La sujétion de la femme est universelle mais n’est pas naturelle

26  novembre 2006 | par Françoise Héritier

Certes, le corps d’une femme est différent de celui d’un homme et la femme enfante, ce que ne peut faire l’homme. Mais cette différence biologique de départ ne justifie en aucun cas la domination masculine. On peut démonter tous les arguments liés notamment à la vulnérabilité du corps féminin. S’il y a fragilité à des moments particuliers et si elle appelle la protection, elle n’implique pas la sujétion. L’inégalité n’est pas un effet de la nature. Elle a été mise en place par la symbolisation dès les temps originels de l’espèce humaine, à partir de l’observation de faits biologiques notables. Tous les systèmes de pensée humains ont toujours fonctionné avec des catégories dualistes, des oppositions binaires (chaud /froid, sec /humide, extérieur/intérieur, chacun des termes étant connoté masculin ou féminin (homme dehors, dur, actif ; femme dedans, molle, passive etc.). Dès lors, la question centrale devient : pourquoi les différences entre hommes et femmes ont-elles été hiérarchisées et non également valorisées ? C’est ce que j’appelle « la valence différentielle des sexes ». Que des rôles et des tâches différentes aient été répartis entre les hommes et les femmes selon les circonstances peut se concevoir ; mais pourquoi les activités dites féminines ont elles été toujours systématiquement dévalorisées ? Parce que les hommes se sont assurés le contrôle de la fécondité des femmes, ce pouvoir exorbitant d’enfanter du différent, des fils, aussi bien que de l’identique, des filles. Pour avoir des fils, les hommes se sont appropriés les femmes : ils les ont confinées, exclues des domaines politiques, économiques, religieux, privées souvent d’éducation, de pensée, de parole, violentées. Elles ont été dépossédées de leur autonomie et même de leur fonction reproductrice ». En effet les femmes sont censées n’être que « matière » (Aristote), ventres, réceptacles. C’est pourquoi la conquête de la contraception me paraît plus importante pour l’humanité et plus révolutionnaire que celle de l’espace. C’est la voie vers l’égalité des femmes. Néanmoins celle-ci sera longue car les traces sont profondes dans les systèmes de représentation : la domination masculine est toujours là.

La différence biologique a suffi et suffit encore à fonder la domination masculine, « fonder » au sens d’établir et de maintenir, non au sens de justifier ; la mise en évidence des ressorts logiques de cette domination nous éclaire, non sur l’existence d’un dessin immuable, naturel et sacré mais sur le caractère contingent d’une histoire qui a dépendu de l’observation du réel, certes, d’interrogations métaphysiques et de constructions mentales forgés au fond des âges et qui ne devraient plus avoir cours aujourd’hui.