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Ce n’est pas l’énergie qui manque...

Le 31  octobre 2005 par Jean Zin

Avec le développement de la Chine ou de l’Inde et l’augmentation continue de la consommation américaine, malgré la proximité du "pic de Hubbert" (moment à partir duquel la production de pétrole va atteindre son maximum avant de commencer à diminuer inexorablement), les prix du pétrole s’envolent inévitablement, créant pour nos économies un véritable choc mais qui pourrait se révéler salutaire face à l’immobilisme des Etats et la fuite en avant d’un productivisme insoutenable. La fin du pétrole n’est pas la fin du monde, c’est un difficile moment de transition prévu depuis longtemps et auquel nos sociétés ne se sont pas assez préparés mais ce n’est pas notre problème le plus grave, cela pourrait même constituer à plus long terme une chance dans la lutte contre un réchauffement climatique qui menace de s’emballer.

En effet, on peut dire qu’on manque de tout sauf d’énergie puisque la Terre est un système ouvert qui reçoit son énergie du soleil et bien plus qu’il ne nous en faut. Ce n’est donc pas l’énergie qui manque, c’est juste le pétrole qui va être de plus en plus cher. Comment le regretter alors qu’un prix trop bas incitait au gaspillage et qu’il est la cause principale de l’aggravation de l’effet de serre ? Ivan Illich avait bien prédit que trop d’énergie pouvait faire exploser la société. Il se pourrait même qu’on arrive à faire exploser la planète avec un réchauffement trop rapide. Les scientifiques sont très inquiets devant le dégel inattendu du permafrost (terre gelée) en Sibérie, ce qui se traduit par un risque important de libération du méthane qu’il contient, accélérant dramatiquement l’effet de serre (Le monde 11/08). A une échelle bien supérieure c’est ce qui s’était produit lors de plusieurs extinctions de masse, la libération de méthane augmentant considérablement l’effet de serre (20 fois plus que le CO2) tout en appauvrissant l’atmosphère en oxygène (ce sont les mammifères et les dinosaures qui s’en étaient le mieux sortis au permien). On n’en est pas là mais voilà notre horizon et ce qu’il faudrait absolument éviter !

Au regard de cet enjeu majeur de survie la crise du pétrole constituerait plutôt une véritable opportunité, accélérant le passage de l’ère de l’énergie à l’ère de l’information (voir encadré), si on ne risquait pas le développement d’énergies encore plus polluantes, comme le charbon, et si les réserves n’étaient pas encore assez considérables pour continuer à courir à la catastrophe, sans rien changer. Pas de quoi se réjouir non plus des conséquences économiques et sociales d’une augmentation des prix du pétrole avec tous les effets de manque d’une véritable toxicomanie de nos sociétés à cette énergie trop bon marché. On pourrait en attendre au moins la confrontation avec les limites de notre mode de développement et des ressources de la planète si la France ne se particularisait par une croyance quasi religieuse dans le nucléaire, symbole de la science triomphante, malgré les risques insensés qu’on fait courir aux populations à l’ère du terrorisme technologique.

Le plus probable reste que tout continue comme avant, avec simplement des carburants plus chers, privilégiant le court terme ! En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut absolument pas compter sur la sobriété individuelle, sur le changement de comportement des populations, c’est le système qu’il faut changer. Il faut proposer des énergies alternatives et opérer des changements dans l’organisation économique et sociale jusque dans l’urbanisme et l’habitation.

La seule alternative pour absorber les surcoûts énergétiques dans l’immédiat, ce sont les "négaWatts", gisements d’économies d’énergie avec toute une gamme de mesures plus ou moins politiques. Le plus immédiat ce sont des comportements de sobriété, en premier lieu l’isolation des bâtiments. La généralisation des nouveaux éclairages par diode divisant par 10 la consommation de l’éclairage devrait commencer dans les années qui viennent. L’amélioration de l’efficacité énergétique concerne tous les appareils électriques, en particulier leur mode veille. L’énergie intelligente vise à optimiser la dépense énergétique par rapport aux besoins grâce à un pilotage informatique très fin. La construction de nouvelles maisons devrait dès maintenant répondre à de nouvelles normes écologiques, se rapprochant de ce qu’on appelle les "maisons passives" utilisant au mieux l’énergie solaire. A plus long terme une politique d’urbanisme, de transports collectifs et de ferroutage peut réduire considérablement la dépense énergétique mais le plus décisif et le plus difficile sans doute, ce serait une indispensable relocalisation de l’économie privilégiant les circuits courts, à contre-courant d’une mondialisation déchaînée qui multiplie absurdement les trajets de marchandises.

Les transports et l’habitat (dans une moindre mesure) sont les deux plus gros consommateurs de pétrole. Les transports devront se recycler vers le méthanol sans doute, plutôt que l’hydrogène, et l’habitat vers le solaire mais la priorité doit rester de réduire les transports et d’isoler les habitations. L’hydrogène qu’on nous vante tant n’est qu’un moyen de stockage de l’énergie, particulièrement encombrant et difficile à manipuler, ce n’est en rien une solution même s’il sera utile pour le stockage de l’énergie renouvelable et pour des moteurs non polluants. Le méthanol est loin d’être satisfaisant, ce n’est pas la formule magique qui nous dispenserait de réduire les transports mais c’est un bon compromis qui a de nombreux avantages. La seule énergie désirable pour remplacer le pétrole, c’est le solaire dont le développement est très prometteur avec une baisse des coûts et un meilleur rendement. Avec le solaire on quitte définitivement l’ère de l’énergie pour l’ère de l’information mais cela prendra du temps et, il faut le répéter, dans l’immédiat le plus probable c’est le charbon (et d’autres hydrocarbures comme les huiles de schiste), ce qui serait vraiment catastrophique !

L’avenir se joue maintenant mais la question du réalisme se pose avec de plus en plus d’acuité entre rapports de force à court terme et des enjeux vitaux à plus long terme. Qu’est-ce que le réalisme aujourd’hui ? Est-ce la concurrence internationale contre laquelle on ne pourrait rien, le libéralisme qui nous dominerait pour toujours ? Est-ce la fin catastrophique du pétrole ? ou bien est-ce la prise de conscience que ce monde n’est pas durable, constater la catastrophe d’un monde qui va inexorablement vers un réchauffement aux conséquences incalculables ? Ce n’est pas dire que c’était tellement mieux avant, mais la maison brûle, ce n’est pas qu’un slogan, et nous devrons trouver rapidement des alternatives vivables, en premier lieu au pétrole dont les prix ont déjà commencé à flamber.

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