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En quoi les mouvements coopératifs type Linux se distinguent-ils des logiques de don au sens maussien ?

Le 30  novembre 2003 par Alain Caillé

Une discussion s’est ouverte récemment au sein du MAUSS sur ces sujets. Ceux qui téléchargent un film sur Internet et le redistribuent à leurs copains en signant leur chargement sont-ils l’équivalent des Trobriandais qui font circuler des biens précieux (les "vaygu’as") entre les îles prises dans le réseau du commerce cérémoniel kula ? Vaste sujet, impossible à traiter en quelques lignes. Deux, trois remarques, cependant. Il y a aujourd’hui une tendance à revendiquer la gratuité totale d’accès à Internet et du téléchargement d’à peu près tout. Kazaa serait révolutionnaire parce que de l’ordre du don et de la gratuité. Ce discours m’inspire de grandes réserves (je ne crois pas au don de Kazaa). En revanche, la création coopérative de type Linux me semble s’inscrire dans le droit fil du socialisme associationniste, français notamment, dont Marcel Mauss, ami et bras droit de Jaurès a été en somme le champion théorique au XXe siècle. Son fameux Essai sur le don en constitue une sorte de justification anthropologique. Les différences entre le don de son temps à Linux et le don cérémoniel "sauvage" sautent aux yeux. Il est libre et non pas contraint socialement, sans façons et non pas cérémoniel, à la communauté mondiale des linuxophiles anonymes et non pas à des personnes connues que l’on voudrait mettre "à l’ombre de son nom", etc. Néanmoins, et vos documents le montrent bien, on retrouve là je crois le véritable "esprit du don", non pas la pure "gratuité" mystifiante et sans objet, mais ce mixte d’intérêt et de désintéressement, de sens de l’obligation et d’amour de la liberté et de la créativité qui assure en définitive le triomphe de l’amitié entre les humains sur leur passion de la destruction.