Sécu : les "points aveugles" du débat

18  mars 2004 | par Patrick Viveret

Le débat national sur la réforme de la sécurité sociale pourrait nous permettre de remettre à plat les questions de la santé, du bien-être et de la qualité de vie. Mais l’angle choisi pour les traiter laisse dans l’ombre nombre de points critiques qui deviennent, du même coup, autant de "points aveugles".

Premier point aveugle : alors que l’on s’accorde à reconnaître à tout être humain une fonction de "chef de projet" sur sa propre existence, la responsabilité de chacun sur sa santé et son bien-être n’est pas suffisamment affirmée. Pourtant, une personne qui ne fait pas preuve de responsabilité sur sa propre qualité de vie cause des dégâts importants à lui-même, mais aussi à toute la collectivité.

Second point aveugle, le débat n’est pas posé en termes de dialectique entre sécurité et prise de risque. Chacun de nous aspire à un heureux dosage entre ces deux exigences, apparemment contradictoires. L’excès de sécurité nous fait sombrer dans l’ennui, alors que le désir d’intensité sans filet de sécurité génère trop de peur. Collectivement, une société doit appréhender le bon couplage entre le sens "entrepreneurial" - avec mobilité et prise de risque - et la demande fondamentale de sécurité sans laquelle tout le monde finit par se recroqueviller et par "ouvrir les parapluies".

Enfin, troisième point aveugle, on ne prend pas en compte la profonde évolution dans la structure des temps sociaux. En clair, alors que travail n’occupe plus que 10 % du temps total de vie, pourquoi continue-t-on à faire financer l’essentiel de la sécurité sociale - qui correspond bien à 100 % du temps de vie - sur les seuls revenus du travail ? Ce qui nous conduit nécessairement à pressurer et charger sans cesse davantage ces 10 % de vie... ou à revenir en arrière sur la diminution de la part du travail dans l’existence !

Il faut poser le problème en termes de politiques globales de la qualité et des temps de vie. N’oublions pas que 50 % des coûts de la sécurité sociale sont le fait de 5 % des assurés : les personnes en fin de vie. Nous payons au prix fort cette destruction du lien social qui fait de l’hôpital un point final quasi obligé de toute existence humaine. Ivan Illich soulignait ce paradoxe : pour les gens des pays riches, c’est devenu un luxe de mourir dans les mêmes conditions qu’un paysan pauvre d’un pays du sud, c’est-à-dire "chez soi et entouré des siens" ! Les sociétés occidentales finissent par payer très cher (et par faire payer aux autres) leur angoisse de la mort...

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