Vous avez dit « nano » ? Qu’est-ce que « nano » ?

17  janvier 2006 | par Claire Weill

En quelques années, moins de dix ans, les efforts de recherche, d’innovation et de développements technologiques à une échelle inférieure au micron - le millionième de mètre qui est aussi mille fois plus grand que le nanomètre - ont littéralement explosé. Aujourd’hui, les progrès de la science et de la technique permettent de « voir » et de manipuler les atomes et les molécules individuellement, en particulier, et ce n’est pas rien, une molécule d’ADN, dont la taille est un peu supérieure (tiens !) à une dizaine de nanomètres. On progresse dans la synthèse d’objets de très petites tailles (nanoparticules, nanotubes de carbone) - démarche « bottom-up » et parallèlement dans l’usinage de structures de plus en plus petites - démarche « top-down ». Des domaines de recherche, autrefois situés à des échelles spatiales différentes, peuvent désormais interagir, de fait les projets scientifiques se multiplient entre chimie, biologie et physique. La biologie utilise les progrès obtenus dans la miniaturisation de la manipulation des molécules et dans le traitement de l’information. Si les innovations abondent, les risques associés aux nouveaux objets, systèmes, outils rêvés, en cours d’élaboration ou déjà sur le marché se multiplient : risques sanitaires liés à la dispersion de particules de très petites tailles, risques d’atteintes à la liberté individuelle, à la sécurité intérieure, risques de fortes inéquités dans l’exploitation privée des développements technologiques. Il s’agit à l’évidence d’être vigilants. L’information est ici stratégique, au plan militaire comme économique. Elle est par conséquent bien gardée. Dans les rapports officiels, les promesses des miracles pour l’humanité qu’apporteront à terme les nanotechnologies sont à la mesure des inquiétudes voire des peurs qu’elles suscitent. La mise de fonds est à la mesure des promesses, voire des fantasmes des lobbies, à la mesure de la crise économique et des besoins d’innovations pour relancer l’activité en panne : les moyens mis en jeux sont très importants, leur croissance est vertigineuse. Tout cela a été rendu possible par le truchement de discours extrêmement efficaces, qui ont joué un tel rôle d’amplification mais aussi de confusion qu’il est urgent de les analyser et de les déconstruire. Les confusions de langage, les glissements sémantiques, les affirmations péremptoires abondent, pas toujours étayées. Ainsi, au plan des promesses, ce qui se joue aujourd’hui dans le nanomonde devrait permettre de sauver l’humanité de ses maux principaux - épuisement des ressources naturelles, pollution locale et globale, maladies, vieillesse... Que signifie par ailleurs la « convergence » ou la « méta-convergence » entre les technologies de l’information et de la communication, les biotechnologies, les sciences et les technologies cognitives, et les nanotechnologies ? La notion de convergence semble, pour les non - avertis qui n’en connaissent pas l’origine dans le domaine des télécommunications et de l’informatique, évoquer un projet commun, un point focal vers lequel tendraient tout d’un coup comme par magie toutes les disciplines scientifiques et techniques capables d’investir les petites échelles de la matière. Pourquoi n’y aurait-il plus (ou encore moins qu’ailleurs) de frontière dans le nanomonde entre l’activité de chercheur, d’ingénieur, voire d’inconscient bricoleur (ou de savant fou ?) ? Une telle assertion ne peut être envisagée, encore qu’avec précaution, qu’en l’absence de cadre théorique, éventuellement dans certains cas pour les biotechnologies, là où la complexité est telle qu’elle donne aux scientifiques du fil à retordre.. Force est de constater que l’introduction du terme de « convergence » (qui plus si elle est « meta »...) a brouillé les pistes, provoqué des peurs là où elles n’ont pas lieu d’être (sur l’auto-organisation de la manière inerte, par exemple), permis de rebaptiser nano ce qui ne l’est pas, et aussi conduit à sous-estimer les dangers liés à l’exploitation de dispositifs techniques qui, l’arbre cachant la forêt, sont parfois bien plus imminents et par conséquent moins sophistiqués - comme l’exploitation des données génétiques obtenues sur des puces à ADN - que ceux liés à des dispositifs encore très loin de la réalisation, même en laboratoire (médicaments ciblés). Qu’est-ce qui a provoqué un tel dérapage, qui a pu faire naître l’idée chez les non avertis qu’un champ scientifique se définirait par une échelle de taille (une absurdité !), que l’homme est aujourd’hui capable non seulement de manipuler, mais de recréer du vivant, en le contrôlant, mais sans le maîtriser ? Le nanomètre n’est pas, et de loin, la plus petite échelle spatiale conquise par les scientifiques dans leur histoire. Or on parle d’infiniment petit... Dans tous ces excès de langage, la capacité à manipuler l’ADN et l’information génétique n’est certainement pas indifférente. Or, à l’heure où la connaissance du génome humain initie lentement une réorientation de la biologie moléculaire vers la recherche de nouveaux paradigmes( [1]), l’utilisation de techniques fondées uniquement sur l’information génétique, en particulier dans les domaines thérapeutique et assurantiel, doit être strictement encadrée. Par ailleurs, si les informations du nanomonde qui parviennent aux politiques comme aux citoyens regorgent de promesses chiffrées, de projets métaphysiques, ou de visions apocalyptiques, les initiatives qui visent bien humblement à fournir à ceux-ci un état de l’avancement des sciences, des techniques et des risques associés aux objets et systèmes nanométriques dont on envisage une production massive, dans des termes accessibles, ne sont pas légion. Il en est de même des efforts pour progresser dans la caractérisation de ces risques. Or, il y a urgence à dresser un état des lieux, pour permettre la définition et la mise en œuvre de politiques de précaution adaptées.

Je remercie très vivement Clarisse Herrenschmidt pour nos discussions tout autant éclairantes que passionnantes sur les terminologies employées pour décrire ce qui se joue dans le nanomonde.

[1] « Le siècle du gène », Hélène Fox Keller, Edition Gallimard, Collection Bibliothèque des sciences humaines, 2003.