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Face au nouveau mythe post-génomique de la "vie synthétique" : faire vivre le principe de précaution

Le 7  décembre 2004 par Hervé Chneiweiss

La conférence d’Asilomar en 1975 a marqué une date historique dans l’histoire de la conscience des scientifiques de leur responsabilité dans le domaine de la précaution. Réunis par Paul Berg, les pionniers de la biologie moléculaire venus du monde entier, à l’aube de l’explosion de la génomique, se donnaient un moratoire d’un an pour évaluer les conséquences et les mesures de précautions à prendre suite au premier clonage d’un gène et aux premières utilisations de virus modifiés. Les classes de protection des postes de travail et des pièces des laboratoires (de L1 à L4) résultent de ces travaux. Depuis 30 ans bientôt, dans tous les laboratoires de biologie du monde on « manipule » des plasmides, des virus recombinant, des bactéries ou des levures génétiquement modifiées, des mouches drosophiles ou des souris mutantes. D’où naît cette soudaine frayeur face à la « vie artificielle » ou aux « usines moléculaires » ?

D’abord du vocabulaire, comme pour le clonage. Pour lever des fonds, les scientifiques américains n’ont pas leur pareille pour inventer du neuf avec du vieux. La génomique ne faisant plus recette depuis l’achèvement itératif depuis 4 ans du séquençage du génome humain, il faut trouver un nouveau rêve, une nouvelle frontière, un nouveau gisement pour drainer le capital-risque et promouvoir les biotechnologies. Adieu génome, surtout au rythme où diminue le nombre de gènes humains, donc de cibles potentielles et corellativement sources de profits (de 100.000 en 2000 à 25.000 aux dernières estimations 2004). Vive la « vie synthétique », qui est à la « vie naturelle » ce qu’un tableau de Mondrian est à la perception tridimensionnelle de l’espace : l’instant d’un essentiel, le plaisir esthétique en moins.

En fait la peur naît du fantasme déterministe que ce qui est vivant nous ressemble. L’homme se considérant comme le destin ultime de la création biologique, la logique naturelle de l’évolution, le vivant ne peut avoir d’autre but final que de se reproduire pour devenir ou attaquer l’homme. Le scénario d’un best-seller de science-fiction est prêt, Hollywood s’en empare, le succès est assuré. La réalité est hélas infiniment plus prosaïque. Tout ce qui est vivant est fragile et l’évolution nous a doté, et tous les organismes avec lesquels nous cohabitons actuellement, de solides mécanismes d’adaptation pour parer à presque toutes les éventualités. Plus un génome est réduit, plus on lui retire de gènes « inutiles » et plus on lui interdit de vivre dans des conditions variées.

Ceci n’est pas pour dire qu’il ne faut s’inquiéter de rien, mais seulement de ce qui est réellement dangereux, donc développer nos mécanismes d’analyse du risque, faire vivre le principe de précaution par plus de recherche. Et sur cette question, l’ordinateur au silicium actuel est certainement bien plus toxique à l’être humain et de mille manières que son éventuel successeur moléculaire. Potentiellement toxique, mais certainement source de développement et d’émancipation...