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Femmes françaises vues d’ailleurs

Le 26  novembre 2006 par Avivah Wittenberg-Cox

C’est peut être plus facile pour un étranger d’avoir du recul et une vision objective de la réalité. Mais, depuis 25 ans, chaque fois que je reviens à Paris je me réjouis d’y vivre, en particulier en tant que mère et femme travaillant. Je crois que la France nous offre un contexte privilégié. Perfectible évidemment, et c’est mon combat de l’améliorer pour les femmes qui veulent conjuguer maternité et ambition professionnelle, mais enviable par rapport aux autres pays du monde développé.

La France est un des rares pays à encourager les femmes à assumer leur féminité sans renoncer à acquérir des compétences intellectuelles et professionnelles importantes. Les anglo-saxonnes ne sont pas logées à la même enseigne : tout au long de leur marche vers l’indépendance et l’autonomie, elles ont dû se fondre dans le moule masculin et démontrer qu’elles étaient des « hommes comme les autres ». Ainsi, aux Etats unis, 49% des femmes entre 41 et 55 ans ayant des postes à responsabilités n’ont pas d’enfants, et 43% d’entre elles ne sont pas mariées. En Allemagne, 40% des femmes s’arrêtent de travailler après le premier enfant.

Les françaises deviennent mères sans que ce soit au détriment de leur éducation et de leur légitimité professionnelle. 8O pour cent des françaises entre 25 et 50 ans ont un job. Très éduquées, elles constituent une puissante force pour le pays. Le taux de fécondité de la France est un des plus haut d’Europe (1,9), après celui de l’Irlande (mais pour d’autres raisons, religieuses en particulier). En France, les femmes représentent plus de la moitié des diplômés universitaires et des grandes Ecoles (hors diplômes d’ingénieurs),

Certes, les femmes françaises ne comptent que pour 1/3 des cadres, 11% des dirigeants, 7% des comités de direction, alors qu’à ce stade les américaines obtiennent de meilleurs scores : 46% de femmes cadres, 16% dans les comités de direction, 6% à la tête des plus grandes firmes. Ces résultats sont dus à la tradition américaine de discrimination positive et au fait que les combats des femmes y sont plus anciens. Mais leurs choix professionnels leur coûtent cher sur le plan personnel. Les figures féministes américaines conseillent encore aux femmes de choisir entre la famille ou la carrière.

En France, le dilemme est moins radical. Le pays est conscient que l’économie a à la fois besoin de la force de travail des femmes et d’un taux de natalité suffisant. C’est la raison pour laquelle de nombreuses mesures ont été prises par l’Etat français en matière de politique familiale. L’objectif est de permettre aux femmes d’éviter de choisir et de pouvoir concilier vie personnelle et professionnelle (l’école à trois ans, les nombreuses formule de garde, les horaires des écoles, les 35 heures, les incitations fiscales pour l’aide à domicile, les lois sur le congé paternel...). Il reste encore beaucoup à faire, évidemment si l’on prend les pays scandinaves comme référence, mais de nombreux pays envient déjà ce cadre.

Les Etats Unis, à leur habitude, ont laissé au secteur privé la responsabilité de gérer les contraintes des femmes. Il a fallu attendre le président Clinton pour obtenir que les femmes puissent prendre un congé maternité... à leurs frais ! Certes, au cours des dernières décennies, les entreprises les plus importantes ont encouragé la progression des femmes et lancé plusieurs initiatives pour les recruter et les promouvoir dans leurs filiales européennes. Mais elles les ont laissées se débrouiller pour gérer leurs contraintes domestiques.

On ne voit pas comment la question de l’égalité des femmes dans les entreprises pourrait se régler au 21ème siècle sans l’action conjointe du secteur public et du secteur privé. D’après une étude du World Economic Forum sur le « Gender Equity Gap », la France occupe le 9ème rang mondial en ce qui concerne la progression économique des femmes alors que les Etats-Unis seraient au 46ème rang. En France, le secteur privé commence à se réveiller sur le sujet. Déjà en 2003, 70% des entreprises sondées par une étude de Grandes Ecoles au Féminin disaient réfléchir ou agir sur la mixité de leur management.

Dans les 10 ans, si le secteur privé français poursuit ses premiers efforts pour promouvoir le talent au féminin, je pense que nous aurons une progression sensible de femmes cadres et de nombreuses femmes compétentes à la tête de grandes entreprises. Ce qui devrait contribuer à résoudre pas mal de problèmes