeur face à la "vie artificielle" ou aux "usines moléculaires" ?
D’abord du vocabulaire, comme pour le clonage. Pour lever des fonds, les scientifiques américains inventent du neuf avec du vieux : la génomique ne faisant plus recette depuis l’achèvement itératif du séquençage du génome humain, il faut trouver un rêve et un gisement nouveaux pour drainer le capital-risque et promouvoir les biotechnologies. Adieu "génome", surtout au rythme où diminue le nombre de gènes humains, donc de cibles potentielles, corollairement, sources de profits : bienvenue à la "vie synthétique".
La peur naît du fantasme déterministe que ce qui est vivant nous ressemble. L’homme se considérant comme la logique naturelle de l’évolution biologique, le vivant ne pourrait avoir d’autre but final que de se reproduire pour devenir ou attaquer l’homme. La réalité est infiniment plus prosaïque : tout ce qui est vivant est fragile et l’évolution a doté l’homme et tous les organismes avec lesquels il cohabite de solides mécanismes d’adaptation pour parer à presque toutes les éventualités. Plus un génome est réduit, plus on lui retire de gènes "inutiles" et plus on lui interdit de vivre dans des conditions variées.
Il ne faut pas ne s’inquiéter de rien, mais de ce qui est réellement dangereux : il s’agit donc de développer nos mécanismes d’analyse du risque, faire vivre le principe de précaution par plus de recherche. Sur cette question, l’ordinateur au silicium actuel est certainement plus toxique à l’être humain que son éventuel successeur moléculaire, potentiellement toxique, mais aussi source de développement et d’émancipation...

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La "logique absurde" de la biologie synthétique
Par Jacques Testart
[ vivant  ]
La "biologie systémique" prétend faire l'alliance de nombreuses disciplines scientifiques (biologie, physique, chimie, mathématiques, médecine, ingénierie, informatique, .) pour créer de nouvelles façons d'être vivant . Ce faisant, elle se réclame de la transdisciplinarité, comme si un savoir intégral pouvait résulter de l'effet d'accumulation des sciences dures, et que la maîtrise du vivant était une affaire seulement compliquée plutôt que terriblement complexe. Les gourous de la biologie synthétique n'ont pas sollicité la contribution des sciences humaines pour réfléchir au sens d'un projet qui vise à instrumentaliser les êtres vivants en les réduisant à n'être que rouages d'une machine-monde prétendument rationnelle. Ils n'ont pas même imaginé leur incapacité durable à fabriquer la vie, arguant que leur mission est de poursuivre l'ouvre du Créateur, coupable de s'être reposé le septième jour alors qu'il restait tant à faire. On peut s'étonner d'une telle ambition, dont le fondement est surtout dans le bricolage de l'ADN, alors que les projets plus modestes de soigner les gens ou de transformer les plantes à coups de gènes sont encore en échec. Les avatars du "clonage" des mammifères ont révélé l'indigence de la pensée mécanicienne et l'importance de l'univers épigénétique, lequel est à la molécule d'ADN ce qu'un poème est à l'alphabet.

Une chose est certaine : l'homme sera vite incapable de survivre dans le monde fini de la technosphère. Certains admettent alors que "la science trouvera toujours les moyens de réparer ses erreurs" et justifient ainsi la course en avant des artifices. Le pari de ces optimistes invétérés est considérable. et déjà redoutable. Mais, en proposant des aménagements du monde pour le confort de notre espèce, il n'est encore qu'exaltation technophile comparé à ce qu'on doit bien nommer la logique absurde de ceux qui veulent changer l'homme pour l'adapter à la ruine du monde.

La biologie de synthèse, ou l'intégration de données grâce à la modélisation
Par Marc Vasseur
[ vivant  ]
Le monde des sciences biologiques et médicales est de plus en plus submergé par des masses de données, inexploitables en raison même de leur surabondance et de leur grande variété. L'avènement des technologies de l'information et la diminution des coûts technologiques ont ouvert la voie à l'ère de la biologie à grande échelle. Le génome humain a été entièrement séquencé et on peut aujourd'hui l'analyser en quelques jours. De nouveaux outils technologiques, de nouveaux automates apparaissent chaque jour qui permettent de réaliser des analyses moléculaires en parallèle et à grande échelle. Le défi est aujourd'hui de créer une nouvelle science, celle de l'intégration de ces informations au sein de modèles permettant la modélisation et la simulation du vivant -normal et pathologique- de la molécule à l'organisme en passant par les niveaux cellulaires et la physiologie. En terme d'application, ces systèmes d'intégration de données, d'analyse sémantique, de modélisation et de simulation expérimentale in silico sont aujourd'hui indispensables tant pour la recherche fondamentale que pharmaceutique, pour la médecine prédictive, les recherches environnementales et la biométrie. Cette science de la complexité des systèmes vivants est un domaine jeune, en plein essor ; on le retrouve dans le monde sous diverses dénominations comme : "computational biology" "systems biology ", "integrative biology", "biologie des systèmes", "biologie systémique". Les années 2005-2010 seront celles d'un changement fondamental de paradigme avec l'apparition de systèmes de modélisation et de simulation du vivant ouvrant la voie à l'expérimentation assistée par ordinateur pour la recherche biologique, médicale, et pharmaceutique.

Le professeur Marc Vasseur est le Président de Serono France Holding, Co-fondateur de la "Fondation pour la Modélisation et la Simulation du Vivant", Sophia Antipolis.

 

 

Biologie de synthèse : enjeux et défis pour l’humanité
> L'analyse de Joël de Rosnay

Après l’essor du génie génétique, deux domaines émergents suscitent de nouveaux enjeux -craintes pour certains, espoirs pour d’autres- : la biologie systémique et la biologie de synthèse. De nouveaux problèmes éthiques pourraient découler du caractère récent des découvertes et des applications qui leur sont liées.

La première ouvre la voie à la seconde. La biologie systémique émerge de la convergence d’un certain nombre de secteurs : bioinformatique, étude du génome et du protéome humain, appareils d’analyse. Ces techniques permettent une dissection du vivant pour en comprendre les composants et leurs modes d’action. Les techniques classiques d’analyse avaient conduit à un éparpillement de la vision que les biologistes avaient de la cellule et des organismes vivants. L’analyse était précise mais on ne comprenait pas les interactions et les interdépendances. Grâce à l’ordinateur, à la simulation et au "grid computing" (des ordinateurs fonctionnant en réseaux de traitements mutualisés grâce à l’internet), il devient possible de simuler des systèmes complexes, dont l’interaction de molécules avec des macromolécules et jusqu’au "comportement" physiologique schématique d’une cellule ou d’un ensemble de cellules.
C’est ainsi qu’est née progressivement la biologie systémique. Elle va se concentrer sur les interdépendances entre les éléments, en déduire des fonctions émergentes, prédire les propriétés de nouvelles molécules et, éventuellement, de médicaments capables d’agir sur ce comportement global. On a également la possibilité de fabriquer des "e-cells", cellules simulées, virtuelles, sur lesquelles on peut faire des expériences in silico.

L’autre secteur complémentaire, en rapide développement, présente certes des débouchés pour la médecine et la connaissance en biologie, mais ouvre des voies dont la bioéthique devra s’efforcer d’analyser les conséquences. Il s’agit de ce qu’on appelle en anglais "synthetic biology", que l’on pourrait traduire par "biologie de synthèse" ou "biologie synthétique". Les objectifs de la biologie de synthèse sont la conception de novo de systèmes biologiques, tels qu’enzymes, biomatériaux, voies métaboliques, ou systèmes de contrôle génétique. Pour y parvenir il est nécessaire d’écrire des plans de configuration biologique, de copier les systèmes de régulation, de feed-back, de reconnaissance moléculaire et de tester les fonctionnements de chaque élément dans des e-cells et in vitro.

Pour comprendre comment atteindre ces objectifs, il convient de partir des bases de la biologie de synthèse. Il s’agit de rien moins que la reprogrammation complète d’organismes vivants (et pas seulement l’introduction d’un gène, objectif du génie génétique), afin de leur faire exécuter les fonctions souhaitées, même si elles n’existent pas dans la nature. Pour le moment une poignée de chercheurs, au MIT, à Princeton ou à Berkeley, travaille dans ce domaine. Ces pionniers de la biologie de synthèse ont réussi, par exemple, à introduire des fonctions "on", "off" dans des bactéries. Certains laboratoires songent déjà à fabriquer des bactéries ou des micro-algues productrices d’hydrogène, des biodétecteurs de pollution, voire de nouvelles armes biologiques.

Pour réaliser une telle programmation les chercheurs ont mis au point, et utilisent désormais, un langage génétique voisin d’un langage de programmation informatique (avec des fonctions analogues à START, STOP, GO TO, DO LOOP, SUBROUTINE…). Des modules de programmation sont disponibles sur Internet et transférables en instructions biologiques. On les appelle des "DNA Cassettes" ou des "BioBriks". Ces modules s’échangent couramment sur Internet entre chercheurs et laboratoires, sans contrôle ou vente de licences. Leur objectif est la création d’organismes vivants et de fonctions n’existant pas dans la nature, ce qui jette les bases d’une bio-industrie de synthèse dont l’impact sera plus important encore que l’industrie chimique de synthèse de la première moitié du 20ème siècle.

Quelles sont les applications actuelles de la biologie de synthèse ? Parmi les différents projets, on compte la synthèse de molécules complexes n’existant pas dans la nature ; des enzymes synthétiques ; des cellules reconstituées avec des enzymes de synthèse ; des nouveaux matériaux et notamment des biomatériaux "soft" de synthèse pour le "tissue engineering" et l’administration de médicaments, ainsi que des biomatériaux "hard" de synthèse pour les nanotechnologies, la microélectronique, les membranes et les surfaces catalytiques ; la détection de menaces et risques chimiques et biologiques ; des nouvelles voies métaboliques pour la dégradation de substances dangereuses ; la production d’énergie par la conversion efficace de déchets. Il existe déjà des sociétés qui fabriquent des bactéries devenant fluorescentes (vertes ou rouges) si une molécule dangereuse est présente dans l’environnement -jouant le rôle de détecteurs ou d’éco-capteurs capables de signaler dans l’écosystème la présence de tels produits chimiques.

A partir du moment où l’on peut introduire des DNA cassettes dans un programme génétique totalement contrôlé, pour créer de nouvelles fonctions biologiques, les applications sont illimitées. Mais dans le cas du bioterrorisme ou de projets industriels susceptibles de réduire la biodiversité, des bactéries reprogrammées pourrait anéantir d’autres bactéries nécessaires à la diversité de l’écosystème. On ignore comment vont réagir de tels organismes de synthèse. Seront-ils détruits par les organismes existants dans l’écosystème ou bien vont-ils les remplacer ? Pourrait-il y avoir interdépendances et transferts de gènes entre bactéries "naturelles" et bactéries intégrant des DNA cassettes modifiées ? Si on avait à réglementer ou à créer un comité de surveillance, quelle serait sa composition et quelles seraient les questions à lui poser ? Est-ce que des grandes entreprises industrielles sont déjà sensibilisées à ces questions ? Le public est-il suffisamment informé ? Est-ce que la systémique, qui fait un retour remarqué dans cette discipline particulièrement analytique qu’est la biologie moléculaire, n’est-elle pas en train de conduire à une vision nouvelle des interdépendances et de la dynamique des interactions dans les systèmes complexes ?

Quelles que puissent être les applications envisagées par les laboratoires de recherches et les grandes entreprises de la chimie ou de la pharmacie, la plus grande vigilance s’impose afin d’éviter des dérives résultant de la poursuite de seuls objectifs commerciaux ou militaires. Il serait temps d’organiser une nouvelle conférence internationale du type de celle d’Asilomar, qui, en 1975, avait conduit à un moratoire des chercheurs pour réfléchir aux risques du génie génétique avant de s’engager, "apprentis sorciers", dans un secteur prometteur. En ce début du 21ème, les enjeux de la biologie de synthèse pour l’humanité, paraissent encore plus importants.

>> L'article complet sur le site du GRIT - Transversales.

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  Brèves

L’Europe accepte un maïs OGM dans l’alimentation humaine
[ vivant ]
Le maïs, du nom de Roundup Ready NK603, contient un gène qui lui confère une tolérance à l'herbicide Roundup, également fabriqué par Monsanto. L’impact économique sera faible à moyen terme, mais la décision est symbolique. Les semences avaient déjà reçu l'approbation de la commission le 9 septembre dernier.

La Russie ratifie le protocole de Kyoto
[ vivant ]
Après deux ans de négociations, la Russie a accepté de ratifier le protocole de Kyoto le 1er octobre 2004. En échange l'UE a promis d'appuyer la candidature russe à l'Organisation mondiale du commerce.

 

Le réchauffement climatique impacte l’Europe en priorité
[ vivant ]
C’est la conclusion du rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement (19/10). La dernière décennie a été la plus chaude, et tout indique que l’augmentation de température est bien la plus rapide en Europe. Ce réchauffement a été de +0,95°C sur les 100 dernières années alors que les scientifiques prévoient une élévation de la température allant de 2 à 6,3°C sur ce seul siècle.
L’EEA vient également de publier (15/11) son dernier rapport mesurant l’impact des polluants atmosphériques sur le changement climatique.

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La Terre sur un fil
Eric Lambin, Ed. Le pommier, octobre 2004
Encore un livre qui analyse les risques à moyen et long terme de la planète si les tendances actuelles ne sont pas infléchies. L'originalité vient néanmoins de l'analyse d'un géographe, le belge Eric Lambin, qui prône notamment un renversement des valeurs dans nos sociétés sur les quelques décennies à venir :"le défi le plus important pour l'avenir de la planète et de l'humanité est de forger un nouvel ordre de valeurs qui puisse être adopté et respecté de façon commune et qui reflète un sentiment d'appartenance au monde".
Lire les 15 idées du livre.

L'idiot du village mondial
Ouvrage collectif sous la direction de Michel Sauquet - Préface d'Armand Mattelart Editions Charles Leopold Mayer, Paris, 2004

Ce livre, conçu par des auteurs et éditeurs indiens, brésiliens et européens, croise des regards diversifiés sur le thème de la communication et de la démocratie; il propose une réflexion, fondée sur de nombreux exemples des trois continents, Ã propos des logiques de communication populaire et citoyenne et de la pertinence sociale de la révolution de la communication.

>> Le compte-rendu de lecture intégral sur le site internet du GRIT - Transversales.

 

Construire le sens de sa vie. Une anthropologie des valeurs
Gérard Mendel - La Découverte
Comment penser l'articulation entre changement personnel, évolution des organisations collectives et transformation socio-politique ? De cette question est née l'association Interactions TP-TS. Le dernier ouvrage de Gérard Mendel, décédé le 14 octobre 2004, apporte des éclairages nouveaux et pertinents. Le psychanalyste et sociologue français s'y interroge sur les raisons du succès rencontré par les techniques de développement personnel, depuis vingt ans, dans les entreprises. S'il interprète cet engouement comme une tentative de réponse au malaise ambiant, il précise qu'il s'agit d'une fausse réponse. Car le développement personnel, selon lui, vise « à récupérer certaines ressources de l'individu au profit d'une intégration sociale conforme à l'idéologie dominante du chacun pour soi ».
Suite à l'effondrement des systèmes de valeurs traditionnels, chacun est invité à construire le sens de son existence. Or, l'être humain n'est jamais coupé du monde. Aussi « pour que la personnalité puisse évoluer, grandir, il ne suffit pas d'agir sur le psychisme, il faut que le sujet possède du pouvoir à l'extérieur sur sa vie ». À cet égard, sceptiques et cyniques ont tort de sourire de la démocratie participative, qui constitue l'un des outils efficients pour travailler sur l'articulation individu-collectif-société.

Un vibrant plaidoyer en faveur de l'anthropologie, qui fait appel aux autres sciences sociales et aux grandes sagesses et traditions religieuses pour réfléchir à ce qui fait la spécificité de l'existence humaine.

>> Le compte-rendu de lecture intégral sur le site internet du GRIT - Transversales.


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Président et directeur de la publication : Joël de Rosnay
Groupe d'orientation et de rédaction : Jacques Robin, Philippe Merlant (rédacteur en chef), Laurence Baranski, Patrick Viveret, Valérie Peugeot, Thierry Taboy, Jean Zin, Roger Sue, Philippe Aigrain, Véronique Kleck, Laurent Jacquelin, Valérie Chapuis, Claire Souillac.

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