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Le 18 juillet 2007 par Jean Zin
Quitte à contredire son titre, il faut dire que voilà encore une fois un livre fantastique sur la physique actuelle, accessible à un assez large public et qui témoigne de l’ébullition théorique d’une physique certes de plus en plus spéculative mais aussi de plus en plus extraordinaire. On y découvre de nouvelles orientations de la recherche assez excitantes et pleines de surprises. C’est une leçon d’anti-dogmatisme, d’ouverture d’esprit et de créativité débridée (Feyerabend). On est loin d’une fin de la physique ! Le mystère du monde reste intact, mieux, notre ignorance semble s’accroître à mesure que nous avançons, et ceci alors même que l’année 2008 devrait être décisive avec les nouvelles expériences du LHC, quand il sera enfin opérationnel (vers le mois de mars si l’on en croit les dernières nouvelles).
En fait il y a plusieurs livres en un :
C’est peut-être ce dernier point qui est le véritable objet du livre, le reste ne servant que d’illustration aux dysfonctionnements de la communauté scientifique, à notre rationalité limitée et aux difficultés des changements de paradigme. C’est pourtant ce dont on ne rendra pas vraiment compte, sinon pour noter qu’on retrouve ici un problème générationnel bien plus général et qu’on connaît trop bien :
Impossible de reprendre l’historique qu’il fait de la physique et qui est d’une grande clarté, donnant une grande importance à l’unification du mouvement et du repos, geste reproduit par Galilée (relativité du mouvement), par Newton (gravitation et mouvement des planètes), par Maxwell (champs électriques et magnétiques) dont Einstein montrera avec la relativité restreinte que la différence tient au mouvement de l’observateur (p66), unifiant ensuite accélération et gravitation avec la relativité générale. Simplement, l’auteur croit pouvoir en tirer argument contre la théorie des cordes, ce qui est assez contestable car la situation n’est pas la même, ou plutôt, ce n’est pas un argument qu’on peut considérer comme concluant a priori pas plus que sa critique du "principe anthropique" sous prétexte qu’il est trop insatisfaisant ou qu’on ne peut connaître les autres univers (p224).
C’est un peu comme le mythe de la beauté mathématique considéré comme critère de vérité et qu’il dénonce à juste titre sans doute mais la seule chose qui peut faire rejeter ces théories, c’est qu’il en existe de meilleures, ce qu’il tente de prouver et qui est effectivement passionnant ! La grande leçon de la physique, depuis qu’on doit admettre que ce n’est pas le soleil qui tourne autour d’une Terre qui n’est pas plate, c’est notre rationalité limitée, l’inadéquation de nos représentations avec la réalité, notre difficulté à sortir de nos préjugés et habitudes de pensée, notre facilité à être convaincus enfin par des théories qui semblent logiques, belles et cohérentes puis de tenir un peu trop fermement à nos convictions ensuite...
Non seulement il est impossible de prendre parti pour ou contre ces théories mais il est presque impossible de se représenter de quoi il s’agit, on peut juste en faire éprouver le vertige pour la pensée. S’il est certes on ne peut plus sain de remettre en cause nos certitudes, cela ne veut pas dire pour autant croire n’importe quoi mais évaluer sérieusement (mathématiquement et expérimentalement) le champ du possible et l’étendue de notre ignorance. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut jamais renoncer à lire sous prétexte qu’on n’y comprend rien, que ce soit en philosophie ou en sciences, on finit toujours par en tirer quelque chose et il ne faut pas s’imaginer que les scientifiques comprennent beaucoup mieux que nous, ils appliquent des formules (Newton disait hypotheses non fingo, "je ne fais aucune hypothèse", la formule de la gravitation n’étant qu’une description). Croire comprendre ou savoir la vérité, n’est qu’un aveuglement du dogmatisme des demi-savants.
Une des grandes qualités de son histoire de la physique, c’est de donner les raisons des échecs de tentatives d’unification qui semblaient pourtant très séduisantes, en commençant par la théorie de Kaluza-Klein, lointain ancêtre de la théorie des cordes qui unifiait déjà gravitation et champ électromagnétique par l’introduction dans la relativité générale d’une dimension supplémentaire très petite et invisible, la charge de l’électron étant liée au diamètre de cette dimension supplémentaire :
L’échec de la théorie tient au fait, que, contrairement à la relativité générale qu’elle modifiait, "le diamètre du cercle devait être gelé, de sorte qu’il ne varie ni dans l’espace, ni dans le temps" (p80).
Une autre tentative, à laquelle il semblait difficile de ne pas croire, s’appelait SU(5) et se voulait une extension du modèle standard de l’Electro-Dynamique Quantique qui avait réussi à unifier les 3 forces de l’électromagnétisme, de l’interaction faible et de l’interaction forte, ce qui se note SU(3), grâce au "principe de jauge", expliquant leurs différences par une "brisure spontanée de symétrie" p91. La symétrie SU(5) qui unifiait quarks et leptons (électrons ou neutrinos) impliquait des mécanismes de transformation de l’un en l’autre et donc une instabilité du proton qui ne s’est pas vérifiée par l’expérience pour l’instant (même si la probabilité en était très faible de l’ordre de 10 puissance 11 ans, on aurait dû l’observer sur la quantité !). Il souligne, en effet, qu’une leçon de l’unification, c’est qu’elle introduit de l’instabilité, instabilité qui doit être vérifiée dans la réalité pour décider de la validité de la théorie.
C’est donc l’échec de la grande unification attendue qui caractérise notre moment historique, l’échec surtout d’une théorie des cordes qui n’a pas tenu ses promesses. Contrairement à la fin du XIXème siècle qui croyait tout savoir, annonçant la fin de la physique, les énigmes se multiplient. Lee Smolin en dégage 5 grands problèmes non résolus :
On remarquera la prudence : il n’est pas sûr qu’on puisse tout unifier, notamment la gravitation et les champs électromagnétiques malgré leurs similitudes... Comme toujours, la façon dont on pose la question contient déjà la réponse ! C’est en tout cas à la résolution de ces questions qu’on doit juger les théories d’unification.
On ne reviendra pas en détail sur la théorie des cordes dont j’ai essayé une évaluation en 2002 qui reste assez valable. J’argumentais déjà que ce n’était qu’une généralisation qui ne pouvait être entièrement fausse ni entièrement vraie comme le croyais Sheldon Glashow. Bien sûr l’histoire qu’en fait Lee Smolin est bien plus complète et intéressante mais impossible à résumer ici et de nombreux sites abordent la question. Je citerais juste ce qui a pu convaincre les physiciens de sa validité, malgré l’absence de tout résultat expérimental depuis 20 ans, en rappelant seulement qu’en théorie des cordes le photon est une corde fermée qui peut se casser pour devenir une corde ouverte ayant à ses extrémités un électron et un positron (ce qui explique qu’un photon peut donner naissance à une particule et son anti-particule de même que leur annihilation les transforme en photon). Le succès de la théorie des cordes vient surtout du fait qu’elle inclut le graviton (corde fermée de spin 2) ce qui a pu faire croire qu’elle "prédisait" la gravité (ce qui est un peu gros tout de même), mais c’est la logique générale de la théorie qui est séduisante semblant unifier toute la physique sur des principes simples.
« En théorie des cordes, il ne peut y avoir que deux constantes fondamentales. La première, qu’on appelle "tension de la corde", décrit la quantité d’énergie contenue dans l’unité de longueur de la corde. L’autre, que l’on appelle "constante de couplage de la corde", est un nombre qui indique la probabilité que la corde se casse en deux, produisant ainsi une force (...) Toutes les autres constantes de la physique doivent être reliées seulement à ces deux nombres. Il a été démontré par exemple que la constante gravitationnelle de Newton est liée au produit de leur valeur. En fait, la constante de couplage de la corde n’est pas une constante libre, mais un degré de liberté physique (...) On peut dire que la probabilité pour qu’une corde se asse ou se rejoigne est donnée, non pas par la théorie, mais par l’environnement de la corde ». 158
« La propagation et l’interaction des cordes sont déterminées par la même loi qui stipule que l’aire de la surface spatio-temporelle dessinée par les cordes soit être minimale ». 159
Tout cela semble formidable, sauf qu’au bout du compte, si une théorie des cordes est bien basée sur des principes simples, non seulement il n’y a pas qu’une seule théorie des cordes mais il y en a un nombre astronomique multipliant à l’infini les constantes possibles (ce qui constitue le paysage cosmique selon Leonard Susskind). Ce qu’on a gagné d’un côté, on l’a perdu de l’autre au point qu’on ne peut même plus savoir ce que peut être la théorie des cordes sinon une classe de théories ("une théorie de tout ce qu’on veut" !). Du coup l’absence de confirmation expérimentale possible, ajoutée au fait que la théorie des cordes ne respecte pas la relativité générale en s’inscrivant dans un espace-temps fixe (dépendant du fond), il semble plus que justifié qu’on développe des théories alternatives.
C’est la partie la plus surprenante du livre, et la plus spéculative, dont on ne pourra donner que de rapides indications, juste ce qu’il faut pour attiser la curiosité du lecteur !
MOND
Cela commence par l’analyse des fréquences micro-ondes du fond cosmologique (ci-dessus) où l’on constate un pic, pouvant correspondre à une résonance reliée à la taille de l’univers quand il devint pour la première fois transparent, ainsi qu’une direction privilégiée qui semble réfuter l’hypothèse de l’inflation et d’un univers beaucoup plus étendu. Ce n’est peut-être qu’une coïncidence mais si on divise cette supposée taille de l’univers de 10 milliards d’années lumières par la vitesse de la lumière cela correspond à peu près à l’âge actuel de l’univers. Mieux, la vitesse de la lumière au carré divisée par cette taille donne la valeur de l’accélération (très faible) produite soi-disant par la constante cosmologique ! Cette observation déjà faite en 1983 par Mordehai Milgrom permettrait surtout d’expliquer une anomalie de la gravitation tout en se débarrassant à la fois de l’énergie noire et de la matière noire ! En tout cas, ce que les astronomes appellent "la loi de Milgrom" implique une modification de la loi newtonnienne de la gravitation pour les très petites accélérations de l’ordre de la constante cosmologique, ce qu’on appelle MOND (Modified Newtonian Dynamics) et qui pourrait être lié à "l’anomalie Pioneer", voire à une possible très petite variation de la constante de structure fine (ou constante alpha), ou bien à la masse des neutrinos...
« En fait, MOND prédit le mouvement des étoiles à l’intérieur des galaxies mieux que tous les modèles fondés sur la matière noire ». 282
DSR-II
Un autre fait troublant semble pouvoir remettre en cause la relativité restreinte, c’est ce qu’on appelle la "coupure GZK". A cause du fond diffus cosmologique occupant tout l’espace, Greisen, Zatsepine et Kouzmine ont prédit qu’aucun proton ne pouvait arriver sur la Terre avec plus d’énergie que celle nécessaire pour produire des pions lorsqu’ils entrent en interaction avec les photons du fond micro-onde. C’est cette énergie, plus de 10 millions de fois plus grande que l’énergie obtenue dans les accélérateurs actuels, que l’on appelle la "coupure GZK". Or les expériences AGASA ayant détecté des énergies supérieures, cela pourrait indiquer une modification de la relativité restreinte aux énergies extrêmes. Plus précisément, il se pourrait que les photons d’énergies diverses se déplacent à des vitesses légèrement différentes !
En tout cas, ces expériences utilisant le cosmos comme laboratoire permettent de tester des phénomènes à l’échelle de Planck, ce qu’on croyait inaccessibles avant longtemps ! (et ce que Luis Gonzalez-Mestres physicien parisien avait entrevu depuis le milieu des années 1990).
A partir de là une autre incompatibilité de la relativité restreinte avec la théorie quantique a été découverte : la relativité restreinte implique en effet la "contraction des longueurs" pour un observateur en mouvement. Or cette contraction, qui est certes uniquement apparente, ne pourrait descendre en dessous de la longueur de Planck. Ceci a des implications sur la vitesse de la lumière elle-même.
On pourrait faire le même raisonnement avec la longueur de Planck qui serait vue identique par tous les observateurs, sans contraction, car rien n’existe qui pourrait être plus court que la longueur de Planck, quel que soit l’observateur. C’est ce qu’on appelle la Relativité Doublement Restreinte (DSR en anglais). Cette idée, combinée à celle de João Magueijo d’une vitesse de la lumière plus grande au début de l’univers (VSL qui rend caduque le concept d’inflation) donnera la DSR-II. Les circonstances de la naissance de cette théorie sont assez extravagantes, naissant d’un dialogue dans un bar, avec une sorte de conscience modifiée et un demi sommeil, entre João somnolent à cause du décalage horaire et Lee revenant épuisé de New-York après les événements du 11 septembre !
C’est, bien sûr, difficile à croire, mais la cohérence mathématique serait démontrée au moins pour un univers en 2 dimensions, et sans doute en 3 ! Cela change complètement notre compréhension de la relativité restreinte où la vitesse de la lumière avait été remplacée par le concept de vitesse limite ou de "constante de structure de l’espace-temps". Il semblerait pourtant que cela soit compatible avec la théorie des cordes (qui peut tout accepter !) mais surtout avec la gravité quantique à boucles qui en sort confortée.
Après cette mise en bouche, on passe au niveau supérieur avec les théories alternatives à la théorie des cordes dont la caractéristique principale est l’indispensable "indépendance par rapport au fond". On ne peut faire beaucoup plus que citer le nom de ces théories : gravitation quantique à boucles (voir Carlo Rovelli), géométries non-commutatives (Alain Connes), triangulations dynamiques causales (Renate Loll et Jan Ambjorn) ou même "l’espace des twisteurs" (Roger Penrose). Il faudrait citer aussi les théories de l’émergence de Robert B. Laughlin. Ce qui caractérise ces théories par rapport à la théorie des cordes, c’est de ne pas faire d’hypothèses sur l’espace sous-jacent qui doit émerger des interactions, y compris le nombre de dimensions qui pourrait même évoluer dans le temps (p126) ! Il n’y aurait que des impulsions, des charges et des interactions. Ces théories conformes à la relativité générale illustrent qu’il ne suffit pas de déduire l’existence d’un "graviton" mais qu’il faut rendre compte de la dynamique de l’espace, le graviton lui-même étant soumis à la gravitation puisqu’il porte de l’énergie (p 129) ! (Ce qui est tout de même difficile à comprendre, c’est que les distances sont bien constitutives des interactions puisque la gravité par exemple diminue avec la distance. On aurait ainsi une déformation de l’espace plutôt qu’une simple émergence ?).
« Dire que les lois de la nature sont indépendantes du fond, cela signifie que la géométrie de l’espace n’est pas fixe, mais qu’elle évolue. L’espace et le temps émergent de ces lois plutôt que de faire partie de la scène où se joue le spectacle ».
« Un autre aspect de l’indépendance par rapport au fond est qu’il n’existe pas de temps privilégié. La relativité générale décrit l’histoire du monde au niveau fondamental en termes d’événements et de relations entre eux. Les relations les plus importantes concernent la causalité : un événement peut se trouver dans la chaîne causale qui mène à un autre événement. De ce point de vue, l’espace est un concept secondaire, totalement dépendant de la notion de temps. Prenons une horloge. Nous pouvons penser à tous les événements qui se déroulent simultanément lorsqu’elle sonne midi. Ce sont les dits événements qui constituent l’espace (...) or, puisque toute définition concrète de l’espace dépend du temps, il existe autant de définitions de l’espace que de temporalités différentes ». 125
« Puisque les ondes gravitationnelles interagissent les unes avec les autres, elles ne peuvent plus être pensées comme se déplaçant sur un fond fixe. Elles modifient le fond sur lequel elles se déplacent ». 129
« Nous savons maintenant qu’il ne suffit pas d’avoir une théorie des gravitons fabriqués à partir des cordes se tortillant dans l’espace. Nous avons besoin d’une théorie de ce qui fait l’espace, c’est-à-dire d’une théorie indépendante du fond. Comme je l’ai déjà expliqué, les succès de la relativité générale prouve que la géométrie spatiale n’est pas fixe. Au contraire, elle est dynamique et elle évolue dans le temps. Ceci est une découverte fondamentale que l’on ne peut pas négliger, et toute théorie future est obligée d’en tenir compte. La théorie des cordes ne le fait pas, et, par conséquent, si la théorie des cordes est correcte, alors il doit y avoir, derrière elle, une théorie plus fondamentale, qui serait indépendante du fond ». 314
« La principale idée unificatrice est facile à formuler : ne commencez pas par un espace donné, ni par quelque chose qui se déplace dans l’espace. Au contraire, commencez par quelque chose qui possède non pas une structure spatiale, mais une structure purement quantique. Si la théorie est bonne, alors l’espace en émergera comme une représentation de quelques propriétés moyennes de la structure - tout comme la température émerge comme représentation du mouvement moyen des atomes ». 315
« Une autre idée unificatrice est l’importance de la causalité (...) Etant donné deux choses qui se sont produites, la première ne peut être la cause de la seconde sauf si une particule s’est propagée de la première à la seconde, à une vitesse inférieure ou égale à celle de la lumière. Ainsi, la géométrie de l’espace-temps contient de l’information à propos des liens de causalité entre événements. On appelle cette information la "structure causale de l’espace-temps" ». 316
« Je veux cependant être clair sur un point : il n’y a rien dans cette nouvelle ambiance post-cordes qui exclut en soi l’étude de celles-ci. L’idée sur laquelle se fonde la théorie - la dualité des champs et des cordes - est également au centre de la gravité quantique à boucles. Ce qui a conduit à la crise actuelle en physique n’est pas cette idée centrale, mais un type particulier de réalisation qui se contraint aux théories dépendantes du fond - un contexte qui nous lie à des propositions risquées comme la supersymétrie et les dimensions supérieures ». 334
Tout cela ne remet donc pas en cause complètement la théorie des cordes, mais c’est tout de même très différent de Susskind. En effet, la constante cosmologique disparaîtrait ainsi car elle ne serait qu’une conséquence des théories dépendantes du fond (p325). On aurait éliminé aussi inflation, supersymétrie, matière noire, énergie noire et surtout le "paysage" d’infinies possibilités... A noter que l’émergence de l’espace rend plausible la création de nouveaux univers à l’intérieur d’un trou noir (par rebond spatio-temporel", p329).
Cependant, Lee Smolin insiste sur le fait qu’il ne prétend aucunement être arrivé à la théorie ultime, seulement à quelques progrès vers l’unification des forces et de la géométrie de l’espace-temps. C’est là qu’il introduit une réflexion sur le temps. En effet, au-delà de la nécessité d’une théorie "indépendante du fond" conformément à la relativité générale, ce serait notre conception du temps qu’il faudrait changer : renoncer à en faire une dimension spatiale qui le fige comme si tout était donné d’avance (comme dans Une brève histoire du temps de Hawking), en quoi il rejoint la critique de Bergson. Le temps ne serait rien d’autre que le principe de causalité, et l’espace un phénomène émergent des interactions entre particules ou corps matériels. Pour ma part, cela fait quelque temps que je plaide pour la distinction entre le temps comme succession (causalité) et sa mesure (spatialisée, dépendante de la vitesse relative). C’est un peu comme le travail ou la valeur qu’il ne faut pas confondre avec sa mesure en temps de travail !
« Il faut trouver une manière de dégeler le temps - de le représenter sans le transformer en espace. Je n’ai pas la moindre idée de comment faire ». 337
Une dernière indication qu’il donne me semble intéressante, "sur la relation entre les fluctuations quantiques et thermiques" (p457). Voilà, en tout cas, de quoi nourrir nos réflexions et nous inciter à aller un peu plus loin...
La fin du livre est consacrée à la sociologie de la science, ses pesanteurs, son conformisme qui étouffe la recherche et la créativité des chercheurs. Lee Smolin compare ainsi l’attitude des théoriciens des cordes à ce qu’on décrit comme "la pensée de groupe" et qui touche tous les groupes, au point que c’en est désespérant...
« La tendance d’un groupe humain à se mettre rapidement à croire quelque chose que les membres individuels du groupe, plus tard, verront comme évidemment faux est réellement ahurissante ». 389
Il voudrait réformer la communauté scientifique et son mode de fonctionnement, en quoi on peut lui donner raison mais ce genre de réforme n’a qu’une efficacité ponctuelle, on retombe toujours dans le dogmatisme. Pas moyen d’y échapper. Il est absurde de rêver à un monde où les innovateurs bousculant les idées reçues seraient accueillis à bras ouverts par ceux dont il remet en cause le pouvoir acquis. Mieux, leur résistance est essentielle pour tester la validité des nouvelles théories. Chaque révolution installe un nouveau pouvoir et l’oppression du moment se réclame souvent d’une libération passée. Sauf coup de chance improbable, il n’y a de bons artistes que les artistes maudits car il faut du temps pour reconnaître les véritables créateurs dès lors qu’ils ne font pas que répéter les succès passés ou d’anciennes transgressions qui n’ont plus de sens. De plus, il est impossible de tout lire, tout évaluer, tout savoir, il y a toujours des découvertes essentielles qui sont ignorées un certain temps avant de s’imposer, c’est inévitable.
La conséquence, c’est qu’on ne peut vouloir une réussite mondaine et une réussite intellectuelle, il faut savoir ce qu’on fait passer avant. Il est bien sûr regrettable que les talents ne soient pas reconnus à leur juste mesure et que la reconnaissance soit trop souvent posthume mais il n’y a pas grand chose à y faire et, même si c’est dur à vivre, cela n’a pas tellement d’importance. C’est dans l’épreuve que se jugent les hommes et l’indépendance d’esprit. Il faut du moins être conscient du fait que la bêtise est toujours triomphante, partout, c’est notre condition humaine qui n’empêche pas le progrès malgré tout de nos connaissances accumulées mais fait de nous "des nains sur des épaules de géants"...