Jacques Robin

Jacques : trois instantanés

Le 9  juillet 2007 par Valérie Peugeot

En complément des hommages de Joël, Jean, Laurence et Philippe, qui retracent si bien le personnage de Jacques dans sa richesse, je voudrais ici donner 3 petits instantanés, certainement anecdotiques mais si typiques. Pour partager avec ceux qui n’ont pas eu la chance de le côtoyer au quotidien.

Porte ouverte (1989)

Assise dans le square Boucicaut j’attends. J’ai mis ma plus belle robe, je suis arrivée en avance et je compte les minutes, cœur serré, impressionnée à l’avance de cette rencontre. Je ne savais pas à quel point mon émotion était justifiée et combien cet échange allait marquer un tournant de ma vie. Assistante parlementaire débutante, chargée de rédiger la première mouture d’un rapport sur les sciences sociales et humaines dans le cadre du 3ème programme cadre de l’Union européenne, j’ai été orientée vers Jacques Robin pour défricher le sujet, tracer les grandes lignes de ce qui pourrait être la défense d’une approche transdisciplinaire des sciences, et l’intégration des questions écologiques dans les programmes scientifiques européens. Tout de suite Jacques m’ouvre sa porte et m’accueille sur son magnifique balcon, entre tourterelles, verdure et paix, me donnant son temps, ses connaissances, ses références, ses contacts avec une générosité et une simplicité dont il ne se départira jamais, ne rechignant pas devant l’océan d’ignorance de la jeune femme qui était venue frapper à sa porte.

L’Equipe (1992-1998)

Il est 10heures, je suis au bureau en train de travailler, dans cette Maison Grenelle où sont installées la lettre « Transversales Sciences Culture » et une dizaine d’autres associations. La plupart d’entre elles sont nées d’une idée et de l’énergie de Jacques ; elles œuvrent au renforcement de la citoyenneté active et de la démocratie participative (déjà !) [1] ; elles visent à repenser l’Europe [2], à tracer la voie d’une économie plurielle ou encore à dresser les contours d’une mondialisation financière civilisée [3]... A travers la vitre, j’aperçois Jacques assis dans sa voiture, garée sous nos fenêtres. Sur ses genoux, grands ouverts, Libération et l’Équipe, ses indispensables compagnons du matin, qu’il feuillette. Dans quelques instants, je sais qu’il va entrer en tornade dans mon bureau et m’interpeller : as-tu lu le papier de X dans le Monde d’hier soir ? Et la tribune de Y dans Libé de ce matin ? Au fait il faut absolument que tu lises le livre de Z, absolument, tu m’entends, absolument ! Emportée dans son enthousiasme, je m’attelle de plus belle à la préparation du colloque ou du séminaire du moment. Oui nous formions, tous autant que nous étions à la Maison Grenelle, une équipe inédite et créatrice, catalysés par Jacques.

Curiosité sans limite (2005)

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Jacques Robin 1er Avril 2005 - Propriété intellectuelle et développement

Assise à la tribune, j’anime une session de cette rencontre sur la propriété intellectuelle et le développement organisée par Vecam [4], l’une des associations nées des intuitions de Jacques. Pour la première fois en France, nous avons réussi à réunir des militants - français, indien, africains, états-uniens... - engagés dans la défense des médicament générique, du logiciel libre, des savoirs traditionnels, des semences paysannes... toutes questions traversées par un même défi : celui de l’équilibre à (re)construire entre bien commun et propriété des idées, des informations, des connaissances. En face de moi, dans une des travées de l’amphithéâtre, silhouette déjà frêle au milieu de l’assemblée, Jacques est assis, casque d’interprétariat sur les oreilles. A chaque intervention, je le vois qui opine et réagit, commentant à haute voix pour sa voisine, tellement impliqué et passionné qu’il en oublie parfois de baisser la voix ! Je m’aperçois que certains co-organisateurs de la rencontre, qui ne connaissent pas Jacques, sont à la fois surpris et émus de la présence de ce vieux monsieur, présence si active et bouillonnante. C’était Jacques tel qu’en lui-même, avec sa curiosité insatiable. Jacques tel qu’il reste en mon souvenir.