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Ce qui est bon pour les femmes est bon pour tous

Le 26  novembre 2006 par Armelle Carminati-Rabasse

Transversales Sciences Culture : Pour quelles raisons avez-vous lancé en 2000 un programme nommé « Accent sur Elles » ?

Armelle Carminati-Rabasse : Parce que nous constations que nos femmes « s’évaporaient » progressivement au fil des niveaux hiérarchiques. Aujourd’hui encore, alors qu’elles représentent 26% des effectifs, on en trouve seulement 9% aux postes de direction. La perte est considérable pour l’entreprise qui investit lourdement en formation et perd une importante quantité de matière grise.

Les raisons sont multiples et connues : responsabilités familiales dans les années critiques pour le repérage des hauts potentiels, discrétion des femmes, isolement au sein de l’entreprise, difficulté à réclamer leur dû en terme de rémunération, de poste et de visibilité, manque de précocité dans le repérage des mécanismes de construction active de carrière, inadaptation de l’organisation de l’entreprise masculine à leurs contraintes, cooptation entre pairs... Les plus jeunes arrivent dans une ignorance totale des règles du jeu. Le discours sur la mixité, sur la condition des femmes, leur paraît ringard tant qu’elles n’ont pas rencontré d’obstacles. Aussi, lorsqu’elles butent un jour sur un frein imprévu, elles ressentent une vraie frustration et disparaissent souvent. Silencieusement. Parfois même par anticipation.

TSC : Quelles sont les actions que vous avez engagées ?

ACR : Tout d’abord, la création d’un réseau « Accent sur Elles » Il s’agit d’ateliers thématiques réunissent régulièrement plus de 200 femmes d’Accenture, auxquelles s’associent 400 femmes cadres dans d’autres grandes entreprises. Le partage d’information, la conscience que leur situation est finalement banale, les rend plus fortes et exigeantes.

Un coaching collectif d’accompagnement destiné aux femmes à haut potentiel, permet de les aider à vaincre leurs propres préjugés, à hiérarchiser leurs priorités, pour leur insuffler l’audace et l’énergie de poursuivre en toute conscience des règles du jeu possibles donc avec puissance. Elles doivent en particulier apprendre à communiquer sur ce qu’elles font, à dire tout haut ce qu’elles veulent (donc le savoir fermement et sans ambiguïté). Dans l’entreprise il n’y pas que le savoir faire qui compte. Les femmes rendent de très bonnes copies et on les abreuve de travail, ce qu’elles interprètent comme autant de signaux favorables, mais au début, pour elles, se rendre « voyantes » est incongru, voire honteux. De plus, elles prennent peu le risque d’aller conquérir des espaces où elles n’ont aucune expérience. Elles se laissent ainsi enfermer dans des voies d’hyper spécialisation ou des fonctions de support où il n’y a pas d’ascenseur social, parce qu’elles ne sont pas repérables.

Un programme de parrainage est également en place. Des équipes mixtes de cadres dirigeants volontaires surveillent le vivier des femmes de leur secteur et leur progression, donc la façon dont on leur confie des opportunités pour grandir.

Enfin, des pauses pour les maternités. Par exemple la possibilité pour les femmes de prendre un congé de maternité de 6 mois sans être pénalisées sur le plan de leur évaluation annuelle ou de leur rémunération.

TSC : Quel est le bilan à ce jour ?

ACR : Sur les 3 dernières années, la proportion de femmes consultantes a augmenté de 13% et celle de femmes Senior Managers de 47%. Le nombre de femmes Senior Executives est passé de 5% à 9%.

TSC : Quel est l’apport des femmes dans l’entreprise ?

ACR : Les femmes ne sont pas meilleures que les hommes, elles sont différentes. Ne serait-ce que parce qu’on éduque différemment les garçons et les filles. La mixité est une source de richesse car d’innovation, tout le monde le sait. Actuellement, ce qui me frappe le plus, c’est leur complicité à tout âge avec les plus jeunes, filles ou garçons. J’ai travaillé de nombreuses années sur la question des femmes dans l’entreprise et essayé de trouver des solutions spécifiques, qui leur soient adaptées, pour leur permettre d’accéder à l’égalité avec les homme à tous les niveaux : concilier leurs vies professionnelle et familiale, les rendre plus visibles, les retenir. Je ne peux désormais qu’établir des parallèles entre, d’une part, leur situation et leurs attentes et, d’autre part, celles de tous les jeunes qui nous arrivent : la génération des « Y » de moins de 25 ans, nous en recrutons 1 000 par an, et celle des « X » dans la trentaine. Les premiers ont des exigences pratiquement non négociables. Ils recherchent un sens à leur vie, ils remettent en question le management tel qu’il se pratique. Pas question de leur faire des promesses de bénéfices lointains en échange de sacrifices immédiats. Ils ont un niveau de conscience incroyable et ne s’intéressent pas qu’à leur carrière : ils sont prêts à faire des « pas de côté », au nom de la recherche de sens. J’ai réalisé que ce que nous demandent ces jeunes et ce que nous devons faire pour les garder, c’est ce dont nous femmes avons rêvé et rêvons. La génération des « X » rejoint également les femmes dans ses préoccupations communes avec celles des mères de famille : équilibres de vie, choix personnels, protection de la vie personnelle. Ceci me paraît être un signal de progrès car de rapprochement. Au final, il me semble que l’intérêt pour avancer sur les sujets de mixité est d’essayer d’être universel en agissant simultanément sur tous les mécanismes d’exclusion et d’inclusion. D’en finir avec les mesures catégorielles pour handicapés, femmes, minorités, mais de créer des conditions de travail favorables à tous.