Jacques Robin

19  août 2007 | par Edgar Morin

Jacques Robin, né en 1919, nous a quitté le 7juillet 2007.

Il fut un des êtres remarquables qui donne confiance en l’humanité. Comme a dit Hervé Serieyx « c’est merveilleux une vie aussi justifiée que celle de Jacques ».

Il fut à la fois, inséparablement un esprit interrogatif et un authentique citoyen de la planète terre, militant de la cause de l’humanité.

Esprit interrogatif, il fut, à partir de sa formation médicale et de son souci politique, spontanément porté à questionner notre destin.. Il mit en pratique la formule de Heidegger « questionner fait voler en éclats la mise en boîte des sciences dans des disciplines séparées ». Son questionnement l’amena à consacrer sa vie à chercher l’intelligibilité et la compréhension dans la confrontation et la reliance entre les savoirs disciplinaires.

C’est dans ce sens qu’il créa en 1967 le groupe des dix, avec Robert Buron, Henri Laborit, le cybernéticien Jacques Sauvan, le psychanalyste Jack Baillet, l’économiste René Passet, moi-même, et à ce groupe participèrent diversement Henri Atlan, Joël de Rosnay, Jacques Attali, Michel Rocard, et bien d’autres. Les rencontres mensuelles du groupe étaient suivies avec passion par ses participants. Ils avaient le bonheur de s’entr’enseigner les uns les autres, et de féconder leurs savoirs dans l’échange. Le projet à l’origine naïf de donner à la politique une base scientifique se mua en une réflexion itinérante sur les sciences et sur les grands problèmes historiques de notre temps. Les activités du groupe s’achevèrent en 1976, non par étiolement, mais parce que Jacques quitta son appartement en se séparant de son épouse. Le contact resta très présent et très vivifiant entre les membres du groupe.Par la suite Jacques Robin continua son œuvre de rassembleur et communicateur : il fonda le Cesta en 1982 ; puis le GRIT (groupe de réflexion inter et transdisciplinaire) et il fut l’animateur de Transversales Science culture, dont le titre exprime bien la mission, et qui publia un bulletin, organisa de multiples colloques et réunions.

Le développement de ses connaissances l’amena à comprendre que selon l’expression du président Correa (Equateur) nous sommes beaucoup plus à la charnière d’un changement d’époque qu’à une époque de changements. Convaincu que l’essor de l’informatique contribuait puissamment à « changer d’ère », c’est sous ce titre qu’il publie en 1989 (Seuil) un livre où il évoque les transformations multidimensionnelles en même temps que les menaces de plus en plus globales qui pèsent sur la planète.IL reprend et amplifie la problématique dans le livre qu’il rédige avec Laurence Baranski « l’urgence de la métamorphose » (Des idées et des hommes 2007) où ils examinent les diverses mutations en cours (démographiques, écologiques, techniques et aussi la mutation de vie). Ils arrivent à la conclusion que la transformation personnelle et la transformation sociale sont irréductiblement liées.

Jacques Robin a gardé jusqu’à sa fin son enthousiasme juvénile. Il s’émerveillait des travaux et livres qui indiquaient quelque innovation féconde dans la connaissance ou la société, et il s’empressait de communiquer ses découvertes à ses amis. Sa générosité intellectuelle était sans bornes : il aimait disséminer ses connaissances et ses vérités d’homme de cœur et d’espérance. Le mot d’humanisme a été décrié dans les obscures années structuralistes où avaient disparu le sujet et l’histoire. Quel beau mot pourtant qui signifie le souci de l’humain autant individuel que social et planétaire et qui dans toute sa plénitude a été assumé par Jacques Robin.

Edgar Morin

Article publié dans Le Monde du 18 août.