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La revanche de Gaïa (James Lovelock)

Le 6  avril 2007 par Jean Zin

Dans son dernier livre, James Lovelock annonce "la revanche de Gaïa" sinon sa mort prochaine, le réchauffement climatique étant bien plus catastrophique qu’on ne le dit, comparable dit-il, à la retraite de Russie... On peut y voir une remise en cause partielle de ce mythe de Gaïa, de la Terre comme être vivant et du fait que notre biosphère serait pourvue de régulations (ou boucles de rétroactions négatives) assurant la permanence de la vie sur Terre alors qu’on se rend compte qu’il y a tout autant des boucles de rétroactions positives qui accélèrent le réchauffement climatique jusqu’à un possible emballement explosif. Il faut donc réagir vite et se substituer aux régulations qui manquent.

Le mythe de Gaïa qui a rendu célèbre James Lovelock est utile pour montrer la fragilité de la vie et l’ensemble des interdépendances entre les organismes et leur milieu commun qui nous réunit tous, soumis aux mêmes tempêtes climatiques. On peut contester pourtant de pousser l’image trop loin jusqu’à identifier la biosphère à un être vivant. James Lovelock admet d’ailleurs que ce n’est qu’une métaphore mais il va jusqu’à dire "Après tout, il ne manque à Gaia que la reproduction", ce qui est absurde alors que la vie c’est d’abord la reproduction comme base de l’évolution !

En effet, il est vraisemblable que c’est à partir du moment où des ARN autocatalytiques ont commencé à se reproduire qu’ils ont introduit la sélection darwinienne (la causalité descendante où l’effet devient cause, la sélection par le résultat introduisant la finalité dans la chaîne des causes), ce qui enclenche toute l’évolution et le phénomène de la vie (de la cellule à l’esprit humain). La reproduction, c’est la vie et l’histoire de l’évolution, dès lors qu’elle est pourvue de mémoire. Ce n’est qu’en second, même si c’est aussi essentiel, qu’il faut associer à cette boucle de rétroaction positive, autoreproductrice, une boucle de rétroaction négative, stabilisatrice, régulatrice, assurant l’homéostasie mais qui s’impose à la longue comme résultat de la sélection naturelle.

Tous les environnements se fixent autour d’un équilibre plus ou moins instable et sélectionnent, grâce à la reproduction, les organismes capables de supporter ses variations, cela n’en fait pas des organismes vivants mais seulement le corrélat de la vie, son milieu dynamique, et en ce sens on peut le dire vivant. Il y a pourtant une différence radicale entre l’organisation d’un être vivant, multipliant les régulations grâce à l’information prélevé sur l’environnement, et l’auto-organisation d’un milieu ouvert laissé à lui-même. Il est très important de penser cette différence entre système fermé régulé, actif, pourvu de mémoire et système ouvert passif, livré aux rapports de force immédiats et aux effets de masse. C’est la même différence entre un marché libéral, même régulé par des mécanismes automatiques (des agences), et un marché piloté par un objectif social (direction par objectifs).

Si Gaïa n’est pas tout-à-fait un être vivant, il est par contre absolument exact que c’est un environnement favorable à la vie et témoignant de la présence du vivant. L’atmosphère terrestre, contrairement à l’atmosphère martienne, témoigne effectivement d’une activité biologique qui la maintient loin de l’équilibre thermodynamique. Dans ce sens, c’est bien une atmosphère vivante, réactive (par la présence d’oxygène notamment), dont la présence nous est vitale (depuis que la vie s’est adaptée à l’oxygène et que nos mitochondries nous fournissent leur énergie). On ne peut séparer l’individu de son environnement, pas plus que la vie de la biosphère.

Hélas, les régulations supposées de notre Mère la Terre, s’avèrent non seulement fragiles mais pouvoir même amplifier les problèmes au lieu de les tamponner ! On a découvert ainsi un grand nombre de rétroactions positives et de risques d’emballement du réchauffement climatique (par fonte des neiges par exemple qui ne renvoient plus la lumière et la chaleur mais l’absorbe dans la terre) qui peuvent mener à des extinctions de masse comme il y en a déjà eu (par libération du méthane marin notamment, amplifiant dramatiquement un réchauffement qui dépasse le seuil de leur confinement au fond des mers).

Cette colère de Gaïa peut bien être dirigée aujourd’hui contre les humains qui en ont dérangé les équilibres, cela ne veut pas dire que c’était à cause des péchés de nos prédécesseurs qu’ils ont dû, par exemple, essuyer les déluges du dernier réchauffement climatique à la fin de la dernière glaciation ! Nous sommes certes bien coupables cette fois-ci de sa fureur dirigée contre nous, comme de tout être vivant (plancton, corail, coquillages, poissons, phoques, etc.) mais il ne faut pas croire pour autant qu’on aurait pu se reposer sur une sagesse divine que le passé de l’évolution dément absolument même si nous avons connu une longue période d’une exceptionnelle stabilité. La seule chose certaine, c’est que nous devons faire face désormais à une situation dramatique et que nous devrons utiliser tous les moyens en notre possession pour nous en sortir, s’il en est encore temps...

James Lovelock est plutôt pessimiste. Il fait usage d’une très bonne métaphore, devant le déni de nos contemporains et une confiance excessive dans la science pour empêcher la catastrophe. Notre situation réelle, serait comparable à celle de Napoléon devant Moscou en flamme : "Nous croyons avoir gagné toutes les batailles, mais en réalité nous sommes trop avancés, nous avons trop de bouches à nourrir et l’hiver approche...".

Très ironique sur les possibilités d’un "développement durable" alors qu’on est plutôt condamné à la décroissance, du moins à ce qu’il appelle une "retraite durable", il n’est pas tendre pour autant avec les écologistes qu’il considère plutôt avec mépris comme des bobos inconséquents, ignorants et dangereux malgré toutes leurs bonne intentions.

Pas du tout technophobe, il prône au contraire des solutions techniques aux menaces écologiques comme le projet, dont nous avions déjà fait état, de répandre du soufre dans l’atmosphère pour voiler le soleil, projet fou mais moins fou sans doute que de ne rien faire. Dans le même esprit il défend le nucléaire mais il pourrait faire preuve dans ce domaine de légèreté car si le nucléaire a effectivement l’avantage de ne pas dégager du CO2, non seulement les filières actuelles ne peuvent assurer qu’une petite partie des besoins mondiaux (quoiqu’on vient de découvrir des réserves importantes d’uranium) mais les risques de disséminations nucléaires sont tels qu’on pourrait bien troquer un risque de réchauffement climatique par celui d’un hiver nucléaire ! Il est possible que les centrales nucléaires de quatrième génération soient beaucoup plus recommandables, il faudra voir, mais on n’en est pas encore là et l’impasse semble bien totale pour l’instant, même si ce ne sera pas forcément aussi catastrophique qu’il le prédit (cela pourrait aussi être bien pire...).

« Si l’augmentation de température que je prévois, de 6 à 8°C, se produit, la civilisation pourrait bien se trouver menacée : nous aurons une extinction en masse des espèces, et l’agriculture deviendra impossible sur une bonne partie du globe. La nourriture sera insuffisante, il y aura des conflits, l’humanité se concentrera autour des régions polaires... »