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Le sens de l’évolution

Le 2  juillet 2007 par Jean Zin

Lorsque les religions ou les idéologies se mêlent de sciences, ce n’est jamais bon, ni pour la religion, ni pour les sciences. La théorie de l’évolution est particulièrement mise en cause par les théories créationnistes ou les tenants de "l’intelligent design" qui témoignent d’une incompréhension totale du darwinisme, dont ils contestent même le caractère scientifique au nom d’une fausse conception de la science (celle de Karl Popper notamment). Pourtant, le problème n’est pas tant l’offensive des fondamentalistes, offensive qui ne peut aller bien loin ni produire aucun progrès des connaissances, mais plutôt le raidissement des scientifiques pris dans la tourmente et qui les amène à une dogmatisation de leur science.

Ainsi, le dossier de Pascal Picq dans Pour la Science ("Faits et causes de l’évolution") est certes fort utile pour répondre aux objections des croyants mais il est trop animé par sa réfutation des interprétations religieuses jusqu’à se croire obligé de nier par exemple l’évidence de la complexification (dont la théorie de l’évolution est supposée rendre compte pourtant) ainsi que le rôle de la finalité en biologie, qu’il ne faut certes pas prendre dans son acceptation religieuse ! En tout cas, je voudrais défendre ici l’idée qu’on peut admettre que l’évolution a un sens tout en restant dans un discours scientifique et sans faire aucune concession aux religions.

La sélection naturelle

En général je trouve que les sciences ne sont pas très difficiles, en dehors de leur attirail mathématique. La philosophie me semble beaucoup plus difficile où chaque mot doit être pesé et pourrait être commenté à l’infini. Pour la théorie de l’évolution, la difficulté rejoint pourtant celle de la philosophie, sous ses airs de fausse simplicité, donnant prise à tous les détournements idéologiques et dont les erreurs d’interprétation, faussement scientifiques, ont pu avoir des conséquences politiques monstrueuses (racisme, eugénisme, "loi du plus fort", libéralisme, sociobiologie !). Une partie de la difficulté vient de son caractère statistique, un peu comme l’entropie, alors qu’on en reste le plus souvent au niveau des individus (voire des gènes). Une autre vient de la temporalité, l’évolution sur le long terme étant bien éloignée des rapports de force à court terme (ainsi la coopération ne se révèle supérieure à la compétition qu’à long terme). Cependant, la véritable difficulté vient de ce qu’on appelle la "causalité descendante" par où la finalité s’introduit dans la chaîne des causes.

En effet, la théorie de la "sélection naturelle" permet de comprendre l’action de l’environnement sur l’évolution des populations, par l’intermédiaire de ce qu’on appelle un peu vite la sélection des individus les plus adaptés. En fait c’est d’abord une sélection des organismes viables. Les mutations aléatoires sont l’équivalent des mouvements désordonnés de la canne blanche de l’aveugle qui cherche son chemin et se cogne au mur ou au trottoir pour en éprouver les limites ou éviter l’obstacle qu’elle rencontre. C’est une stratégie d’exploration en milieu inconnu. Dans le système immunitaire il y a ainsi des générateurs aléatoires de diversité pour trouver une réponse à l’intrusion d’un corps étranger inconnu, avant de passer à la reproduction massive des anticorps les plus performants contre l’infection. Au niveau de l’évolution des organismes supérieurs, bien sûr les mutations aléatoires sont rarement positives. En dehors des améliorations de détail, l’évolution se fait plutôt par réutilisation de fonctions existantes (bricolage), réveil d’anciens gènes désactivés, déplacements d’organes ou simple jeu sur la vitesse de développement ou sur la taille (gènes architectes). L’important, c’est le mécanisme de sélection qui part du résultat, où c’est l’effet qui devient cause. On a donc bien une "causalité descendante" où c’est la réussite ou l’échec, par essais erreurs, qui détermine la reproduction au temps suivant, reproduction déterminée par cette finalité (dans ce cadre, toute finalité est mémoire et répétition).

Plutôt qu’une sélection par compétition (formulation inspirée par Malthus et Spencer mais surtout par le capitalisme naissant et qui mènera au racisme nazi et la compétition pour l’espace vital), il vaudrait mieux parler d’une sélection par le résultat, une rétroaction de l’environnement sur la reproduction : seuls sont "renforcés", par une "boucle de rétroaction positive", les ADN adaptés à cet environnement. C’est la base du processus proposé par Darwin, la sélection et la multiplication des plus aptes. Encore faut-il préciser le "plus apte" à quoi ? A court ou à long terme ? être trop adapté, peut signifier ne pas survivre à son milieu et Darwin reconnaissait l’importance de la morale anti-sélective de "la descendance de l’homme" pour l’adaptabilité de l’espèce humaine et sa domination sur toute la Terre malgré sa fragilité extrême.

Une bonne partie des malentendus à propos de l’évolution tient, on l’a dit, dans le fait de s’en tenir à l’immédiat d’un rapport de force entre individus alors que l’évolution ne se pense que sur le long terme et au niveau des espèces. Il n’est pas difficile de comprendre qu’il ne suffit pas d’être le plus fort et de tout dévaster autour de soi, ne pas laisser âme qui vive jusqu’à finir par mourir de faim... C’est pourquoi les prédateurs ne peuvent être trop féroces. La "sélection naturelle" modère la prédation favorisant ceux qui ont une gestion durable de leur territoire (et qui défendent leur territoire de l’invasion d’autres prédateurs) ! C’est un premier niveau de régulation qui a une place essentielle dans la stabilisation de l’écosystème. Une autre façon de réguler la population, c’est par les virus qui sont attachés à une espèce où ils restent endémiques jusqu’à ce qu’une trop grande promiscuité déclenche une épidémie qui va clairsemer rapidement ses rangs. En l’absence de ces régulateurs, les espèces ont beaucoup plus de risque de disparaître sans laisser de traces. Bien sûr la plupart des régulations sont internalisées par des mécanismes hormonaux plus complexes mais les faiblesses, les inhibitions sont aussi essentielles que les capacités de captation des ressources. Le vivant est constitué de systèmes opposants qui maintiennent un équilibre instable et la sélection s’opère surtout sur les populations et le long terme, du moins au regard de l’évolution dont le travail est lent et peu visible au niveau des individus.

Il faut donc se garder de simplifier une théorie de l’évolution qui doit rendre compte d’une très longue histoire, intégrant de nombreuses contraintes extérieures (viabilité, ressources, prédateurs, virus, cataclysmes, changements climatiques, etc.), complexifiant les organismes d’une façon inouïe et optimisant les performances (des ailes d’oiseau par exemple) jusqu’à épouser les forces physiques mieux que ne le peut notre technique. Seulement les défenseurs de la théorie de l’évolution, tout occupés à réfuter les religions, vont se faire un devoir de prétendre qu’il n’y a pas de complexification, aucune optimisation et que nous n’aurions aucun titre à prétendre être le sommet de l’évolution, ne valant pas mieux qu’une quelconque bactérie. C’est un véritable délire qui vaut celui des croyants !

Il faut essayer de revenir à des positions plus scientifiques et moins bornées sans faire aucune concession aux illusions religieuses. Il ne faut pas surestimer les offensives des partisans de l’Intelligent Design qui ne mènent nulle part mais s’occuper de comprendre les faits, plutôt que de vouloir réfuter les préjugés, qui sont innombrables, et tomber du même coup dans un dogmatisme obtus ! Parmi les moulins à vents contre lesquels les petits propagandistes de la science se battent vainement il y aurait les péchés mignons, bien français parait-il, du vitalisme et du finalisme qui ne seraient que des concepts métaphysiques alors qu’on ne peut penser aucune vie sans énergie vitale ni finalisme ! Bien sûr le travail critique est toujours salutaire mais ce n’est pas parce qu’il faut reformuler ces concepts qu’on pourrait s’en passer. En tout cas, il est amusant de voir comme l’influence de philosophes comme Descartes et Bergson se fait encore sentir dans les esprits, et que chaque nation garde ses lubies...

L’énergie vitale

Commençons par l’énergie vitale qui est déniée par tous les biologistes qui ne voient plus que de la biochimie, et jamais la vie elle-même, disparue dans leurs éprouvettes comme un caput mortuum. En isolant chaque réaction, c’est la logique d’ensemble qui se perd en effet, mais s’il n’y a certes aucune substance magique pour insuffler la vie à la matière, il est certain qu’il n’y a pas de vie sans un dynamisme interne constant. Il n’est pas vraiment exact de comparer, comme Prigogine, la vie à un "système dissipatif" alors que toute l’énergie est stockée et utilisée parcimonieusement, mais il est certain que la vie est d’abord un capteur d’énergie mis au service de mécanismes internes de croissance et d’organisation. Cette énergie vitale peut se présenter sous des formes très différentes. En premier lieu, c’est la capacité de reproduction : l’autocatalyse au moins mais la reproduction génétique est déjà très élaborée, pourvue d’une redondance (double brin) et de systèmes de correction d’erreur. L’énergie vitale c’est d’abord l’information, ce qui pourrait être illustré par la lecture incessante de l’ADN (par l’ARN-polymérase) aussi bien que par l’horloge interne. Le mécanisme d’horloge est assez comparable à l’horloge d’un ordinateur. Dans la cellule c’est un gène qui produit sa propre inhibition jusqu’au temps de désintégration de l’inhibiteur qui déclenchera sa nouvelle production. Sur ce mécanisme très simple va se brancher une réaction en chaîne de nombreux processus. Ce type d’énergie n’est pas véritablement physique et spécifie bien la vie, énergie de reproduction qu’on peut appeler une énergie vitale et qui comporte des cycles complexes. A cette énergie vitale on pourrait associer d’ailleurs une énergie mentale qui est largement déterminée hormonalement, par des sécrétions internes, mais qui répond à l’environnement (par exemple à la reconnaissance des autres, à leurs encouragements, ce qui renvoie à une énergie sociale...). Je ne vois pas pourquoi on refuserait ces termes pour des réalités d’un autre ordre que l’énergie physique ou chimique (même si elle en reste la base matérielle) pour ce qui constitue des boucles de rétroaction positive qui s’auto-entretiennent et ne sont en rien un simple épiphénomène alors que c’est ce qui fait toute la différence entre un vivant et un mort ! Bien sûr on peut trouver l’expression malheureuse car ceux qui ont cru voir dans l’énergie vitale un élan mystique ne peuvent accepter une version dégradée de ce qui est pourtant un fait d’expérience et dont il faut bien rendre compte rationnellement !

La complexification

C’est un peu la même chose pour la complexité où de grands discours savants voudraient nous persuader qu’il n’y a pas de complexification, ce ne serait qu’une illusion ! Bien sûr il fallait réfuter l’idée d’une complexification de principe, mécanique, ordonnée à une finalité divine. Ainsi, il doit être bien évident que rien n’oblige un corps ou une espèce à se complexifier. Il y a des organismes qui sont restés simples (si l’on veut) et d’autres qui ont même régressé, ceci est entendu. Si on peut parler de complexification c’est uniquement à un niveau statistique sur le long terme. Le terme de complexification ne rend d’ailleurs pas vraiment compte de ce qui est plutôt intériorisation de l’extériorité, spécialisation, organisation, apprentissage. La complexité n’est pas vraiment le critère le plus pertinent car il peut y avoir un excès de complexité dont la réduction par spécialisation constitue un progrès. Il n’empêche qu’on mesure un accroissement de la complexité, de certains organismes au moins, à mesure que le temps passe (passant des bactéries aux cellules à noyau puis aux organismes multicellulaires, etc.). Au fond la complexification inverse l’entropie sur le long terme car si le court terme va presque toujours au plus probable et ramène tout à la moyenne, plus le temps passe et plus l’improbable peut se produire et laisser sa trace dans la suite par la reproduction (l’ampliation). Peu importe le temps qu’il faudra mais le meilleur l’emportera un jour et pour toujours même si dans l’immédiat tous les autres passent devant ! La complexification à long terme est tout simplement la contrepartie du caractère statistique de l’entropie

Non seulement c’est une loi de l’évolution car le simple précède le complexe (la complexité ne vient pas d’un coup, il y faut donc du temps, des étapes), mais il y a une autre raison à cet accroissement de la complexité, c’est d’augmenter les possibilités d’adaptation en général. Contrairement à ce qu’on croit, un milieu complexe n’est pas plus fragile qu’un milieu simple. On peut l’illustrer avec le film "le cauchemar de Darwin" qui montre que l’introduction de "la perche du Nil" a réduit dramatiquement la diversité du lac Victoria (à la frontière de la Tanzanie, de l’Ouganda et du Kenya), biodiversité qui était très grande auparavant. Une polémique est née car le lac se révélait plus productif qu’avant, avec pas beaucoup plus de 4 espèces survivantes pourtant, mais c’est justement parce que cette diversité abritait assez d’espèces, pour qu’il s’en trouve quelques unes adaptées à un changement radical de l’écosystème (ici l’eutrophisation), que la vie du lac a pu être préservée. Par contre, un nouveau changement brutal serait sûrement fatal par manque de solutions de rechange ! Voilà comment se manifeste l’avantage comparatif de la complexité : uniquement sur le long terme, avec la traversée de bouleversements environnementaux. Une raison théorique peut être donnée de cette complexification, c’est la "loi de la variété requise" de Ashby qui stipule que pour contrôler un phénomène il faut être doté d’une diversité interne équivalente afin de pouvoir adapter ses réactions à la diversité des situations.

Il y aurait encore beaucoup à dire mais la complexification est un fait d’observation (de l’arbre du vivant et de son inscription dans les gènes) qui relève d’une explication scientifique même si elle n’est que d’ordre statistique et sur le long terme, n’empêchant pas une simplification ni une régression, ni que certaines complexifications ne semblent servir à rien, comme les orchidées dont l’avantage reproductif paraît assez contestable. Refuser d’expliquer l’émergence de la complexité, c’est renoncer à une théorie de l’évolution !

L’optimisation

Il est encore plus absurde de vouloir nier une tendance à l’optimisation, reliée à la complexification, alors que les organismes exploitent à merveille les lois physiques jusqu’à en épouser toutes les subtilités avec une efficacité qui se révèle bien supérieure à toutes nos techniques modernes, que ce soit au niveau du squelette, du système immunitaire, du traitement d’image... Dire que tout cela est pur hasard est largement insuffisant, c’est ne pas tenir compte de la sélection ! Bien sûr, pas de doigt de Dieu ici non plus, son intervention serait bien lente et tortueuse, il suffit que la sélection procure même un petit avantage pour que l’optimisation s’impose sur le long terme. Encore une fois, ce n’est pas une loi mécanique, cela n’empêche pas des évolutions neutres, apparemment inutiles (exaptation), c’est une tendance statistique à long terme mais dont l’efficience est tout de même époustouflante, comme si l’environnement et les lois physiques sculptaient finalement les corps dans leurs moindres détails.

Une nouvelle théorie, dite théorie constructale, prolonge les études de D’Arcy Thomson sur les formes du vivant et s’appuie sur le principe de moindre action pour déduire les formes et performances des organismes en fonction des contraintes environnementales, pouvant même permettre de calculer les caractéristiques d’organismes extra-terrestres dans des conditions différentes de gravitation par exemple. Cette théorie stipule simplement que, "pour qu’un système de taille finie perdure, il doit évoluer de façon à fournir un accès de plus en plus aisé aux flux qui y circulent". Rien de mystique, aucun finalisme là-dedans sinon la sélection après-coup de mutations aléatoires !

Sans cette rétroaction de l’environnement, les phénomènes de convergences seraient incompréhensibles qui donnent à un dauphin une forme de poisson alors que c’est à l’origine un mammifère ! En fait, il faut donner de l’évolution une vision plus complexe que celle d’une simple détermination génétique en introduisant, comme Richard Lewontin une "triple hélice" entre gènes, organisme et environnement en interaction constante. Il faut ajouter à cela les différentes temporalités, entre petites variations génétiques optimisant les organes et les sauts qualitatifs introduisant de nouvelles fonctions (monstres prometteurs) selon les "équilibres ponctués" chers à Stephen Jay Gould. Bien sûr, l’environnement étant changeant (c’est une des bases de l’évolution), on ne peut voir dans son influence une détermination immédiate et rigide. Il n’y a rien là d’automatique puisque, encore une fois, il faut distinguer l’adaptation à court terme et la viabilité à plus long terme permettant de traverser des environnements différents et de survivre à des extinctions massives, mais ce n’est pas parce que ce sont des "lois molles" qu’il n’y a pas de loi ! L’amélioration des fonctions est constante, forme d’apprentissage, d’internalisation de l’extériorité qui mène logiquement à l’émergence d’une conscience...

La finalité

Réintroduire la finalité en biologie est une nécessité absolue, vouloir s’en passer frise le ridicule : l’oeil ne serait pas fait pour voir, ni le pied pour marcher ? Il faut être bien aveugle pour le prétendre ! Bien sûr, c’est difficile à admettre lorsqu’on nie tout processus de complexification et d’optimisation, mais ce n’est rien d’autre que l’expression de la "sélection naturelle" qui est une sélection par le résultat, où l’effet devient cause, c’est-à-dire qu’il y a sélection des finalités qui favorisent la reproduction. Toute finalité biologique (prédation, reproduction sexuelle) est une répétition qui résulte d’une mémoire (génétique). Il doit être bien clair qu’un organisme qui cherche sa nourriture est bien mu par une finalité. Un prédateur qui vise sa proie a bien une visée, un objectif !

Certes, là encore, il faut se débarrasser d’une conception "divine" de la finalité, voire d’une conception trop anthropocentrique. Entre autres, cela ne permet pas de parler d’une "finalité de la vie" car les gènes ne codent que des finalités particulières (régulation, nutrition, reproduction, etc.) indispensables à la vie. Il n’empêche qu’il n’y a pas de vie sans finalités, ce qu’on doit relier à l’information et sa fonction biologique de réaction informée. C’est un sujet difficile à cause des conceptions erronées qu’on a de la finalité et de sa contamination par les religions, sujet que j’ai approfondi ailleurs (Information et finalité en biologie), mais on ne peut se passer d’une "téléonomie" au moins qui fait partie intégrante de la "sélection naturelle". La nécessité de se démarquer des religions et de la philosophie mène à des absurdités si on veut exclure tout finalisme de la biologie.

Cela ne veut pas dire qu’on ne devrait pas faire preuve de précaution sur ce sujet. Par exemple il serait faux de réduire la finalité à la reproduction individuelle (sans parler du prétendu "gène égoïste") qui n’en est qu’une forme partielle car la sélection agit surtout au niveau de l’espèce. Ce n’est pas non plus forcément une "finalité consciente" car si l’on peut penser que le prédateur a conscience de vouloir attraper sa proie, les abeilles n’ont bien sûr aucune conscience de participer à la pollinisation des fleurs dont elles dépendent pourtant. C’est juste une finalité "programmée".

Il n’est pas possible d’en déduire une "finalité de la vie" même si on pourrait dire que sa finalité c’est la reproduction et l’homéostasie, voire l’intériorisation de l’extériorité ou même la "nostalgie de l’unité déchirée par la contingence de l’être" (l’improbable miracle d’exister). On peut soutenir malgré tout qu’il y a un sens de l’évolution vers la complexification et la conscience, ce qui peut apparaître comme la prise de conscience de l’univers par lui-même mais cette formulation est tout de même très contestable car l’univers n’est conscient de rien, c’est seulement son improbabilité, la production de phénomènes aléatoires, qui finit par sélectionner des organismes vivants qui apprennent à y répondre et à durer suffisamment, en maîtrisant cette improbabilité par la sélection génétique d’abord, puis par la conscience ensuite...

Le passage de l’évolution à l’histoire

Le dernier exploit des biologistes et de certains écologistes, c’est de vouloir nous persuader que nous ne serions pas si exceptionnels que cela et même pas supérieurs aux bactéries bien plus nombreuses que nous ! Un certain criticisme exacerbé voudrait nous réduire à n’être qu’un ver de terre qui rampe sur le sol. L’humilité est certes une bonne chose et il ne faut pas se prendre pour le centre du monde mais de là à tomber dans cette dévalorisation excessive, il y a de la marge. Pas besoin de s’imaginer que nous serions des merveilles, ni dépourvus de toutes sortes de défauts pour constater que nous sommes sortis de l’animalité et que nous dominons la Terre pour le meilleur ou pour le pire ! Le pire, la plupart du temps, sans aucun doute, mais nous en sommes responsables, ce qui fait toute la différence !

Il faut savoir de quoi on parle, être attentif à la définition des mots, mais ce qui fait de l’homme le sommet de l’évolution ce n’est pas une quelconque perfection, ni notre indécrottable anthropocentrisme, mais simplement le fait que l’homme prend en main son évolution grâce à une conscience supérieure qui est une capacité de mémoire, de transmission et de traitement de l’information sans commune mesure avec celles des animaux, et qui se manifeste surtout dans le langage. Certes, on peut contester comme Pascal Picq, que nous serions passés immédiatement de l’évolution biologique à l’évolution culturelle car il y a bien eu rétroaction de l’évolution culturelle sur l’évolution biologique, favorisant notamment nos capacités cognitives et donc un gros cerveau. Il faut reconnaître malgré tout que la sélection naturelle a perdu une grande partie de sa prise sur notre évolution, ce qui se traduit notamment par une certaine dégénérescence de l’homme par rapport aux chimpanzés qui ont continué d’améliorer leurs performances alors que nous avons plutôt subi une (très relative) dégradation génétique (sauf au niveau cognitif bien sûr). A l’évidence, ce qui caractérise l’humanité, c’est le langage qui permet une meilleure transmission des connaissances et des techniques permettant de s’affranchir en grande partie de la pression sélective (ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser des problèmes écologiques), passant ainsi de l’évolution biologique à l’histoire, c’est-à-dire à l’évolution des techniques bien plus rapide que la modification du génome. De ce point de vue, et certes de ce point de vue seulement, l’humanité est le sommet de l’évolution car elle en sort en grande partie jusqu’à pouvoir modifier son propre génome...

Voilà ce qu’on peut dire, un peu trop rapidement sans doute, pour rendre compte des faits sans faire intervenir aucun plan divin, non seulement inutile mais absurde dans ce cadre, et sans nier pour autant la complexification et l’évolution vers l’intelligence. Tout ceci demanderait bien sûr beaucoup de précisions et de discussions... En tout cas, on voit que les religions font des ravages non seulement chez leurs partisans (pas tous, Jean-Paul II a bien reconnu la réalité de l’évolution) mais presque autant chez les scientifiques qui s’y opposent !