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Du risque d’ « externalisation » de la pensée...

Le 27  janvier 2005 par Paul Virilio

La 7ème livraison de Transversales nouvelle formule marque, je crois, une rupture historique majeure, puisqu’à l’industrialisation de la Mort dans ces laboratoires où sévissait un certain Mengele, s’apprête à succéder l’industrialisation de la Vie, avec cette future « biologie synthétique »... En fait, la boucle fatale de la militarisation de la science au siècle dernier se referme ; après la mise en œuvre d’un possible suicide planétaire grâce à la première bombe (énergétique), la deuxième bombe (informatique) entr’ouvre la possibilité inouïe du suicide humanitaire de notre espèce, grâce à cette troisième bombe (génétique) que préfigure déjà la biologie de synthèse.

Étrangement cependant, depuis le déclenchement de la première « Guerre Totale » au cours du XXème siècle, on assiste impuissants ou presque à la progressive « délocalisation » de la pensée scientifique voire même à son externalisation du champ de la sagesse et de la rationalité savante -un peu comme si la Terreur l’emportait, définitivement cette fois, sur la Révolution des lumières -comme si, au cours de l’histoire de la modernité occidentale, l’HOMO SAPIENS avait peu à peu cédé sa primauté à l’HOMO DEMENS. Tous les articles qui suivent l’avertissement de Jacques Robin illustrent ce séisme majeur : la naissance de la Philo-folie, avec son absurde logique « post-génomique »... Finalement le « Terrorisme » n’est pas seulement politique, économique ou religieux, il est devenu scientifique, et son Tsunami submerge l’insularité de ces savoirs autrefois parcellaires mais si patiemment acquis.

« L’humilité c’est la vérité » (Thérèse d’Avila) : cette vérité-là n’est pas seulement éthique, mystique ou philosophique, elle est aussi, du moins je le crois, scientifique. Oublier, ou pire volontairement omettre cette VIRTUS, et c’est l’UBRIS, la démesure d’un délire démiurgique où la science se dope grâce à la stupéfiante efficacité de la « Technique de Pointe » comme on dit je crois, aux Jeux Olympiques des Savants ( !). C’est cela finalement l’Accident des connaissances qui surpasse actuellement celui des substances : non plus l’échec de l’erreur manifeste, mais l’échec du succès, la catastrophe d’une science « toute puissante » dépourvue non seulement de conscience, mais de sens, depuis sa militarisation industrielle il y a un siècle déjà... « Avions-nous oublié le Mal ? » s’interroge Jean-Pierre Dupuy... c’est toute la question, non pas depuis l’attentat de New York, mais depuis Auschwitz et Hiroshima et Nagasaki. C’est cela l’externalisation des savoirs et des connaissances scientifiques !