La sociopsychanalyse de Gérard Mendel

10  avril 2008 | par Armen Tarpinian

Autorité, pouvoirs et démocratie dans le travail

Claire Rueff-Escoubès, La Découverte.

Créée par le psychanalyste et anthropologue Gérard Mendel (1930-2004), la sociopsychanalyse, n’est pas une application de la psychanalyse à la société, mais son exact et subversif opposé. L’étude de l’impact du fait social et organisationnel sur le fait psychique, inconscient compris.

Elle est présentée ici sous ces différents aspects : théorie du sujet social, du pouvoir, de l’institution, ouvrant à une pratique collective d’interventions institutionnelles. Ainsi, la démarche théorique aborde la question du pouvoir, en particulier dans les lieux de travail, sous l’angle particulier de l’actepouvoir : pouvoir sur ce qu’on fait et non uniquement pouvoir hiérarchique - ce qu’on nous fait. Ce concept clef servira de point de repère pour évaluer le degré de pratique démocratique dans les organisations.

Inséparables de l’exposé de la méthode, sont également rapportées trente-cinq années de pratiques d’interventions dans de nombreux domaines du champ social : écoles, entreprises, hôpitaux, associations, partis politiques, syndicats.

Ce livre s’adresse à tous ceux qui cherchent des outils de compréhension et de changement des rapports sociaux dans les lieux de travail, en réintroduisant la dimension du collectif et de la participation démocratique.


Gérard Mendel a commencé son exploration de l’articulation entre le psychique individuel et le social collectif à partir de son expérience de psychanalyste, qui l’a confronté aux limites de celle-ci concernant l’approche du social.

C’est une théorie de l’institution en tant que lieu d’expérience collective de l’individu et de sa rencontre avec le social, particulièrement avec un des piliers de la logique de notre société, la division du travail - dont les effets sur la psychologie des individus sont déterminants quant au développement de sa psychosocialité.

Pour Gérard Mendel, l’autorité serait le contrepoint permanent de la démocratie. Entre elles existe une contradiction non assumée. La prévalence du recours à l’autorité dans les rapports sociaux - et aujourd’hui le recours à son nouveau visage, la répression - signe la défaillance des rapports de type démocratique entre les individus. L’une des conséquences directe de ce constat conduit à l’attention portée aux premiers apprentissages des rapports proprement sociaux tels qu’ils se jouent à l’école. C’est à partir de cette formation commune à tous et qui devrait accompagner toute la scolarité des enfants et des adolescents, que se modifieront les formes actuelles des relations sociales, aujourd’hui de plus en plus désocialisées, c’est-à-dire de plus en plus individualisées en même temps que violentes autant qu’indifférentes à autrui, pour de plus en plus de personnes.

En ces temps de forte souffrance à l’école et dans l’entreprise, la méthode de socialisation qu’il a forgée (et largement expérimentée en des centaines d’établissements en France et à l’étranger) avec son équipe du Groupe Desgenettes, très légère d’application et peu coûteuse, serait d’un inestimable secours.

http://www.sociopsychanalyse.com/

EXTRAIT

LA SOCIALISATION DES JEUNES

« La défaillance de l’apprentissage de la socialisation par les enfants et les adolescents d’aujourd’hui n’est malheureusement plus à démontrer. La réponse actuelle par le seul recours à la force pour combler cette défaillance nous paraît gravement préjudiciable à la construction d’une société démocratique, et inefficace en termes éducatifs pour les jeunes. Il ne s’agit pas de prôner ni même d’accepter le laxisme, mais de prendre en compte les besoins anthropologiques qui apparaissent plus clairement du fait de l’affaiblissement de l’autorité, et de proposer des relations de type davantage contractuel. Le DECE (Dispositif d’Expression Collective des Elèves) est une de ces propositions, dans lesquelles l’expression et les demandes des jeunes après concertation sont possibles, mais confrontées à d’autres réalités : celle de l’administration, des professeurs, des exigences des programmes. C’est une double épreuve de réalité qui est à en jeu pour les élèves : celle des échanges entre eux -concertation, argumentations, et celle de la confrontation - médiatisée et sans attaques personnelles - avec les "autres", partenaires indispensables de leur institution. Nous ne sommes là ni dans la toute-puissance, ni dans la soumission, ni dans la complaisance, ni dans la séduction. Nous en avons développé les raisons en présentant les analyses de Gérard Mendel à propos de l’autorité.

La méthode proposée ici a fait l’objet d’un long travail préparatoire, d’une part à partir de plusieurs des points théoriques étudiés par Gérard Mendel (dont ceux concernant l’autorité et l’actepouvoir), d’autre part au cours d’un travail commun de plus de deux années entre le groupe Desgenettes-Agasp et un groupe de Co-Psy.

Il s’agit par cette méthode de développer chez les enfants et les adolescents scolarisés - les élèves, de la maternelle à la terminale - l’apprentissage d’une socialisation plus clairement démocratique qu’elle ne l’est aujourd’hui. De ce point de vue, tous les élèves d’une classe seront concernés au même titre par le dispositif, sans sélection ni délégation : le besoin et le droit de dire son mot sur ce qui vous concerne est un des droits de l’homme en démocratie. La question là n’est pas seulement d’accorder ce droit à tous, elle est aussi d’en faire un usage socialisé, ce qui comme on peut le constater chaque jour, n’a rien de spontané. Un apprentissage de l’exercice de ce droit est donc indispensable, particulièrement aujourd’hui, c’est un des buts de la méthode.

Cet apprentissage concerne au premier chef les modalités du « vivre ensemble », et d’abord entre pairs : accepter une égalité de droit d’expression entre eux (sans leader ni exclu), reconnaître et tolérer les différences, se parler au lieu de se battre ou de s’ignorer, respecter les règles communes, gérer les conflits plutôt que de les occulter.

Là encore, la dimension du collectif organise le cadre. La fonction de celui-ci est ici majeure, elle mobilise les capacités psychosociales latentes mais peu utilisées des jeunes participants, d’une toute autre façon que ne le ferait un adulte « animateur » ou pédagogue. La fonction de l’autorité est ici à son plus bas régime, laissant les élèves trouver par eux-mêmes les solutions appropriées à la réalisation de ce besoin de reconnaissance et de participation : choisir eux-mêmes leur ordre du jour, désigner entre eux le « secrétaire » qui prendra des notes pour le petit compte-rendu final (fonction tournante), approfondir un sujet difficile ou le laisser de côté, etc. C’est dire que l’adulte régulateur présent se place en retrait pendant toute la partie de l’expression des sous-groupes, veillant essentiellement à ce que le cadre soit respecté. Il s’agit là pour les élèves de se conformer au critère de constitution de ces sous-groupes - l’ordre alphabétique, qui seul évite la constitution de clans ou de petits groupes par affinité, préjudiciables à la constitution d’un collectif -, de rester à sa place, de parler sans hurler, d’être attentif à la prise de parole par tous.

On note quelque chose comme une lapalissade : plus précocement se fait cet apprentissage de relations socialisées -qui peut commencer dès la maternelle, avec des aménagements pratiques mais un même paradigme -, mieux les règles du jeu de la socialisation sont acceptées et intégrées ; inversement, la socialisation primaire défaillante à la maison génère très tôt des comportements asociaux à l’école, d’où l’importance de notre démarche. A l’inverse, commencer l’application de la méthode en lycée soulève parfois de fortes résistances (même si plusieurs parmi les applications faites se sont déroulées jusqu’à leur terme, avec l’intérêt des élèves), donnant ainsi la mesure de ce que la socialisation ne peut plus passer par les seuls rapports individuels enseignants-élèves, du fait de l’affaiblissement de l’autorité, ce qui se répercute en une forme de carence éducative dans la vie scolaire. On peut également lire avec intérêt, dans la troisième partie, une intervention faite en Argentine où l’on voit à quel point les personnes âgées fonctionnent entre elles à un niveau plus que faible de socialisation, et comment progressivement le cadre de l’intervention leur permet d’acquérir des relations entre elles plus respectueuses de la place d’autrui : le besoin est toujours là, qui attend sa réponse.

Une deuxième dimension psychosociale se développe chez les élèves à partir des échanges entre le groupe classe et les autres niveaux de l’institution - principalement l’équipe de ses enseignants : celle d’une meilleure compréhension de la nature sociale de l’établissement, au-delà de la vision familialiste qu’ils partagent habituellement avec leurs professeurs. N’y travaillent ni des enfants ni des parents, mais des partenaires réunis en vue d’un projet commun - l’enseignement et l’éducation, dont fait partie la socialisation -, partenaires tous indispensables, différents et complémentaires, chacun avec ses droits et ses devoirs, dans un rapport de génération différencié. Bien entendu la dimension familiale demeure elle aussi en arrière-plan, comme dans toute institution sociale qui réunit des adultes et des enfants, tel l’hôpital, les internats, les centres éducatifs, etc. Pour autant la réalité sociale du lieu et de son organisation existe, trop souvent occultée par une approche inconsciente globalement familiale, privant ainsi les enfants et les adolescents scolarisés de l’occasion d’une préparation in situ à des rapports proprement sociaux, dans leur présent et pour leur avenir.

C’est ainsi que les élèves prennent consciences des limites du pouvoir de leurs enseignants, qui ne sont ni tout puissants comme ils le pensent souvent, ni animés par leurs seuls sentiments : « Ils croient qu’on leur met un 18 parce qu’on les aime, mais ça n’a rien à voir, il faut qu’on leur explique ça » répondait un enseignant en cherchant l’appui de ses collègues dans un film consacré à la méthode. Ils perçoivent également mieux à partir des réponses des enseignants et de l’administration, comment est organisé leur établissement : par quelle division du travail, qui décide quoi, quel est le prix des choses demandées, etc. La vie sociale est déjà là, il s’agit déjà de la saisir dans sa spécificité. Là encore, c’est davantage à partir d’un cadre - construit en accord avec ses finalités - que se réalise cette première formation plutôt que par un enseignement magistral ou abstrait du type éducation civique. Bien évidemment l’un n’empêche pas l’autre, mais l’un devrait accompagner sinon précéder l’autre, nous semble-t-il, et non l’inverse.

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