Cyberespace et citoyenneté

26  avril 2006

Le droit d’expression réinvesti

par Valérie Peugeot

Il y a 11 ans, Transversales Science Culture s’élevait contre une approche techniciste et presse-bouton de la démocratie, dont les époux Toffler s’étaient fait les hérauts. Dix ans plus tard, l’état démocratique de l’Europe nous confirme dans cette position. Alors que l’Union européenne investit massivement dans la e-administration et les essais de vote électronique et/où en ligne, elle a, au moment du referendum, négligé l’essentiel : le processus démocratique.

En démocratie, le temps du vote est bien entendu structurant, mais moins que son amont, le débat démocratique. Le temps de l’expression des différences, du décryptage des options, de la construction d’une opinion étayée, du passage de l’impulsion et de l’émotion au véritable choix politique est déterminant. S’il n’est pas précédé d’un débat démocratique de qualité, le vote s’apparente plus à un abandon qu’à une délégation de pouvoir.

Ce qui importait, pour que les citoyens européens s’approprient enfin véritablement le projet européen, n’était pas tant la constitution elle-même et son approbation ou rejet en aval, que le processus constituant en amont. Seul un processus constituant authentique, porté par une Assemblée constituante élue spécifiquement pour cette tâche, au terme d’une campagne et donc d’un débat menés au plus près des citoyens, aurait pu garantir cette qualité démocratique.

Contrastant avec ce rendez-vous démocratique raté, les multiples cyberespaces d’échanges marquent la fin d’un droit de parole accordé. Les individus n’attendent plus qu’on leur concède un temps référendaire ou une tribune occasionnelle dans les médias pour s’exprimer, débattre, penser. Ils prennent d’assaut l’espace public, par le foisonnement de leurs blogs, sites collaboratifs, podcasts et autres formes d’expression individuelle ou collective. Dans sa grande majorité, ce nouvel élan ne se pense ni ne se veut de nature politique. Mais par sa simple existence, il brise le monopole de la parole instituée et donne au citoyen une parcelle du pouvoir que le modèle démocratique délégataire par nature ne peut lui concéder. De la même manière que les formes de liens sociaux qui se nouent dans le cyberespace ne se substituent pas aux rencontres humaines « en présentiel » mais interagissent avec elles, l’espace public d’expression vient s’articuler avec la démocratie représentative en la vivifiant.

Reste aujourd’hui à travailler autour de la question clé : que faire de ce droit d’expression réinvesti ? Comment passer de l’expression à l’action, comment mobiliser cet élan au service de mouvements transformateurs ? Il ne s’agit pas d’instrumentaliser ces nouvelles formes d’expression publique - bonne chance à ceux qui s’y essaieraient ! - mais d’ouvrir des chemins qui permettent à ceux qui le souhaitent d’aller plus loin. Ces nouvelles formes d’action doivent associer ceux qui ne peuvent ou ne veulent participer à l’espace public immatériel, afin d’éviter que deux narrations du monde ne se construisent en parallèle. Tou en encourageant et accompagnant ces mouvements, il faut éviter que ne se mette en place une nouvelle technocratie "de classe" portée par celles et ceux qui sont les plus avancés dans l’utilisation des technologies informationnelles.

Les citoyens qui s’expriment dans le cyberespace développent un regard au monde et une relation aux autres inédits : on ne rédige pas un blog, on n’anime pas un site collectif, comme on mène une discussion entre copains au café du coin. Gageons que la construction de la blogosphère constitue pour partie une sorte de mouvement d’auto-éducation populaire, condition sine qua non à la prise de responsabilité.

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